Un Nouveau contrat social pour le Région MENA
En 2015, la sous-région Afrique du Nord et Moyen-Orient de la Banque mondiale publie un rapport intitulé « Vers un nouveau contrat social » (https://openknowledge.worldbank.org/).
Selon le rapport, les pays de la région avaient tous adopté une même stratégie de développement en dépit du fait que leurs économies diffèrent selon qu'elles exportent ou importent du pétrole.
D’après ce modèle, l'Etat « assurerait le système de santé et la scolarisation gratuits à tous les citoyens, soutiendrait les aliments de base et les carburants » et serait également le principal employeur, fournissant le plus grand nombre d'emplois via le secteur public. Ledit contrat entraine des succès économiques et sociaux importants dans la région arabe. Ledit contrat entraine des succès économiques et sociaux importants dans la région arabe. En 2000, «le taux de pauvreté était faible et en baisse.
Presque tout le monde a terminé l'école primaire et les taux déscolarisation dans l'enseignement secondaire et supérieur étaient élevés et en hausse» (ibid.).
Cependant, à la fin des années 2000, le contrat commence à montrer des signes de fragilité croissante. L'endettement public augmente à la suite de la montée des revendications sociales, notamment dans le sillage de la crise économique et de la flambée des prix du carburant et des denrées alimentaires sur le marché international (ibid.). Le secteur public n'est plus en mesure de créer des emplois et « le secteur privé ne connait pas de croissance assez rapide » pour compenser le manque d'opportunités d'emploi (ibid.). Malgré des investissements soutenus dans l'éducation et dans la santé, la réforme de ces deux secteurs importants reste confrontée à des défis majeurs en particulier sur deux fronts : qualité et équité (ibid.).
Ainsi, l'ancien contrat social n'est plus « adapté aux besoins de la génération de citoyens actuelle », selon les auteurs du rapport.
Pour remédier à cela, ils proposent un nouveau contrat social basé sur la promotion de la compétitivité dans le secteur privé plutôt que de s'appuyer sur l'Etat comme principale source d'emplois, l'abandon des subventions des matières de consommation de base ainsi que l'adoption d'un système de transferts directs aux plus démunis. Ajouter à cela le besoin d'entendre la voix du citoyen et de regagner sa confiance.
Cela peut paraître comme une nouvelle recette pour un nouveau modèle de développement plutôt qu'un contrat social, mais il comporte une description à peine cachée de ce que les régimes arabes pourraient en gagner : stabilité et légitimité politique en période de révolutions et de guerres.
Faire face à la peur de la technologie et de la mondialisation, la recette de Nemat Shafik
« L’avancement du mode de production automatisé » entraîne une baisse significative de l'employabilité d'une grande partie des travailleurs peu qualifiés et entraînera une division majeure du marché du travail « au profit des plus instruits », déclare Shafik. Elle ajoute également que les systèmes de protection sociale aux Etats-Unis ainsi qu'en France permettent de protéger les familles à faible revenu, au détriment de la caisse publique à laquelle tous les employés contribuent en payant des impôts ; les riches paient certes plus d'impôts, mais vivent plus longtemps et bénéficient donc davantage du système de retraite.
Ce qui perturbe le dicton erroné, d’après ladite auteure, selon lequel il y a ceux qui « travaillent dur » et ceux qui sont «un fardeau pour les autres». Enfin, « le monde fait face à de grands défis en termes d'équité entre générations ». Plus le vote moyen est élevé par année, plus les dépenses publiques pour la retraite s'élèveront de 0,5 %. Les jeunes devraient également se mobiliser, voter et participer aux processus électoraux pour faire entendre leur voix et imposer leurs points de vue.
