-Pourquoi avoir choisi « LMoutchou » comme titre ?
- Je reconnais que j’ai beaucoup hésité avant de choisir le titre du roman. L’Moutchou est un nom souvent employé pour désigner les jeunes gens. Pour appréhender le roman, il est préférable que le lecteur connaisse, ne serait-ce que la culture marocaine et ses spécificités. Il ne faut pas confondre le héros du roman avec le journaliste Sliman Raissouni, comme l’ont cru certains.
- À lire le roman, on comprend que le monde arabe a manqué son rendez-vous avec l’Histoire. Pourquoi ?
- J’ai fait allusion à l’un des livres précieux de Jean Lacouture, intitulé « Un siècle pour rien ». En réalité, le monde arabe a été porteur d’espoir, après l’émancipation de la tutelle coloniale. Après la conférence de Bandung des non-alignés, le monde arabe a été perçu comme une surpuissance culturelle aux côtés de la Chine et l’Inde. Mais, il a raté son rendez-vous avec l’Histoire pour plusieurs raisons. De mon point de vue, le monde arabe n’a toujours pas réglé plusieurs problèmes culturels, dont la nature du système politique, la répartition de la richesse, son rapport à la modernité, etc... Mais il est difficile de comprendre les échecs du passé sans parler du rapport des Arabes avec autrui, c’est-à-dire l’Occident. Ce n’est pas un hasard que j’ai cité le livre de Samir Kassir qui attribue les tourments et les échecs du monde arabe à « la malédiction de la géographie » et la proximité de l’Occident. Personnellement, je tends à partager cette vision.
-On a l’impression de découvrir dans le roman une idée selon laquelle l’Occident entraverait le progrès du monde arabe. Est-ce vrai ?
-On entend souvent parler d’Occident sans comprendre sa signification sachant que ce vocale a évolué. Au début, l’Occident renvoyait à la philosophie des lumières avant d’être associé à la mission civilisatrice des Européens lors des conquêtes coloniales des peuples jugés inférieurs. Ensuite, l’Occident s’est érigé en opposition au fascisme et au communisme avant de s’affirmer dans un rapport antagoniste au radicalisme islamique.
A mon sens, il faut distinguer l’Occident de certaines politiques menées par les pays occidentaux à l’égard du monde arabe. En fait, le concept même du monde arabe est le produit des Occidentaux qui, ne l’oublions pas, ont façonné la géographie du monde arabe par le découpage colonial. La naissance de ce qu’on appelle « le monde arabe » s’est faite en deux étapes. La première coïncide avec « le British moment »(l’époque de la superpuissance britannique) qui a donné naissance au Moyen Orient avec le contrôle du pétrole, la promesse de Balfour qui a donné lieu à la création de l’Etat d’Israël et l’échec de l’unité du Royaume arabe uni. Puis le « british moment » a cédé la place à la « pax Americana », c’est-à-dire l’avènement de la domination américaine du monde. Il y a eu un changement de décor mais la recette est restée la même : soutien indéfectible à Israël, mainmise sur le pétrole et empêchement de tout projet d’unité arabe. Tout cela pour dire qu’il est impossible de penser notre propre situation sans s’intéresser à l’autre, et notamment l’Occident avec, évidemment, un esprit critique. C’est une partie de l’équation.
-Dans le roman, nous rencontrons le personnage de « Bennis », en état de mort cérébrale. Vous comparez son cas à l’état actuel du monde arabe. Pourquoi une telle analogie ?
- J’ai considéré que le monde arabe est entré dans une période de coma. J’ai illustré cet état dans la détresse de Bennis qui, en perdant la notion du temps, son esprit est perdu entre le passé et le présent. C’est l’un des malheurs des sociétés arabes qui vivent également cet enchevêtrement des époques. Au sein même de nos sociétés, on trouve des gens qui vivent pleinement la modernité et se sentent épanouis dans la mondialisation tandis que d’autres demeurent relégués aux moyens âges. Ce décalage temporel est, à mes yeux, une des causes de ce malaise. Nous ne saurions atteindre la modernité sans que toutes les classes sociales vivent dans la même époque. Il ne faut plus se contenter de cette « modernité abrégée » et limitée à une partie de la population.
- Compte tenu de cette désillusion, l’idée de la « Oumma » a-t-elle encore un avenir ou s’agit-il d’une chimère ?
- Il est difficile d’avoir une réponse. Le monde arabe n’est pas un bloc soudé comme on aurait tendance à le croire. Il y a des différences ethniques, culturelles et religieuses. Cependant, le monde arabe a des problématiques communes, dont la question du pouvoir, sachant que les Etats ne sont pas encore hissés à la hauteur d’un contrat social clair. Sur le plan culturel, personne ne peut nier qu’on traverse une période de vacuité intellectuelle puisque l’arabe n’est toujours pas une langue de pensée et de savoir.
- Revenons au Maroc, on le présente souvent, vu son Histoire, comme un cas exceptionnel, un pays plus indépendant culturellement de l’Orient arabe. Etes-vous d’accord ?
