Par Hicham EL AADNANI Consultant en Intelligence stratégique et communication d’influence
La Chine, faiseuse de paix
Sous l’égide de la Chine, L’Iran et l’Arabie Saoudite ont décidé le 10 mars dernier à Pékin de rétablir leurs relations diplomatiques. Un coup de théâtre qui a pris de court beaucoup d’observateurs et chancelleries dans la région et bien au-delà. La surprise est d’autant plus grande que beaucoup s’attendaient plutôt à des pourparlers entre Israël et l’Arabie Saoudite dans le cadre des accords dits d’Abrahams. Mais c’est finalement l’habileté diplomatique chinoise, une combinaison de pragmatisme, de patience et de stratégie à long terme, qui a permis de réconcilier les deux rivaux du monde musulman.
Rappelons ici que la Chine n’est pas à son premier coup d’essai. Déjà en 2016, alors que les tensions entre l'Iran et l'Arabie Saoudite étaient à leur apogée, la Chine a pris l'initiative de proposer une médiation entre les deux parties. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a visité les deux pays dans le but de faciliter des pourparlers entre les dirigeants iraniens et saoudiens. La Chine a également organisé une réunion trilatérale entre la Russie, l'Iran et l'Arabie Saoudite pour discuter des moyens de résoudre la crise en Syrie, qui est un point de tension clé dans les relations entre les deux pays.
Cette reprise des relations diplomatiques entre les deux pays n’est ni un accord total sur tous les différends qui opposent les deux pays ni dans les pays où ils s’affrontent par proxy. Si l’Irak reste une ligne rouge pour l’Iran, cette dernière pourrait lâcher du lest au Liban et en Syrie tout en partageant à parts égales son influence sur le Yémen avec l’Arabie Saoudite. Le plus important est que tout ceci fera l’objet de discussions directes dorénavant entre les deux pays.
Le paysage après la bataille
Le Yémen :
Riyad a pris la tête d'une coalition soutenue par l'Occident contre le mouvement Houthi au Yémen en 2015, après que le groupe allié à l'Iran a déposé le gouvernement internationalement reconnu dans la capitale, Sanaa. Depuis des années, le conflit est dans une impasse militaire. Les Houthis, autorités de facto dans le nord du Yémen et détenteurs de régions frontalières avec l'Arabie saoudite, ont lancé à plusieurs reprises des attaques de missiles et de drones contre le royaume.
À la suite d'un cessez-le-feu conclu sous l'égide de l'ONU, Riyad et les Houthis ont repris les négociations directes avec l'aide d'Oman en 2017. Le cessez-le-feu a expiré en octobre dernier, mais le statu quo a été maintenu pour l'essentiel. En principe, le rétablissement des relations entre Riyad et Téhéran pourrait faciliter la conclusion d'un accord définitif entre l'Arabie saoudite et les Houthis.
Rappelons que ce conflit a également été une source de tension entre les États-Unis et l'Arabie saoudite depuis l’élection du président Joseph Biden, qui a imposé des restrictions sur les ventes d'armes américaines à Riyad.
La Syrie :
L'Iran a apporté à Bachar el-Assad un soutien militaire, économique et diplomatique depuis que la répression des manifestations en 2011 l'a isolé. La Chine, qui a favorisé la reprise diplomatique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, a également défendu la Syrie aux Nations-Unies et a maintenu des liens politiques et économiques avec Damas. Riyad a d'abord soutenu les rebelles qui tentaient de renverser Assad afin d'affaiblir Téhéran. Le soutien saoudien à l'opposition armée et politique a diminué à mesure que l'aide de l'Iran et surtout de la Russie a permis à Assad de renverser la vapeur en sa faveur.
Notons que l'accord saoudo-iranien coïncide avec le dégel de l'isolement arabe d'Assad. L'Arabie saoudite a en effet déclaré qu'un engagement accru pourrait permettre à la Syrie de réintégrer la Ligue arabe. Tandis que le ministère syrien des affaires étrangères a salué l'accord en affirmant que c’est une "mesure essentielle" susceptible de promouvoir la stabilité régionale.
