Par Mustapha Sehimi
Mustapha Sehimi
La réforme judiciaire se fait donc à la découpe. Le code de procédure civile puis le texte sur les peines alternatives pour l'heure: le reste attendra. Référence à d'autres pans du code de procédure pénale, du code pénal aussi avec des arbitrages sur des questions sociétales clivantes (relations sexuelles hors mariage, avortement...).
Pour ce qui est des peines alternatives, ce projet de loi a été adopté à la majorité, en deuxième lecture par 72 voix contre 29, après son approbation par la commission de la justice trois semaines auparavant, le 5 juin 2024. A n'en pas douter, voilà un axe important de la réforme du système pénal: il va permettre de multiplier les opportunités de libération. De réhabilitation. Et de réinsertion des détenus. Le rôle du parquet sera renforcé dans la mise en œuvre des peines alternatives et le suivi de leur application; de larges compétences seront également confiées au juge qui aura un pouvoir discrétionnaire en la matière; le juge d'application des peines, lui, aura à connaître de leur mise en œuvre; enfin, la Délégation générale de à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) se voit attribuer une attribution particulière.
Absence d'approche participative
Ce texte a été finalisé de manière laborieuse avec des polémiques qui ont marqué les différentes étapes de sa préparation. Force est de relever que le débat a eu peu d'impact au sein de la société; il a été ainsi limité à certaines réactions de la majorité face à l'opposition lors des séances parlementaires; et il a été peu expliqué aux citoyens. Le mouvement associatif, lui, a pris position, avec l'Association marocaine des droits humains (AMDH), en relevant que c'était une revendication des défenseurs des droits de l'homme. Mais il a également critiqué l'absence d'une approche participative. Exception faite d'une consultation auprès du CNDH, la société civile a été marginalisée.
L'interpellation est élargie à un autre aspect: celui d'une politique pénale globale. Lors du débat parlementaire, le PJD a soulevé cette question particulière : " la solution principale au problème de la surpopulation pénale réside dans la rationalisation de la détention préventive, avec plus de 40 % de la population carcérale, en plus du taux élevé de récidive". Pour d'autres courants, il fallait que le code pénal et le code de procédure pénale soient réformés en premier, avant le texte sur les peines alternatives. L'arsenal devait être mis en place avant les mécanismes d'application. Une refonte globale de la politique pénale devait se faire pour dépénaliser les délits simples, ainsi que des peines liées aux libertés individuelles. Dans un autre registre, a été posé le problème du dilemme des droits effectifs des victimes. Comment leur expliquer que les coupables, dument condamnés donc, peuvent "acheter leur liberté ? Qu'en sera-t-il de réparation de leur préjudice ? Comment pourront-elles garder confiance en la justice? L'idée d'une distinction entre les peines alternatives et les mesures alternatives n'a pas été retenue : les premières regardent le travail d'intérêt général et l'amende journalière ; les secondes concernent la surveillance électronique, la restriction de certains droits ou 1'imposition de mesures de surveillance, de traitement ou de réhabilitation. Il faut encore mentionner d'autres situations particulières : celle d'une peine alternative si le condamné est mineur ; celle aussi du montant de l'amende journalière de 100 à 200 DH au minimum et de 2.000 à 5.000 DH au maximum en tenant compte de la capacité financière du condamné.
Périmètre
Cela dit, l'article premier de la loi définit le périmètre des peines alternatives: travaux d'intérêt général, surveillance électronique, restriction de certains droits ou imposition de certaines mesures de contrôle, enfin l'amende journalière. Les personnes concernées sont les condamnés à moins de 5 ans de prison ferme sauf en cas d'infractions graves (atteinte à la sécurité de l'État, terrorisme, traite des êtres humains, corruption, abus de pouvoir, dilapidation de l'argent public, crimes militaires, trafics d'organes, exploitation sexuelle des mineurs et des personnes en situation de handicap). Le travail d'intérêt général n'est pas rémunéré et se situe entre 40 et 3.600 heures au maximum; il doit être réalisé en faveur des services de l'État, des établissements publics, des collectivités locales et des établissements de charité (art.6). Trois heures de travail d'intérêt général équivalent à une journée de détention en prison.
