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Plaidoyer pour une Loi de Financement de la Protection Sociale spécifique pour réussir l’État social

Entretien réalisé par Noureddine Batije de L'ODJ Média


Rédigé par La Rédaction le Jeudi 20 Juillet 2023

En sa qualité de Vice-président de l’AEI, Alliance des économistes Istiqlaliens, M. Adnane Benchakroun a bien voulu nous accorder cet entretien. Une entrevue le long de laquelle il a plaidé, avec l’enthousiasme qu’on lui reconnaît, une cause socio-économique plutôt d’actualité à savoir, la bonne réussite de l’État social” moyennant, entre autre, une Loi de Financement de la Protection Sociale qui, soutient-il, aurait le mérite de mieux clarifier les rapports entre parties prenantes et de faire, intelligemment, fédérer l’ensemble des concernés autour d’une même visée dont la philosophie, la portée, le financement ne seraient que, durablement, assurés.



Lire les arguments développés par M. Adnane Benchakroun pour appuyer sa plaidoirie.

L’ODJ Média : Conformément à la vision Royale, la construction de l’État social est érigée en priorité absolue pour le gouvernement qui s’inspire aussi du nouveau modèle de développement pour lui consacrer toute une bonne partie de la déclaration de confiance prononcé par le chef du gouvernement devant le Parlement marocain pour présenter les orientations politiques et les priorités du gouvernement..

Depuis, cette notion d’Etat social revient comme un leitmotiv dans la littérature officielle et les débats publics. La question qui va avec aussi, à savoir comment, justement, réussir cet “État social” ? 

Adnane Benchakroun : L'édification d'un État social robuste repose sur plusieurs piliers essentiels : une réforme institutionnelle effective, une architecture de gouvernance forte, une stabilité financière durable et un volontarisme politique inébranlable, le tout soutenu par une adhésion consensuelle des partenaires sociaux.

Donc, premièrement, des réformes institutionnelles, comme par exemple une Loi de Financement de la Protection Sociale (LFSS) comme en France, sont nécessaires pour déterminer le cadre juridique et financier des services sociaux. Elle aura le mérite d’apporter une certaine prévisibilité et structure à la distribution des ressources.

Ensuite, une nouvelle architecture de gouvernance est indispensable pour faciliter une coordination efficace entre les différentes entités impliquées dans la prestation des services sociaux. Cette coordination doit être suffisamment flexible pour s'adapter à l'évolution des besoins de la population, tout en garantissant une gestion transparente et responsable.Le gouvernement sur ce chantier avance bien, il faut le reconnaître.

En outre, la pérennité de l'État social dépend de la disponibilité de ressources financières stables. Ces ressources doivent être suffisamment importantes pour répondre aux demandes croissantes et prévisibles des services sociaux.

Enfin, un fort volontarisme politique est requis pour guider et soutenir ces réformes à travers les inévitables défis et résistances. Il doit être appuyé par l'adhésion des partenaires sociaux, qui sont des acteurs clés dans la mise en œuvre effective de ces réformes.

En somme, pour consolider l'État social, une approche multidimensionnelle est nécessaire, intégrant des réformes institutionnelles, une gouvernance forte, une stabilité financière et une volonté politique inébranlable.

L’ODJ Média : Partant de là, la construction d’un État social, en tant qu’objectif politique, passe-t-elle, nécessairement, par la mise en place d’une LFSS ?

AB : La construction d'un État social, c'est-à-dire un État qui joue un rôle actif dans la protection sociale de ses citoyens, ne nécessite pas, nécessairement, une LFPS spécifique. Cependant, une LFSS peut être un outil très utile pour,  justement, atteindre cet objectif et ce, pour plusieurs raisons :

Une LFPS permet une plus grande transparence-responsabilité dans la gestion des dépenses de la sécurité sociale. Dans la mesure où elle oblige le gouvernement à rendre des comptes sur la manière dont il a respecté les objectifs de dépenses fixés dans la LFSS qui avait précédé, ce qui peut aider à s’assurer que les fonds aient été utilisés de manière efficace et équitable.

Une LFPS oblige également le gouvernement à présenter des prévisions de recettes et de dépenses pour la sécurité sociale pour les années à venir. Cela peut aider à anticiper les problèmes financiers futurs et à prendre des mesures pour les éviter, ce qui est d’une extrême  importance pour la durabilité de l'État social dans le long terme.

Parallèlement, en donnant au Parlement un rôle plus important dans la définition du budget de la sécurité sociale, une LFPS aide à ce que les décisions sur les dépenses sociales soient prises de manière plus démocratique et plus représentative.

Une LFPS aide aussi à assurer la stabilité financière de l'État social dans la mesure où elle permet de fixer les objectifs de dépenses afférentes à la sécurité sociale et de  prendre  les mesures pour les atteindre.

Aussi, faut-il noter que, pour construire un État social, la LFPS n'est qu'un outil parmi d’autres. 

La volonté politique, la capacité administrative et le soutien de l’opinion publique sont autant de facteurs à prendre, également, en considération pour atteindre un tel objectif.

L’ODJ Média : Permettez moi cette provocation : encore la France, toujours la France ?

AB : Je suis un pragmatique, quand je mène une réflexion ou propose modestement une idée, je ne me mets jamais hors champ.

Le Maroc reste pour le moment, que qu’on le veuille ou pas et on peut même le déplorer, dans un corpus législatif très inspiré de la France.

Et puis l’Etat a bien choisi un modèle d'”État social” très inspiré de celui de la France et non Anglo saxon ni Canadien ni Chinois ni Russe que je sache. Je parie d’avance que cet argument sera mis en avant par les détracteurs à cette proposition.

Alors pour éviter ce procès, nous l'appellerons au Maroc : Loi de Financement de la Protection Sociale (LFPS) et je reconnais que cette formulation est plus adaptée. 

