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PAR MUSTAPHA SEHIMI
Il n'a pas prêché sur un thème conventionnel de référence religieuse, mais sur autre chose : 1a Mauritanie, Tindouf et le Sahara marocain, Assurément, c'est son droit. Sauf à préciser qu'il a délibérément pris position sur des thèmes qui ont finalement un point commun : celui de cristalliser les relations avec les deux pays maghrébins.
La marche des oulémas vers Tindouf...
Pour ce qui est du voisin du sud, ses propos sont abrupts : l'existence de ce pays limitrophe était une "erreur". Et d'ajouter que le Maroc doit retrouver la géographie qu'il avait avant la colonisation européenne, alors que la Mauritanie en était une partie intégrante. Il concède cependant que ce pays indépendant est un "fait aujourd'hui" ... Une déclaration qualifiée en tout cas à Nouakchott d'"insulte inappropriée et inacceptable" à la Mauritanie et à son peuple. Des excuses publiques lui ont été demandées.
En Algérie, le tollé est tout aussi général mais de plus grande ampleur sans doute. C'est qu’il a proposé au peuple marocain de "marcher sur Tindouf en précisant que " les oulémas et prédicateurs marocains sont prêts à marcher sur Tindouf en Algérie, à condition que le Roi fasse appel à eux". Pourquoi des seuls hommes de religion ? Au nom de quel mandat ? Et puis comment justifie-t-il cet appel ? Une semaine plus tard, le 17 août, le voilà qui "corrige" ses déclarations en s'échinant laborieusement à les tempérer voire à les infirmer même en invoquant des justifications prêtant à sourire : ses propos ont été tronqués, c'était une discussion informelle...
Il explique ainsi qu'il a "appelé les oulémas et prédicateurs marocains à visiter les camps de Tindouf, dans le but de communiquer et dialoguer avec leurs frères sahraouis marocains qui y sont séquestrés , évoquer avec eux l'unité et la fraternité que nous partageons avec eux , et l'absurdité du projet séparatiste pour lequel se bat le Front Polisario, soutenu et contrôlé par l'armée algérienne". Il a aussi relevé l'impact subi par "tous les pays maghrébins par suite du différend du Sahara marocain". Il a encore tenu à ajouter qu'il s'agit des cinq pays du Maghreb appelés à régler ce problème " en urgence" en ce qu'il "freine " l'unité et le développement de la région ; et qu'il "met en péril " sa paix et sa stabilité.
Ce qui frappe, du côté du voisin de l'est cette fois, c'est la virulence des réactions. Le FLN dénonce des "déclarations dangereuses" et "irresponsables". Il est même traité de haineux, ignorant et niant les valeurs de l’Islam", appelant à la Fitnah, aux combats entre musulmans..." Ce parti au pouvoir n'a pas manqué au passage de s'en prendre à la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Il considère qu'il "aurait été plus approprié pour Raissouni d'appeler à des rassemblements de masse dans diverses villes du Maroc contre la normalisation avec l'entité sioniste" et contre le régime du Makhzen qui a vendu la Palestine". A noter que ces mêmes éléments de langage sont pratiquement repris par d'autres formations : le mouvement El Binaa, le Mouvement de la société pour la paix (MSP), de référentiel islamiste, et d’autres.
Un travail de sape
Au total, quelle interprétation donner à ce brûlot de Raissouni ? Est-il irresponsable ? Certainement pas. Est-il inconséquent ? Pas davantage. Son parcours heurté depuis des décennies témoigne plutôt d'une opération politique préparée de longue main qui a fait l'objet d'une interview d'une heure. Quels sont alors les visées que cette déclaration nourrit ? Porter atteinte aux intérêts diplomatiques du Royaume. La référence à la Mauritanie est le premier élément de cette approche alors que les relations entre Rabat et Nouakchott enregistrent un réchauffement et davantage de coopération dans de nombreux secteurs.
L'autre référence à Tindouf n'est pas neutre non plus. Elle ne pouvait en effet que polariser et crisper de nouveau les relations bilatérales avec Alger sur des questions d'une grande sensibilité pendante depuis plus d'un demi-siècle. Au moment où SM le Roi réitère la politique de la main tendue dont l'expression la plus forte a été son discours du Trône du 30 juillet dernier, Raissouni fait un travail de sape ravivant certaines préventions des officiels du voisin de l’est encore vivaces quant à la politique du Maroc en direction de l'Algérie. Il s'écarte en même temps des principes de paix et de fraternité devant présider aux rapports entre musulmans, lui qui a la charge de la l’Union internationale des oulémas. Il se déshonore ; et il serait bien inspiré de remettre son tablier à cette institution internationale qui l’a désavoué. Cela porte un nom : la dignité et de l'éthique...
Cela dit, la mouvance dont il a été un dirigeant historique ne cache pas un certain embarras. Il a en effet cofondé le Mouvement unicité et réforme (MUR) qui est le socle idéologique du PJD, et ce de 1996 à 2003. Ecarté par les frères", au lendemain des attentats de Casablanca, cette année-là, il s’exile volontairement en Arabie saoudite puis au Qatar. Critique sur le statut de la "Commanderie des croyants" (imarat al mouminine), il a ainsi défendu la séparation des pouvoirs politique et religieux au Maroc.
Il a fallu une huitaine de jours à Abdalilah Benkirane, responsable du PJD pour se distancier quelque peu, a minima pourrait-on dire, des déclarations de Raissouni qui" ne reflètent pas les positions du PJD", a-t-il précisé dans une brève réaction au média qatari, basé à Londres. Dans le même temps, d'autres figures au sein de cette même formation - Abdelali Hamieddine et Abdesselam Bellaji - se sont déportés ailleurs en dénonçant la campagne médiatique algérienne contre Raissouni. Le PJD ne condamne pas en tout cas : il gère Raissouni mais aussi son quant à soi historique et idéologique...