- Je le pense effectivement. Je me rappelle que le journaliste Omar Saghi avait dit, un jour, que le Maroc est pour le monde arabe ce que la Grande Bretagne est à l’Europe. Il ne fait aucun doute qu’il y a une spécificité marocaine liée à l’Histoire et à la géographie.
Certes, nous avons des racines africaines, et nous regardons vers l’Europe. Or, il est incontestable que le Maroc demeure sensible à ce qui vient de l’Orient. L’Histoire contemporaine le montre, le Maroc a été imprégné par le nationalisme arabe et puis par la vague islamiste. Ce qu’on appelle « Printemps arabe » a eu aussi des répercussions au Maroc. Cela dit, nous sommes un morceau du monde arabe tout en ayant notre propre spécificité.
-Est-ce vrai que nous sommes une île encerclée, comme l’a dit un historien ?
- Cette idée émane d’André Charles Julien et a été reprise au Maroc. Lorsqu’on y croit, on renonce systématiquement à toute appartenance au Maghreb. Historiquement parlant, cette région est unie par la langue, une religion et une texture sociale et tribale quasi-identique. Je reconnais que le contexte politique tendu et la fermeture des frontières compliquent les choses. La discorde politique ne doit, pourtant, pas nous aveugler de voir la réalité avec un regard objectif. Nous avons une Histoire commune où le Maroc a toujours occupé une place centrale et n’a jamais été une périphérie.
- La question de la communauté juive marocaine et le rapport avec Israël sont évoqués dans le roman. On parle souvent de normalisation. Etes-vous d’accord avec ce terme ?
- Personnellement, je suis réticent à utiliser ce terme comme je n’emploie pas les autres qualificatifs telles que trahison, résignation, etc… J’essaye d’observer objectivement de qui s’est passé. Dans mon roman, LMoutchou a été au début indécis mais il est parvenu à la fin de l’Histoire, à trancher. C’est un sujet qu’il convient de traiter avec lucidité et flegme sans céder à l’émotion.
- Le roman critique la vacuité intellectuelle. Quel est le rôle des penseurs pour faire revivre la pensée et l’esprit critique dans nos pays ?
- Soyons honnêtes envers nous-mêmes. Il vaut mieux reconnaître ce constat plutôt que de continuer de se bercer d’illusions. Il est évident que le monde arabe ne produit pas de pensée au vrai sens du terme. On aura toujours besoin d’intellectuels parce qu’ils façonnent l’opinion en donnant un sens à la réalité. Il faut d’abord comprendre la réalité avec des instruments scientifiques. Autrement, on ne sera que des bibelots d'inanité sonore, comme l’a dit Jean Paul Sartre.
- Je reconnais que j’ai beaucoup hésité avant de choisir le titre du roman. L’Moutchou est un nom souvent employé pour désigner les jeunes gens. Pour appréhender le roman, il est préférable que le lecteur connaisse, ne serait-ce que la culture marocaine et ses spécificités. Il ne faut pas confondre le héros du roman avec le journaliste Sliman Raissouni, comme l’ont cru certains.
- À lire le roman, on comprend que le monde arabe a manqué son rendez-vous avec l’Histoire. Pourquoi ?
- J’ai fait allusion à l’un des livres précieux de Jean Lacouture, intitulé « Un siècle pour rien ». En réalité, le monde arabe a été porteur d’espoir, après l’émancipation de la tutelle coloniale. Après la conférence de Bandung des non-alignés, le monde arabe a été perçu comme une surpuissance culturelle aux côtés de la Chine et l’Inde. Mais, il a raté son rendez-vous avec l’Histoire pour plusieurs raisons. De mon point de vue, le monde arabe n’a toujours pas réglé plusieurs problèmes culturels, dont la nature du système politique, la répartition de la richesse, son rapport à la modernité, etc... Mais il est difficile de comprendre les échecs du passé sans parler du rapport des Arabes avec autrui, c’est-à-dire l’Occident. Ce n’est pas un hasard que j’ai cité le livre de Samir Kassir qui attribue les tourments et les échecs du monde arabe à « la malédiction de la géographie » et la proximité de l’Occident. Personnellement, je tends à partager cette vision.
-On a l’impression de découvrir dans le roman une idée selon laquelle l’Occident entraverait le progrès du monde arabe. Est-ce vrai ?
-On entend souvent parler d’Occident sans comprendre sa signification sachant que ce vocale a évolué. Au début, l’Occident renvoyait à la philosophie des lumières avant d’être associé à la mission civilisatrice des Européens lors des conquêtes coloniales des peuples jugés inférieurs. Ensuite, l’Occident s’est érigé en opposition au fascisme et au communisme avant de s’affirmer dans un rapport antagoniste au radicalisme islamique.