Le placement sous surveillance électronique permet de libérer le condamné tout en l'astreignant à certaines obligations, notamment la restriction de ses déplacements. Le bracelet sera fixé au poignet où à la cheville. La durée de cette surveillance électronique est fixée par le tribunal. Mais qui assurera la gestion de ces bracelets ? Un large dispositif devra être mis sur pied en la matière - GPS, géorepérage, capteurs de mouvement, cryptage et stockage des données... C'est l'un des points de la réunion du Chef du gouvernement, le 19 novembre courant, avec des responsables concernés : mécanismes d'activation des peines alternatives, besoins administratifs et financiers et de gestion, étude des textes réglementaires d'application.
Il faut, par ailleurs, mentionner la restriction de certains droits des condamnées bénéficiaires de peines alternatives. Selon les dispositions de l'article 11, il s'agit de mettre le condamné à l'épreuve, d'examiner son comportement et sa disposition à réintégrer la société et à s'y réinsérer. Parmi les obligations à sa charge, il faut citer notamment celles-ci : une activité professionnelle, une formation ou une activité de réhabilitation; une résidence fixe; un pointage le cas échéant auprès de l'administration pénitentiaire, de la police, de la gendarmerie ou d'un bureau d'assistance sociale au tribunal; une cure de désintoxication ou de thérapie si nécessaire.
Un enjeu de société
Enfin, la peine alternative peut prendre une dernière forme; celle d'une amende journalière de 100 à 2.000 DH. Mais l'accès à cette peine est conditionné par la renonciation aux poursuites des victimes et éventuellement leur indemnisation, avec présentation d'un justificatif. En cas de non respect d'une peine alternative, le condamné se voit confronté à l'application de la peine initiale d'emprisonnement.
Un aspect important de la modernisation de la justice pénale au Maroc: telle est la philosophie de ce texte. Il ne s'agit pas seulement de désengorger les prisons qui comptent une surpopulation carcérale de plus de 102.000 détenus pour quelque 70.000 places et d'améliorer les chances de réinsertion. Il importe aussi de mettre à plat la politique pénale de détention préventive laquelle frappe 38% des détenus. Cela permet enfin de s'aligner sur les recommandations des conventions internationales ; et partant de faire évoluer l'état d'esprit d'une société encore attachée à l'enfermement carcéral comme réponse et traitement "légitime" du crime... Un enjeu de société au cœur des droits humains...
Par Mustapha Sehimi / quid.ma/national
Pour ce qui est des peines alternatives, ce projet de loi a été adopté à la majorité, en deuxième lecture par 72 voix contre 29, après son approbation par la commission de la justice trois semaines auparavant, le 5 juin 2024. A n'en pas douter, voilà un axe important de la réforme du système pénal: il va permettre de multiplier les opportunités de libération. De réhabilitation. Et de réinsertion des détenus. Le rôle du parquet sera renforcé dans la mise en œuvre des peines alternatives et le suivi de leur application; de larges compétences seront également confiées au juge qui aura un pouvoir discrétionnaire en la matière; le juge d'application des peines, lui, aura à connaître de leur mise en œuvre; enfin, la Délégation générale de à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) se voit attribuer une attribution particulière.
Absence d'approche participative
Ce texte a été finalisé de manière laborieuse avec des polémiques qui ont marqué les différentes étapes de sa préparation. Force est de relever que le débat a eu peu d'impact au sein de la société; il a été ainsi limité à certaines réactions de la majorité face à l'opposition lors des séances parlementaires; et il a été peu expliqué aux citoyens. Le mouvement associatif, lui, a pris position, avec l'Association marocaine des droits humains (AMDH), en relevant que c'était une revendication des défenseurs des droits de l'homme. Mais il a également critiqué l'absence d'une approche participative. Exception faite d'une consultation auprès du CNDH, la société civile a été marginalisée.
L'interpellation est élargie à un autre aspect: celui d'une politique pénale globale. Lors du débat parlementaire, le PJD a soulevé cette question particulière : " la solution principale au problème de la surpopulation pénale réside dans la rationalisation de la détention préventive, avec plus de 40 % de la population carcérale, en plus du taux élevé de récidive". Pour d'autres courants, il fallait que le code pénal et le code de procédure pénale soient réformés en premier, avant le texte sur les peines alternatives. L'arsenal devait être mis en place avant les mécanismes d'application. Une refonte globale de la politique pénale devait se faire pour dépénaliser les délits simples, ainsi que des peines liées aux libertés individuelles. Dans un autre registre, a été posé le problème du dilemme des droits effectifs des victimes. Comment leur expliquer que les coupables, dument condamnés donc, peuvent "acheter leur liberté ? Qu'en sera-t-il de réparation de leur préjudice ? Comment pourront-elles garder confiance en la justice? L'idée d'une distinction entre les peines alternatives et les mesures alternatives n'a pas été retenue : les premières regardent le travail d'intérêt général et l'amende journalière ; les secondes concernent la surveillance électronique, la restriction de certains droits ou 1'imposition de mesures de surveillance, de traitement ou de réhabilitation. Il faut encore mentionner d'autres situations particulières : celle d'une peine alternative si le condamné est mineur ; celle aussi du montant de l'amende journalière de 100 à 200 DH au minimum et de 2.000 à 5.000 DH au maximum en tenant compte de la capacité financière du condamné.