Par conséquent, Shafik déclare que le contrat social devrait se baser sur un nouveau système privilégiant le principe du « paiement des taxes en échange de biens publics et des soins aux personnes âgées, aux jeunes, aux infirmes et à ceux qui sont tombés dans une période difficile ». Associer des conditions aux transferts de fonds à ceux qui en ont besoin, exiger une assurance en retour, revoir le système de protection sociale et encourager les riches à utiliser les services publics pour assurer un sentiment durable de solidarité et d' « assurance qualité » - sont autant de politiques inévitables à adopter pour surmonter la crise.
Il est également nécessaire de maintenir des « politiques préalables à la redistribution » (investissements dans l'éducation, les services et les infrastructures dans les zones isolées et frontalières afin de soutenir la productivité). Pour Shafik, nous devrions investir davantage dans la capacité de l'éducation à rapprocher l'identité sociale : « Les pays à mobilité sociale avancée croissent plus rapidement parce qu'ils offrent aux personnes les bons emplois et contribuent ainsi de manière significative au soutien de la production ».
En vertu de ce nouveau contrat social, les jeunes devraient avoir « des transferts financiers qu'ils peuvent utiliser pour améliorer leurs compétences tout au long de leur vie », un investissement dans l'avenir « parce qu'ils rembourseraient cet investissement avec des impôts futurs plus élevés susceptibles de financer les soins aux personnes âgées»(Shafik). D'autre part, les baisses de salaire minimum devraient être compensées « par des subventions salariales, des crédits d'impôt sur le revenu et des salaires minimum plus élevés, associés à l'accès à des services tels que l'éducation et les soins de santé » afin de maintenir un niveau de vie raisonnable pour tous.
Des politiques efficaces devraient être adoptées pour assurer une transformation appropriée de l'emploi afin de s'adapter au modèle de production automatisée et digitale par le biais de la formation, du redéploiement et du suivi des opportunités offertes par la quatrième révolution industrielle en permettant aux travailleurs temporaires d'avoir recours à la protection sociale.
Enfin, les revenus doivent être rééquilibrés de manière à ce que le capital puisse supporter une grande partie du fardeau en « éliminant les politiques visant à taxer lourdement l'emploi » et en taxant « le capital dans lequel l'activité économique est exercée » pour lutter contre la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux (ibid.)
Le Maroc depuis l'indépendance : deux modèles qui se chevauchent
La crise du modèle de développement actuel et l'épuisement de son potentiel sont dus au fait que le contrat social actuel est dépassé et risque de ne pas répondre aux aspirations des générations actuelles.
C'est une certitude ; ajouter à cela le manque de confiance en la politique et les institutions de l'Etat, phénomène dû au renoncement de nombreux segments de la population au contenu du contrat en cours, adopté après l'indépendance et reproduit sous une nouvelle forme sous « le nouveau règne ».
L'Etat jacobin : 1961-1999
Par ailleurs, le système de gouvernance global était motivé par des préoccupations de sécurité, ce qui signifiait que les quelques ouvertures démocratiques de temps en temps étaient toujours suivies de mesures exceptionnelles : la voix des citoyens était des fois réduite au silence, les dissidents les plus virulents emprisonnés, les partis d'opposition souvent opprimés et la presse plus ou moins muselée.
Les termes du contrat étaient l'intervention de l'Etat en tant que garant de la redistribution de la richesse en échange de la participation de tous à un projet politique basé sur la consolidation de la monarchie exécutive en tant que base fondamentale du gouvernement et de la gouvernance au Maroc. Au cours de cette période, le Maroc réussit à maintenir une stabilité relative (malgré les événements de 1965, 71, 72, 73, 81, 84 et 90), de former une nouvelle élite que l'école publique a réussi à faire venir de divers segments de la société, à mettre en place une administration centralisée forte et une administration territoriale expérimentée et à maintenir des équilibres sociaux plus ou moins fragiles.