A mon sens, il faut distinguer l’Occident de certaines politiques menées par les pays occidentaux à l’égard du monde arabe. En fait, le concept même du monde arabe est le produit des Occidentaux qui, ne l’oublions pas, ont façonné la géographie du monde arabe par le découpage colonial. La naissance de ce qu’on appelle « le monde arabe » s’est faite en deux étapes. La première coïncide avec « le British moment »(l’époque de la superpuissance britannique) qui a donné naissance au Moyen Orient avec le contrôle du pétrole, la promesse de Balfour qui a donné lieu à la création de l’Etat d’Israël et l’échec de l’unité du Royaume arabe uni. Puis le « british moment » a cédé la place à la « pax Americana », c’est-à-dire l’avènement de la domination américaine du monde. Il y a eu un changement de décor mais la recette est restée la même : soutien indéfectible à Israël, mainmise sur le pétrole et empêchement de tout projet d’unité arabe. Tout cela pour dire qu’il est impossible de penser notre propre situation sans s’intéresser à l’autre, et notamment l’Occident avec, évidemment, un esprit critique. C’est une partie de l’équation.
-Dans le roman, nous rencontrons le personnage de « Bennis », en état de mort cérébrale. Vous comparez son cas à l’état actuel du monde arabe. Pourquoi une telle analogie ?
- J’ai considéré que le monde arabe est entré dans une période de coma. J’ai illustré cet état dans la détresse de Bennis qui, en perdant la notion du temps, son esprit est perdu entre le passé et le présent. C’est l’un des malheurs des sociétés arabes qui vivent également cet enchevêtrement des époques. Au sein même de nos sociétés, on trouve des gens qui vivent pleinement la modernité et se sentent épanouis dans la mondialisation tandis que d’autres demeurent relégués aux moyens âges. Ce décalage temporel est, à mes yeux, une des causes de ce malaise. Nous ne saurions atteindre la modernité sans que toutes les classes sociales vivent dans la même époque. Il ne faut plus se contenter de cette « modernité abrégée » et limitée à une partie de la population.
- Compte tenu de cette désillusion, l’idée de la « Oumma » a-t-elle encore un avenir ou s’agit-il d’une chimère ?
- Il est difficile d’avoir une réponse. Le monde arabe n’est pas un bloc soudé comme on aurait tendance à le croire. Il y a des différences ethniques, culturelles et religieuses. Cependant, le monde arabe a des problématiques communes, dont la question du pouvoir, sachant que les Etats ne sont pas encore hissés à la hauteur d’un contrat social clair. Sur le plan culturel, personne ne peut nier qu’on traverse une période de vacuité intellectuelle puisque l’arabe n’est toujours pas une langue de pensée et de savoir.
- Revenons au Maroc, on le présente souvent, vu son Histoire, comme un cas exceptionnel, un pays plus indépendant culturellement de l’Orient arabe. Etes-vous d’accord ?
- Je le pense effectivement. Je me rappelle que le journaliste Omar Saghi avait dit, un jour, que le Maroc est pour le monde arabe ce que la Grande Bretagne est à l’Europe. Il ne fait aucun doute qu’il y a une spécificité marocaine liée à l’Histoire et à la géographie.
Certes, nous avons des racines africaines, et nous regardons vers l’Europe. Or, il est incontestable que le Maroc demeure sensible à ce qui vient de l’Orient. L’Histoire contemporaine le montre, le Maroc a été imprégné par le nationalisme arabe et puis par la vague islamiste. Ce qu’on appelle « Printemps arabe » a eu aussi des répercussions au Maroc. Cela dit, nous sommes un morceau du monde arabe tout en ayant notre propre spécificité.
-Est-ce vrai que nous sommes une île encerclée, comme l’a dit un historien ?
- Cette idée émane d’André Charles Julien et a été reprise au Maroc. Lorsqu’on y croit, on renonce systématiquement à toute appartenance au Maghreb. Historiquement parlant, cette région est unie par la langue, une religion et une texture sociale et tribale quasi-identique. Je reconnais que le contexte politique tendu et la fermeture des frontières compliquent les choses. La discorde politique ne doit, pourtant, pas nous aveugler de voir la réalité avec un regard objectif. Nous avons une Histoire commune où le Maroc a toujours occupé une place centrale et n’a jamais été une périphérie.
- La question de la communauté juive marocaine et le rapport avec Israël sont évoqués dans le roman. On parle souvent de normalisation. Etes-vous d’accord avec ce terme ?
- Personnellement, je suis réticent à utiliser ce terme comme je n’emploie pas les autres qualificatifs telles que trahison, résignation, etc… J’essaye d’observer objectivement de qui s’est passé. Dans mon roman, LMoutchou a été au début indécis mais il est parvenu à la fin de l’Histoire, à trancher. C’est un sujet qu’il convient de traiter avec lucidité et flegme sans céder à l’émotion.
- Le roman critique la vacuité intellectuelle. Quel est le rôle des penseurs pour faire revivre la pensée et l’esprit critique dans nos pays ?
- Soyons honnêtes envers nous-mêmes. Il vaut mieux reconnaître ce constat plutôt que de continuer de se bercer d’illusions. Il est évident que le monde arabe ne produit pas de pensée au vrai sens du terme. On aura toujours besoin d’intellectuels parce qu’ils façonnent l’opinion en donnant un sens à la réalité. Il faut d’abord comprendre la réalité avec des instruments scientifiques. Autrement, on ne sera que des bibelots d'inanité sonore, comme l’a dit Jean Paul Sartre.