Par El Montacir Bensaid
Affamés, misérables, abandonnés sur la terre même de leurs ancêtres, qui les nourrissait autrefois.
Terre occupée, bombardée, dévastée.
Terre violée, volée, saccagée, assassinée.
La voix de mon père, que Dieu ait son âme, retentit dans ma tête avec une acuité toute nouvelle :
Ma hram ghir jou3 !
Traduit en bon français :
Seule la faim est un péché.
Cette petite phrase anodine me ramène à mon enfance, alors que j'étais un tout petit garçon, toujours heureux d'accompagner son papa dans les cafés et restaurants les plus chics de la capitale.
Je commandais invariablement un sirop de grenadine, mais ce qui m'intéressait, c'étaient tous ces petits plats qu'on nous servait pour nous faire patienter avant l'arrivée de la commande.
Il y avait des escargots, des chips, des aubergines frites, des crevettes, des anchois marinés et parfois des choses non identifiables.
Un jour, alors que mon père, toujours tiré à quatre épingles, la cigarette à la main, assis à mon côté, était en train de discuter affaires avec un Européen que je ne connaissais pas, je ne cessais de le tirer par la manche pour lui poser une question.
Un peu irrité, il se retourna vers moi.
Ma question se rapportait à un plat qui sentait bon, mais je ne savais pas si c'était un truc hram ou pas (licite ou illicite), et comme la patronne du restaurant était française, j'avais peur que ce soit du porc.
Mon père eut cette phrase qui allait me servir de leçon à vie :
Mon fils, mange, ma hram ghir jou3 !
Aujourd'hui, avec ce qui se passe à Gaza, j'en mesure la portée et le sens caché derrière cette poignante vérité.
El Montacir Bensaid.