Le Liban :
Depuis de nombreuses années, la politique libanaise est divisée entre une alliance pro-iranienne commandée par le puissant groupe armé Hezbollah et une coalition pro-saoudienne. L'Arabie Saoudite et d'autres États arabes du Golfe ont retiré leurs ambassadeurs du Liban en 2021, invoquant le contrôle du Hezbollah sur le pays.
Depuis le retour des émissaires, la crise financière du Liban s'est aggravée et le pays est désormais confronté à une crise politique sans précédent. Sans président depuis des mois et avec un cabinet aux pouvoirs limités.
La reprise des relations diplomatiques entre Téhéran et Riyad a suscité l'optimisme quant à la fin prochaine de la paralysie. Selon le président du Parlement, Nabih Berri, "l'interprétation positive" de la nouvelle devrait inciter les libanais à élire "immédiatement" un président. Pour sa part, le Hezbollah a décrit l'accord comme un développement positif, mais a averti que ses ramifications complètes restaient incertaines. Le groupe chiite a soutenu la candidature du politicien chrétien Suleiman Frangieh à la présidence, alors que l'Arabie Saoudite s'y oppose. Ira-t-on vers un consensus ?
Israël :
Les relations diplomatiques entre Israël et l'Arabie saoudite ont été longtemps tendues et marquées par des divergences profondes en matière de politique étrangère notamment à cause de la question palestinienne. Cependant, ces dernières années, et il y a eu un changement significatif dans la dynamique de ces relations, avec des signes d'une possible normalisation des liens entre les deux pays. Cette évolution peut être en partie attribuée à un changement de leadership en Arabie-Saoudite. Le prince héritier Mohammed bin Salman a pris les rênes du pouvoir en 2017 et a commencé à mettre en œuvre des réformes économiques et sociales audacieuses pour moderniser le royaume.
Des signes d'un rapprochement entre Israël et l'Arabie Saoudite ont été de plus en plus visibles ces dernières années. En 2018, les responsables saoudiens ont autorisé un vol commercial israélien à traverser leur espace aérien pour la première fois. En 2019, le prince héritier MBS a déclaré que les Israéliens avaient le droit de vivre en paix dans leur propre État. Cette déclaration a été considérée comme un changement significatif dans la position de l'Arabie Saoudite sur Israël.
Israël rêve d’un accord diplomatique historique avec Riayd et cette dernière a posé ses conditions à Washington : des garanties de sécurité et une aide pour développer un programme nucléaire civil ainsi que la levée de la restriction de vente d’armes imposée par l’administration Biden. Seulement, il est peu probable que les Etats-Unis puissent répondre favorablement aux exigences saoudiennes selon des propos de responsables américains rapportés par la radio israélienne Kan. Ce sont très probablement ces réticences américaines qui auraient définitivement convaincu les saoudiens à discuter avec le rival iranien et brisé le rêve de Tel Aviv.
Quand le pragmatisme prend le dessus sur l’idéologie
Quand l’intérêt national prime sur l’idéologie et quand la recherche de compromis l’emporte, l’entente est toujours possible. L’accord conclu à Pékin entre l’Iran et l’Arabie Saoudite démontre qu’il n’existe pas davantage d’hostilité atavique entre sunnites et chiites qu’entre Arabes et Persans. Iran et Arabie Saoudite sont des pays en transition. Le premier essaie de faire passer au second plan le transnationalisme islamique pour une politique autocentrée et le second à passer de l’illusion rentière sanctifiée par le wahhabisme à la rationalité économique.
Et puis finalement, la politique américaine de mise au pas de l’Iran et d’éloignement de l’Arabie Saoudite a favorisé l’évolution des alliances et des oppositions dans la région. Un régime iranien affaibli par les sanctions et un pouvoir saoudien simultanément sur le qui-vive sous l’effet de l’épuisement de la rente sécuritaire américaine dans le Golfe ont pu trouver un modus vivendi pour sceller un rapprochement dont nous verrons comment il va évoluer au cours des futurs mois.
