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Il faut vraiment être au Maroc pour réussir ce tour de force d’être à la confluence de trois espaces géoculturels et se trouver en délicatesse avec ses trois voisins. L’Algérie nous est résolument et durablement hostile, la Mauritanie se méfie de nous et l’Espagne nous considère comme une menace. Il faut chercher les raisons de cela dans l’Histoire.
Nos relations avec le royaume d’Espagne sont passionnelles, et remontent à loin, très loin… depuis ce jour de l’an de grâce 711 où Tariq Bnou Ziad traversa le Détroit de Gibraltar, inaugurant une occupation de huit siècles, que les Espagnols semblent avoir du mal à oublier. Puis, longtemps, très longtemps après, l’Espagne installe son protectorat au Maroc, mais quelques années après, c’était la bataille d’Anoual, qui allait aboutir finalement à la dictature militaire, puis à la guerre civile.
De « l’Espagnol fauché », expression dont les aînés se souviennent à l’Espagne 14ème puissance mondiale et 5ème en Europe, nos voisins septentrionaux ont fait du chemin et chemin faisant s’évertuent à nous mettre des bâtons dans les roues et les rouages. Les dernières vidéos montrant les brutalités de policiers contre des mineurs marocains à Las Palmas et l’affligeante sortie de la cheffe de la diplomatie espagnole après la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara montrent clairement l’hostilité (économiquement) refoulée des Espagnols. Et pourtant Madrid connaît bien l’histoire du Sahara…
Les Mauritaniens ne se remettent pas de la décennie 60, prise par le Maroc pour reconnaître son indépendance. Dépecé par les colonisations, le Maroc avait tenté de recouvrer l’ensemble de son territoire du 19ème siècle (le Maroc a conquis la Mauritanie au 17ème siècle, avec les Alaouites) et les Mauritaniens – et c’est bien compréhensible – n’ont jamais apprécié. Leur susceptibilité est à fleur de peau, au point de remuer ciel et terre quand Hamid Chabat, ancien secrétaire général du parti nationaliste de l’Istiqlal, avait revisité l’histoire en 2016, s’attirant les foudres de notre diplomatie qui ne veut froisser personne.
Depuis plusieurs décennies donc, Nouakchott et ses militaires ont soufflé le chaud et le froid, tentant une politique puis son contraire, œuvrant à exister dans cette région maghrébine qui n’en finit ni de naître ni de disparaître. Il faut dire que l’Algérie a un rôle dans cette situation…
… et l’Algérie. Il n’est nul besoin de faire offense à ce pays sur son histoire et ses relations tourmentées avec la France qui en avait fait des départements et pas une colonie. De l’Emir Abdelkader qui faisait allégeance aux monarques marocains à la guerre d’indépendance où le Maroc avait aidé, les Algériens ont leur propre lecture de l’Histoire de ces deux derniers siècles où leur pays fut créé par la France.
Puis il y eut la guerre des Sables de 1963 que les militaires algériens ont perdu, et dont ils gardent à ce jour le désagréable souvenir. Et comme ce sont toujours les militaires qui sont aux commandes, la paix n’est pas près d’être établie dans ce ménage maghrébin. Les Algériens officiels considèrent toujours le Maroc comme un ennemi… pas un adversaire ou un concurrent, un ennemi, ainsi que l’a récemment déclaré le chef de l’Armée Saïd Chengriha.
Des relations tourmentées, donc, avec son voisinage… et pourtant, le Maroc n’est plus belliqueux depuis des décennies, mais son Histoire a semble-t-il marqué ses voisins qui continuent de s’en défier, voire de s’en méfier. Que faut-il faire alors ? Peut-être tenir un discours de fermeté, puis de clarté et enfin de clarification avec les Espagnols qui ont la mémoire historique longue et un peu revancharde… l’établissement de véritables relations économiques avec des Mauritaniens gentils, avenants mais toujours méfiants… et beaucoup de patience avec nos amis Algériens, dans l’attente qu’ils se débarrassent de leurs dirigeants, militaires ou grabataires soient-ils.
Et ce sont ces trois attitudes, avec ces trois pays, que semble adopter l’Etat marocain, fronçant de plus en plus le sourcil à l’égard des Espagnols, caressant les Mauritaniens dans le sens du poil et tournant momentanément le dos aux Algériens.
Dans l’attente, et tandis que nos voisins font toute une histoire de l'Histoire, ce sont de pleins points de croissance que tout le monde perd !
Rédigé par Aziz Boucetta