Cependant, l'accès libre aux services publics, les subventions des biens de consommation en période d'inflation des prix et l'augmentation des salaires pour atténuer la colère de la rue et des syndicats ont tous contribué à l'épuisement des ressources de l'Etat. L'existence d'élites fidèles au régime ont permis à celui-ci de se défendre politiquement. Cependant, le fait que ces élites soient à l'origine des « classes improductives » vivant sur un système de rente a privé l'économie nationale de possibilités de se développer et de créer davantage de richesses pour financer la facture sociale.
La croissance d'une classe qui bénéficie de privilèges sans apporter de valeur ajoutée, des demandes sociales galopantes et une administration de la fonction publique gonflée sont les facteurs ayant entraîné une augmentation de la dette extérieure et intérieure ; à la fin des années soixante-dix, les finances publiques se sont rapprochées de la faillite.
Les programmes de réajustement structurels appuyés par la Banque mondiale et le FMI (1984-1992) malgré leurs réalisations macro-économiques ont gelé les dépenses sociales consacrées à l'éducation, à la santé et aux services de base, ont fixé un plafond pour l'emploi public, ont perturbé l'évolution normale des salaires et ont arrêté le développement du réseau de sécurité sociale. Lorsque Hassan II a mis en garde contre la « crise cardiaque » économique du Maroc en 1995, c'était une annonce officielle que le contrat social de l'après-indépendance était au point mort.
L'ère nouvelle
Ce contrat a eu des effets louables sur la pauvreté, sur le taux de chômage et sur l'extension de la classe moyenne. Néanmoins, il n'a pas apporté de solution au problème du chômage chronique des jeunes, notamment ceux qui sont titulaires de diplômes supérieurs ; il n'a pas non plus contribué à l’augmentation des revenus de la classe moyenne émergente et trop exigeante ; il n'a réussi qu’à garantir un accès généralisé et de qualité à l'éducation, à la santé et aux services de base pour les citoyens.
En effet, les attentes de la classe moyenne et de la jeunesse ont grandi à un moment où une catégorie aisée tirait profit de la privatisation et des privilèges accordés aux investisseurs dans les domaines de l'immobilier, de l'agro-alimentaire, de l'agriculture, de l'énergie et des télécommunications. La classe des riches est perçue par la majorité de la population comme un groupe de lobbies interdépendants renforçant la distribution inégale de la richesse et contribuant à la montée de la corruption et au manque de transparence des marchés publics.
Le nouveau contrat social connait sa première crise avec le mouvement du 20 Février (qui émerge dans le cadre des révolutions successives du Printemps arabe) lorsque des voix appelaient à éliminer la corruption, à lutter contre les nouveaux lobbys économiques et à supprimer le contrôle des affaires publiques par le prétendu «Etat profond». La nouvelle Constitution de 2011 donne à cet égard, une impulsion aux réformes (en particulier politiques) et permet de relever sérieusement le contrat social renouvelé, mais elle a rapidement montré ses limites à absorber la colère populaire, notamment en ce qui concerne la participation des citoyens au développement et à la rénovation de la société.
Le système de gouvernance et la démocratisation politique réelle sont restés les grands absents des réformes dans un contexte où primaient une lutte de certains politiques contre les islamistes et la tentative de revenir sur les acquis de la Constitution de 2011. Des tentatives désespérées de reconfigurer la carte politique (d'une manière pseudo-contre-révolutionnaire) empêche le pays de s'attaquer aux vrais problèmes fondamentaux de la croissance économique et du développement humain, tout en assurant une participation effective des citoyens à la gestion des affaires locales et en soutenant une redistribution juste de la richesse.
Force est d’évoquer dans ce sens, le Hirak du Rif et les soulèvements de communautés marginales (à Jerada et Zagora et ailleurs) et la révolution des médias sociaux contre les élites et les symboles de l'Etat ont ouvert la porte à une crise profonde décrite par Sa Majetsé le roi Mohammed VI comme « une crise du modèle de développement actuel ». D'où le débat actuel entre les acteurs politiques sur la nécessité de réfléchir sérieusement et efficacement à un nouveau contrat social plus efficace.