Par Hicham EL AADNANI
Consultant en Intelligence stratégique et communication d’influence
Sous l’égide de la Chine, L’Iran et l’Arabie Saoudite ont décidé le 10 mars dernier à Pékin de rétablir leurs relations diplomatiques. Un coup de théâtre qui a pris de court beaucoup d’observateurs et chancelleries dans la région et bien au-delà. La surprise est d’autant plus grande que beaucoup s’attendaient plutôt à des pourparlers entre Israël et l’Arabie Saoudite dans le cadre des accords dits d’Abrahams. Mais c’est finalement l’habileté diplomatique chinoise, une combinaison de pragmatisme, de patience et de stratégie à long terme, qui a permis de réconcilier les deux rivaux du monde musulman.
Rappelons ici que la Chine n’est pas à son premier coup d’essai. Déjà en 2016, alors que les tensions entre l'Iran et l'Arabie Saoudite étaient à leur apogée, la Chine a pris l'initiative de proposer une médiation entre les deux parties. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a visité les deux pays dans le but de faciliter des pourparlers entre les dirigeants iraniens et saoudiens. La Chine a également organisé une réunion trilatérale entre la Russie, l'Iran et l'Arabie Saoudite pour discuter des moyens de résoudre la crise en Syrie, qui est un point de tension clé dans les relations entre les deux pays.
Cette reprise des relations diplomatiques entre les deux pays n’est ni un accord total sur tous les différends qui opposent les deux pays ni dans les pays où ils s’affrontent par proxy. Si l’Irak reste une ligne rouge pour l’Iran, cette dernière pourrait lâcher du lest au Liban et en Syrie tout en partageant à parts égales son influence sur le Yémen avec l’Arabie Saoudite. Le plus important est que tout ceci fera l’objet de discussions directes dorénavant entre les deux pays.
Le paysage après la bataille
Le Yémen :
Riyad a pris la tête d'une coalition soutenue par l'Occident contre le mouvement Houthi au Yémen en 2015, après que le groupe allié à l'Iran a déposé le gouvernement internationalement reconnu dans la capitale, Sanaa. Depuis des années, le conflit est dans une impasse militaire. Les Houthis, autorités de facto dans le nord du Yémen et détenteurs de régions frontalières avec l'Arabie saoudite, ont lancé à plusieurs reprises des attaques de missiles et de drones contre le royaume.
À la suite d'un cessez-le-feu conclu sous l'égide de l'ONU, Riyad et les Houthis ont repris les négociations directes avec l'aide d'Oman en 2017. Le cessez-le-feu a expiré en octobre dernier, mais le statu quo a été maintenu pour l'essentiel. En principe, le rétablissement des relations entre Riyad et Téhéran pourrait faciliter la conclusion d'un accord définitif entre l'Arabie saoudite et les Houthis.
Rappelons que ce conflit a également été une source de tension entre les États-Unis et l'Arabie saoudite depuis l’élection du président Joseph Biden, qui a imposé des restrictions sur les ventes d'armes américaines à Riyad.
La Syrie :
L'Iran a apporté à Bachar el-Assad un soutien militaire, économique et diplomatique depuis que la répression des manifestations en 2011 l'a isolé. La Chine, qui a favorisé la reprise diplomatique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, a également défendu la Syrie aux Nations-Unies et a maintenu des liens politiques et économiques avec Damas. Riyad a d'abord soutenu les rebelles qui tentaient de renverser Assad afin d'affaiblir Téhéran. Le soutien saoudien à l'opposition armée et politique a diminué à mesure que l'aide de l'Iran et surtout de la Russie a permis à Assad de renverser la vapeur en sa faveur.
Notons que l'accord saoudo-iranien coïncide avec le dégel de l'isolement arabe d'Assad. L'Arabie saoudite a en effet déclaré qu'un engagement accru pourrait permettre à la Syrie de réintégrer la Ligue arabe. Tandis que le ministère syrien des affaires étrangères a salué l'accord en affirmant que c’est une "mesure essentielle" susceptible de promouvoir la stabilité régionale.