Périmètre
Cela dit, l'article premier de la loi définit le périmètre des peines alternatives: travaux d'intérêt général, surveillance électronique, restriction de certains droits ou imposition de certaines mesures de contrôle, enfin l'amende journalière. Les personnes concernées sont les condamnés à moins de 5 ans de prison ferme sauf en cas d'infractions graves (atteinte à la sécurité de l'État, terrorisme, traite des êtres humains, corruption, abus de pouvoir, dilapidation de l'argent public, crimes militaires, trafics d'organes, exploitation sexuelle des mineurs et des personnes en situation de handicap). Le travail d'intérêt général n'est pas rémunéré et se situe entre 40 et 3.600 heures au maximum; il doit être réalisé en faveur des services de l'État, des établissements publics, des collectivités locales et des établissements de charité (art.6). Trois heures de travail d'intérêt général équivalent à une journée de détention en prison.
Le placement sous surveillance électronique permet de libérer le condamné tout en l'astreignant à certaines obligations, notamment la restriction de ses déplacements. Le bracelet sera fixé au poignet où à la cheville. La durée de cette surveillance électronique est fixée par le tribunal. Mais qui assurera la gestion de ces bracelets ? Un large dispositif devra être mis sur pied en la matière - GPS, géorepérage, capteurs de mouvement, cryptage et stockage des données... C'est l'un des points de la réunion du Chef du gouvernement, le 19 novembre courant, avec des responsables concernés : mécanismes d'activation des peines alternatives, besoins administratifs et financiers et de gestion, étude des textes réglementaires d'application.
Il faut, par ailleurs, mentionner la restriction de certains droits des condamnées bénéficiaires de peines alternatives. Selon les dispositions de l'article 11, il s'agit de mettre le condamné à l'épreuve, d'examiner son comportement et sa disposition à réintégrer la société et à s'y réinsérer. Parmi les obligations à sa charge, il faut citer notamment celles-ci : une activité professionnelle, une formation ou une activité de réhabilitation; une résidence fixe; un pointage le cas échéant auprès de l'administration pénitentiaire, de la police, de la gendarmerie ou d'un bureau d'assistance sociale au tribunal; une cure de désintoxication ou de thérapie si nécessaire.
Un enjeu de société
Enfin, la peine alternative peut prendre une dernière forme; celle d'une amende journalière de 100 à 2.000 DH. Mais l'accès à cette peine est conditionné par la renonciation aux poursuites des victimes et éventuellement leur indemnisation, avec présentation d'un justificatif. En cas de non respect d'une peine alternative, le condamné se voit confronté à l'application de la peine initiale d'emprisonnement.
Un aspect important de la modernisation de la justice pénale au Maroc: telle est la philosophie de ce texte. Il ne s'agit pas seulement de désengorger les prisons qui comptent une surpopulation carcérale de plus de 102.000 détenus pour quelque 70.000 places et d'améliorer les chances de réinsertion. Il importe aussi de mettre à plat la politique pénale de détention préventive laquelle frappe 38% des détenus. Cela permet enfin de s'aligner sur les recommandations des conventions internationales ; et partant de faire évoluer l'état d'esprit d'une société encore attachée à l'enfermement carcéral comme réponse et traitement "légitime" du crime... Un enjeu de société au cœur des droits humains...
Par Mustapha Sehimi / quid.ma/national
Débat - Podcast : les chroniqueurs de la Web Radio débattent des idées contenues dans cet article à travers ces questions :
Quelle est l'efficacité des peines alternatives au Maroc ?
Comment la société marocaine perçoit-elle ces nouvelles peines ?
Quels sont les défis de la mise en œuvre de cette réforme ?
Comment la société marocaine perçoit-elle ces nouvelles peines ?
Quels sont les défis de la mise en œuvre de cette réforme ?