Ils sont là, en col blanc, lunettes carrées, badges qui brillent : les data farmers. Leur outil ? Pas la houe, mais l’algorithme. Leur champ ? Un cloud. Leur engrais ? Des tera-octets. À les entendre au SIAM 2025, l’agriculture du futur se fera avec des drones, des capteurs et des prédictions météo qui flirtent avec la divination.
L’intelligence artificielle, ou IA pour les intimes, est la nouvelle déesse tutélaire de l’agriculture marocaine. Elle promet de tout résoudre : la rareté de l’eau, les rendements faméliques, les ravageurs sournois, et même… les erreurs humaines. Un clic, et hop ! Semis au bon moment, irrigation millimétrée, engrais ciblés, rendement optimisé. C’est le rêve. Ou plutôt, c’est le pitch.
Car derrière cette rhétorique étincelante, la réalité est parfois plus rugueuse que le champ du voisin. L’IA agricole fonctionne là où il y a… de l’infrastructure, des données, de l’électricité, et un minimum de connectivité. Autant dire que dans bien des douars, l’IA pourrait être confondue avec le dernier-né d’un voisin.
Mais au-delà des contraintes techniques, la vraie question est politique. À qui appartiennent ces données agricoles collectées ? Qui contrôle l’algorithme qui dit quand et où irriguer ? Et si demain, le « cerveau » de nos fermes résidait dans une startup californienne ou une appli pilotée depuis Casablanca, où est la souveraineté agricole ?
Les promoteurs de l’AgriTech promettent une révolution douce, propre, calibrée. Et il faut leur reconnaître un mérite : ils posent les bases d’une nouvelle culture agricole. Mais encore faut-il que cette révolution ne laisse pas derrière elle les paysans les plus vulnérables. Car une IA qui ne comprend que les sols connectés est une IA qui ignore la moitié du pays.
L’avocat du diable : Siri ne connaît pas les saisons
L’intelligence artificielle est peut-être brillante, mais elle n’a jamais planté une patate. Elle ne sent pas la terre, ne voit pas le ciel, ne connaît pas la peur de perdre une récolte. Dans les salons, elle semble magique. Sur le terrain, elle est parfois myope. Trop souvent conçue pour des agricultures industrielles, elle peut devenir un outil d’exclusion silencieux : ceux qui n’ont pas les moyens ou la formation restent à l’écart. Pire : l’IA, à force de standardiser, pourrait appauvrir la diversité des savoirs locaux. Attention à ne pas remplacer les mains calleuses par des lignes de code trop lisses.
De l’agriculture connectée à l’agriculture enracinée, il n’y a qu’un pas... ou plutôt un compost. Quittons les datas pour revenir à la terre vivante. Voici l’agroécologie, cet art délicat de faire pousser l’espoir dans l’humus.