Par Aziz Boucetta
Hier, lors de la séance de clôture du parlement marocain, une image devait être retenue. La présence à la tribune de la présidence, au perchoir comme on l’appelle sous d’autres cieux, d’un personnage qui défraie la chronique. Son nom, éthiquement et professionnellement, ne doit pas être cité car il n’est pas poursuivi par la justice du pays. Et c’est peut-être là le problème.
Mais son nom est, en revanche, abondamment prononcé par des avocats et des journalistes, pour d’autres affaires passées sans être résolues. Mohamed Boudrika, car c’est de lui qu’il s’agit, occupa l’éminente et très importante et aussi prestigieuse fonction de président du tout aussi prestigieux Raja de Casablanca, fit l’objet à ce titre d’un audit pour multiples indélicatesses dans la gestion du club, est accusé par les uns et par les autres, beaucoup d’autres, de signer des chèques à tour de bras dont on ne connaît pas l’origine des provisions, ou qu’on ne cherche pas à connaître. Selon les avocats, les juges se sont déclarés « incompétents », au sens judiciaire du terme bien évidemment…
M. Boudrika est depuis 2021 membre du Bureau de la Chambre des représentants, il en est l’un des secrétaires, fonction éminente et centrale au sein du Bureau. Il est donc député et dépositaire à ce titre d’une partie de la souveraineté populaire, et il est également président de l’arrondissement Mers-Sultan de la ville de Casablanca. M. Boudrika est membre du Bureau directeur de la Fédération royale marocaine de football (FRMF). M. Boudrika est assurément un homme important.
M. Boudrika, du haut de ses 39 printemps fleuris, est donc très connu au Maroc, des fans de football, des Casablancais, des « militants » du RNI (dont il est membre et coordinateur dans son arrondissement de Casablanca)… et des juges. Le nombre d’affaires où il est cité est proprement effarant, et la dernière en date n’est pas (encore) judiciaire, et se rapporte au désormais fameux mais déjà presqu’enterré scandale de la revente des billets du Mondial de Qatar. En un mot, Mohamed Boudrika, moins que moyen en politique, renvoie une image pas très flatteuse.
Selon plusieurs médias, le député, président, dirigeant et secrétaire Mohamed Boudrika aurait été privé de la présidence tournante de la Chambre des représentants pour le mois de janvier. Pour quelle raison ? Les mêmes médias font le lien avec les déclarations au bazooka du patron du foot marocain sur la future et imminente « déchéance footbalistique...» et éventuelles poursuites judiciaires contre les membres de la FRMF qui auraient trempé dans l’affaire qatarie. Pas de démenti de M. Boudrika, ni de son président à la Chambre Rachid Talbi Alami, lequel ne semblait pourtant pas embarrassé de l’avoir à ses côtés lors de la très solennelle séance de clôture de la session d’automne de ladite Chambre, cette semaine (photo).
C’est beau et c’est grand, mais cela serait encore plus beau et bien plus éminent de procéder à un nettoyage des écuries d’Augias, en suspendant les nombreux élus poursuivis par « la justice indépendante dont la compétence, l’aptitude, et le courage sont reconnus », en privant de leurs privilèges ceux qui sont ne serait-ce que convaincus d’indélicatesses, voire de crimes, et il y en a.
Quant à la justice, elle est certes indépendante mais elle dispose aussi d'une hiérarchie qui est comptable moralement devant l'opinion publique avant de l'être devant elle-même, et cette hiérarchie serait grandie de veiller et de surveiller ce que font, ou ne font pas, certains juges.
Se faire respecter par les autres implique de se respecter soi-même et de respecter les électeurs. Et le respect impose l’intégrité de tous et la fermeté contre tous, la rigueur en toute chose et la justice partout. Autrement dit, savoir être ferme et ne surtout pas la fermer. Contrevenir à cela dessert le royaume et sert d’argument à ceux qui voudraient l’attaquer et veulent l’accabler, en plus de réduire la confiance des Marocains dans leurs propres institutions.
Or, en tardant dans son enquête sur la billetterie de Qatar, le président de la FRMF Fouzi Lekjaa ne sert pas la grandeur de nos institutions, tant louée par Rachid Talbi Alami qui devrait appliquer à la Chambre qu’il préside les somptueux principes qu’il a énoncés dans son discours. Ces deux hauts personnages de l’Etat, engagés sans doute avec sincérité dans la défense de leur pays, devraient savoir que comme science sans conscience n’est que ruine de l’âme, la politique sans l’éthique n’est que ruine de l’Homme, et de la réputation de ce pays qu’ils disent porter dans leur cœur.
Un pays qui, si les choses ne sont pas reprises en main, risque de partir à la « dérive », pour reprendre le terme employé à propos du royaume par le vénérable magazine britannique The Economist, pourtant peu suspect d’antimarocanisme primaire.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost