Par Aziz Boucetta
Chacun se souvient de ce formidable et irrésistible élan de solidarité populaire, citoyenne, dès le lendemain du tremblement de terre. Partout au Maroc, les grandes surfaces avaient été vidées, les gens achetant ce qu’ils pouvaient pour venir en aide aux victimes ; des convois de centaines de véhicules prenaient la route de la montagne, bravant le danger des répliques, des éboulis et des effondrements. Le roi Mohammed VI s’était personnellement impliqué dès la survenue du drame, coordonnant à son niveau l’ensemble des secours, déblaiement, approvisionnements, déplacements des sinistrés, déblocage de budgets importants.
Dix-huit mois plus tard, quel est le bilan de la reconstruction ? Où en est-on ? Le gouvernement affirme que tout va bien, les associations sont plus sceptiques, plus mesurées, plus nuancées ; non, disent-elles, tout ne va pas bien, et parfois, ça ne va pas du tout. La vérité et la réalité doivent se situer quelque part entre les deux ; on ne peut décemment pas dire que les pouvoirs publics n’aient rien fait, de même que l’on ne peut donner crédit à tous ces chiffres de réalisations qui ne correspondent pas à la force des images de gens sinistrés et à l’impact de leurs témoignages.
Entre les décisions prises au plus haut niveau politique et leur déclinaison sur le terrain, on relève des déperditions. Qui entre dans le cadre des programmes ? Comment se comportent les responsables ? Les chiffres fournis par le gouvernement ou la préfecture sont-ils vraiment fiables et, puisque c’est certainement oui, comment les prouver alors que tant de témoignages terribles affluent de plus en plus des régions concernées ? Ce qui ressort de manière insistante est que si l’Intérieur fait son travail dans l’excellence requise (avec les brebis galeuses qui confirment la règle), le département de l’Aménagement du territoire national, de l’Habitat, etc… et le groupe al Omrane restent à la traîne.
Le 20 septembre 2023, douze jours après que la terre eut tremblé, le roi Mohammed VI avait présidé une réunion lors de laquelle de grandes décisions avaient été prises. Parmi elles, « le souverain a de nouveau insisté sur l’importance d’être à l’écoute permanente de la population locale afin de lui apporter des solutions adaptées, tout en accordant l’importance nécessaire à la dimension environnementale et en veillant à respecter le patrimoine unique et les traditions et modes de vie de chaque région ». Cela a-t-il été réalisé ? Il faut croire que non, sauf à considérer que toutes les personnes témoignant à visage découvert mentent !
Et de fait, comme ailleurs, comme pour d’autres grandes problématiques nationales, une coordination nationale a vu le jour, une coordination des victimes et de leurs associations. Il faudrait s’inquiéter, ou au moins s’interroger, sur la raison de la création de ces coordinations, dans le domaine de l’éducation nationale, des étudiants en médecine et en pharmacie… et aujourd’hui des victimes du séisme d’al Haouz. Pourquoi ? Pour les mêmes raisons qu’ailleurs, en l’occurrence une absence des corps intermédiaires comme les partis politiques. Seul le PPS, à son habitude, est monté au créneau pour réclamer fin décembre dernier une commission d’enquête, « pour évaluer l’avancement des opérations de reconstruction, d’hébergement et de réhabilitation des zones sinistrées ». On n’en a plus entendu parler depuis… Le PJD aussi s'était élevé contre des pratiques de corruption dans les opérations de recensement et de corruption, ce qui avait immédiatement déclenché une investigation de l'Intérieur, elle-même ayant débouché sur plusieurs arrestations.
Et si cette coordination ne nie aucunement les efforts consentis par l’Etat, elle épingle néanmoins les retards, les dysfonctionnements, les entraves administratives et surtout, les terribles conditions de vie actuelles des sinistrés, ou du moins d’un bon nombre entre eux. Et la coordination met la pression, exacerbe les tensions et appelle à des manifestations.
Ce qui est difficile à comprendre, et même à admettre, est que l’Etat marocain, engagé dans la réhabilitation de pleins quartiers de ses grandes villes (Casablanca, Rabat, Marrakech) multiplie les expropriations et leur recasement ailleurs, ce qui signifie que les pouvoirs publics ont les moyens financiers, matériels et techniques de reloger, même provisoirement, dans des conditions dignes, ces sinistrés du séisme. Les autorités délogent des gens qui n’ont rien demandé et les relogent ; elles devraient pouvoir le faire avec les gens du Haouz qui, eux aussi, n’ont rien demandé et ont même vécu un drame.
Et comment faire comprendre à ces personnes sinistrées, à cette coordination, que le Maroc, capable de réaliser des miracles d’organisation, appelé à construire stades, routes, autoroutes, LGV… pour la CAN et le Mondial, surmontant toutes les difficultés d’ordre organisationnel et financier, demeure incapable de satisfaire les populations victimes du tremblement de terre ? Et satisfaire, c’est bien plus dans le sérieux et l’intention que dans la réalisation finale ; les gens veulent juste être convaincus que le travail est fait, en continu, qu’ils ne sont pas oubliés, laissés pour compte… qu’ils ne sont pas livrés aux méfaits des mafias de la corruption, suite à de forts soupçons consécutifs à l’arrestation de plusieurs personnes en janvier 2025 !
Et bien évidemment, encore une fois, c’est le manque de communication, d’explication qui fait autant de mal que le mal lui-même. Les gens comprennent qu’un séisme, c’est pour certains un risque naturel, pour d’autres une volonté divine, mais ils ne comprennent pas ce qu’ils considèrent comme des atermoiements ou, plus grave, une nonchalance (pour éviter le terme indifférence) des autorités en charge de leur drame.
M. Akhannouch, Mme Mansouri, M. El Ghazaoui d’al Omrane, c’est quand vous voulez, pour aller devant l’opinion publique et expliquer ce qui se passe, ce qui ne s’est pas fait et pourquoi n’a-t-il pas été fait.
Aziz Boucetta