Pour un nouveau contrat social
Le nouveau contrat devrait inclure un soutien important aux classes moyennes grâce à une réduction de l'impôt sur le revenu ou via d'autres mécanismes favorisant l'accès au logement, la possession d'un véhicule, le paiement de la facture de l'éducation privée, l'accès à l'université et le financement des voyages et des loisirs.
Le renforcement des capacités de la classe moyenne augmentera sa capacité de consommation, ce qui stimulera fortement l'économie et influera positivement les ressources de la trésorerie. Soutenir la classe moyenne ne signifie pas augmenter les subventions et créer un nouvel Etat providence, mais plutôt investir dans la croissance économique et dans la création de richesses.
Ledit contrat devrait comprendre les transferts monétaires conditionnels (conditionnés par la formation, l'apprentissage et le perfectionnement des compétences) pour les jeunes de l'université, les jeunes au chômage et les jeunes à la recherche d'un emploi. Les jeunes en recherche active d’emploi sont au chômage également. Cette aide pourrait prendre forme de bourses, de prêts bancaires à long terme, d'emplois temporaires, de prix d'excellence ou de créations de TPE ; il y a autant de moyens d'incitation pour contribuer à la construction de leur avenir.
Réellement, assurer la participation directe des citoyens à la gestion de leurs problèmes au niveau local est indispensable à l’efficacité de la gestion des problèmes de développement. Il faudrait à ce sujet mettre en place des mécanismes pour assurer le suivi des projets par les citoyens et des séances de questions adressées aux responsables et aux élus lors des séances de planification et de restitution publiques, et des mécanismes de consultations transparentes et de budgets ouverts développés avec la participation de la communauté locale et des résidents ; il faut également mettre au point des systèmes efficaces de gestion des plaintes et des griefs liés aux projets de développement et à leur impact sur la population.
Mais tout cela n'est possible que dans le cadre d'une démocratisation progressive et réelle sans perdre de vue les fondements pérennes de la nation. Lorsque nous parlons de responsabilité et de reddition des comptes, nous devrions lui donner le sens réel de choisir qui gère les affaires publiques par le biais des urnes et de tenir les élus et les commis de l’état responsables et redevables devant le Parlement, les citoyens et les instances de contrôle. Cependant, il n'y a pas de responsabilité en l'absence de ressources adéquates et de pouvoir décisionnel réel.
Enfin, il est impératif de s'assurer que la voix du citoyen soit entendue en garantissant son droit de critique et de démonstration. La société et l'Etat deviennent plus forts quand les citoyens sont libres, la presse est plus indépendante, le Parlement est fort et détient un réel pouvoir de contrôle, la société civile est plus démocratique et mobilisée, les syndicats sont de plus en plus responsables, forts et critiques, le secteur privé est plus conscient de son rôle économique et est mieux organisé...
Les Etats deviennent faibles lorsque les voix qui revendiquent la contestation sont muselées, réduites au silence et réprimée et deviennent forts lorsque leur opposition est forte et indépendante.
La dualité des droits et des devoirs est essentielle au succès du contrat social souhaité, à condition que nous comprenions que le fait de ne pas être conscient de ses devoirs n'élimine pas la jouissance de ses droits. Le droit est légitime et doit être garanti et protégé par la loi, mais le devoir est une culture et un ensemble de valeurs développées par le biais de la prise de conscience, le débat et l'engagement. Les droits sont constitutionnels et les devoirs sont une culture qui s'acquiert. C'est pourquoi, il est inadmissible d’échanger ceci pour cela, une société qui réussit est celle qui garantit les droits les plus fondamentaux et s'efforce de propager la culture de la véritable citoyenneté. Cela est impossible sans la détermination et le courage de tous à faire naître l'espoir, l'espoir d'un avenir meilleur et brillant pour tous les citoyens, d'une société où personne ne soit laissé pour compte.