Le Liban :
Depuis de nombreuses années, la politique libanaise est divisée entre une alliance pro-iranienne commandée par le puissant groupe armé Hezbollah et une coalition pro-saoudienne. L'Arabie Saoudite et d'autres États arabes du Golfe ont retiré leurs ambassadeurs du Liban en 2021, invoquant le contrôle du Hezbollah sur le pays.
Depuis le retour des émissaires, la crise financière du Liban s'est aggravée et le pays est désormais confronté à une crise politique sans précédent. Sans président depuis des mois et avec un cabinet aux pouvoirs limités.
La reprise des relations diplomatiques entre Téhéran et Riyad a suscité l'optimisme quant à la fin prochaine de la paralysie. Selon le président du Parlement, Nabih Berri, "l'interprétation positive" de la nouvelle devrait inciter les libanais à élire "immédiatement" un président. Pour sa part, le Hezbollah a décrit l'accord comme un développement positif, mais a averti que ses ramifications complètes restaient incertaines. Le groupe chiite a soutenu la candidature du politicien chrétien Suleiman Frangieh à la présidence, alors que l'Arabie Saoudite s'y oppose. Ira-t-on vers un consensus ?
Israël :
Les relations diplomatiques entre Israël et l'Arabie saoudite ont été longtemps tendues et marquées par des divergences profondes en matière de politique étrangère notamment à cause de la question palestinienne. Cependant, ces dernières années, et il y a eu un changement significatif dans la dynamique de ces relations, avec des signes d'une possible normalisation des liens entre les deux pays. Cette évolution peut être en partie attribuée à un changement de leadership en Arabie-Saoudite. Le prince héritier Mohammed bin Salman a pris les rênes du pouvoir en 2017 et a commencé à mettre en œuvre des réformes économiques et sociales audacieuses pour moderniser le royaume.
Des signes d'un rapprochement entre Israël et l'Arabie Saoudite ont été de plus en plus visibles ces dernières années. En 2018, les responsables saoudiens ont autorisé un vol commercial israélien à traverser leur espace aérien pour la première fois. En 2019, le prince héritier MBS a déclaré que les Israéliens avaient le droit de vivre en paix dans leur propre État. Cette déclaration a été considérée comme un changement significatif dans la position de l'Arabie Saoudite sur Israël.
Israël rêve d’un accord diplomatique historique avec Riayd et cette dernière a posé ses conditions à Washington : des garanties de sécurité et une aide pour développer un programme nucléaire civil ainsi que la levée de la restriction de vente d’armes imposée par l’administration Biden. Seulement, il est peu probable que les Etats-Unis puissent répondre favorablement aux exigences saoudiennes selon des propos de responsables américains rapportés par la radio israélienne Kan. Ce sont très probablement ces réticences américaines qui auraient définitivement convaincu les saoudiens à discuter avec le rival iranien et brisé le rêve de Tel Aviv.
Quand le pragmatisme prend le dessus sur l’idéologie
Quand l’intérêt national prime sur l’idéologie et quand la recherche de compromis l’emporte, l’entente est toujours possible. L’accord conclu à Pékin entre l’Iran et l’Arabie Saoudite démontre qu’il n’existe pas davantage d’hostilité atavique entre sunnites et chiites qu’entre Arabes et Persans. Iran et Arabie Saoudite sont des pays en transition. Le premier essaie de faire passer au second plan le transnationalisme islamique pour une politique autocentrée et le second à passer de l’illusion rentière sanctifiée par le wahhabisme à la rationalité économique.
Et puis finalement, la politique américaine de mise au pas de l’Iran et d’éloignement de l’Arabie Saoudite a favorisé l’évolution des alliances et des oppositions dans la région. Un régime iranien affaibli par les sanctions et un pouvoir saoudien simultanément sur le qui-vive sous l’effet de l’épuisement de la rente sécuritaire américaine dans le Golfe ont pu trouver un modus vivendi pour sceller un rapprochement dont nous verrons comment il va évoluer au cours des futurs mois.
Par Hicham EL AADNANI
Consultant en Intelligence stratégique et communication d’influence