 

L’ODJ Média : Le principe d'une loi de financement de la sécurité sociale existe-il ailleurs qu'en France ?

AB : La loi de financement de la sécurité sociale est une caractéristique spécifique du système français.

Cependant, le concept général d'établir une loi pour financer les systèmes de sécurité sociale ou de santé existe dans de nombreux pays, bien qu'il puisse prendre différentes formes et noms.

Par exemple, aux États-Unis, la loi "Affordable Care Act" (aussi appelée "Obamacare") a été mise en place pour financer l'expansion de l'assurance maladie pour les Américains qui n'étaient pas auparavant assurés.

En Allemagne, le système d'assurance maladie est financé par des contributions des employeurs et des employés, encadrées par la loi.

Cependant, ces lois peuvent ne pas être directement comparables à la loi de financement de la sécurité sociale en France, qui est une loi annuelle spécifiquement dédiée à la détermination des revenus et des dépenses de la sécurité sociale.

Les autres pays ont des systèmes et des procédures législatives qui peuvent différer significativement. Chaque système de sécurité sociale a ses propres caractéristiques en fonction de la culture, de l'histoire et de la politique du pays dans lequel il s’applique.Cela sera aussi le cas pour le Maroc.

L’ODJ Média : Alors, quand et pourquoi la France a-t-elle modifié la loi organique des finances pour créer la LFSS ?

AB : La LFSS a été créée en France en 1996 pour répondre à plusieurs besoins et problèmes identifiés dans le système de financement de la sécurité sociale.

Je peux vous citer les principales raisons pour lesquelles cette loi a été mise en place :

Avant la création de la LFSS, le budget de la sécurité sociale était principalement décidé par les partenaires sociaux (syndicats et organisations patronales) sans beaucoup de contrôle parlementaire. La LFSS a été créée pour donner au Parlement un rôle plus important dans la définition du budget de la sécurité sociale, augmentant ainsi la transparence et le contrôle démocratique.

La LFSS a également été mise en place pour aider à assurer la stabilité financière de la sécurité sociale. Avant la LFSS, la sécurité sociale avait souvent des déficits importants. La LFSS permet au gouvernement de fixer des objectifs de dépenses pour la sécurité sociale et de prendre des mesures pour les atteindre.

La LFSS permet également une meilleure planification à long terme. Elle oblige le gouvernement à présenter des prévisions de recettes et de dépenses pour la sécurité sociale pour les années à venir, ce qui aide à anticiper les problèmes financiers futurs et à prendre, au bon moment, des mesures pour les éviter.

Enfin, la LFSS a été créée pour s’assurer d’une certaine responsabilité.

Elle oblige le gouvernement à rendre des comptes sur la manière dont il a respecté les objectifs de dépenses fixés dans la précédente LFSS, ce qui permet de mieux contrôler les dépenses de la sécurité sociale.

Il est important de noter que la LFSS est une loi organique, ce qui signifie qu'elle a une importance constitutionnelle et qu'elle ne peut être modifiée que par une majorité spéciale du Parlement. 

C'est-à- dire l'importance de la sécurité sociale dans le système français et la nécessité de la gérer de manière responsable et transparente.

L’ODJ Média : Pourquoi créer une loi de financement de la protection sociale alors qu’il est toujours possible d'intégrer le tout dans une loi de finances classique ?

AB : Au risque de me répéter , la création d'une LFPS distincte de la loi de finances classique (qui concerne le budget de l'État) répond à plusieurs objectifs spécifiques :

Les dépenses de la sécurité sociale (assurance maladie, retraites, allocations familiales, etc.) sont de nature très différente de celles de l'État.

Elles sont principalement des dépenses sociales et sont financées par des cotisations sociales et non par l'impôt normalement. Il est donc logique de les traiter séparément.

Avoir une loi distincte pour le financement de la sécurité sociale permet d'assurer une plus grande visibilité et transparence sur ces dépenses. Cela permet aux citoyens et aux décideurs politiques de mieux comprendre comment l'argent est dépensé et de prendre des décisions plus éclairées. L’adhésion des salariés aux différentes cotisations qui sont sur la feuille de paie me paraît important.

Sans LFPS, le Parlement ne peut disposer que d’un rôle limité dans le contrôle des dépenses de la sécurité sociale. La LFSS permet d'accroître le rôle du Parlement dans ce domaine, renforçant ainsi le contrôle démocratique.

La sécurité sociale n’a pas vocation d'être éternellement déficitaire ni à être financée par la dette et il y a lieu de le graver sur le marbre dans la loi organique de LFPS.

Avoir une loi distincte permet de fixer des objectifs de dépenses spécifiques pour la sécurité sociale et de prendre des mesures pour atteindre ces objectifs, contribuant ainsi à une meilleure gestion financière.

La LFSS oblige le gouvernement à présenter des prévisions de recettes et de dépenses pour la sécurité sociale pour les années à venir, ce qui aide à anticiper les problèmes financiers futurs et à prendre des mesures pour les éviter.

Tout cela fait que par l’instauration d’une LFSS permet une meilleure gestion, un meilleur contrôle et une plus grande transparence des dépenses de la sécurité sociale.

L’ODJ Média : La gestion des retraites relève-t-elle du champ d’intervention de la LFSS ?

AB :  Oui, en France par exemple, la gestion des retraites en  fait partie et couvre toutes les branches de la sécurité sociale, y compris l'assurance maladie, les accidents du travail et les maladies professionnelles, la famille, et les retraites.

La branche des retraites est principalement financée par les cotisations sociales payées par les employeurs et les employés, ainsi que par certaines taxes et contributions. La LFSS définit les objectifs de dépenses pour la branche des retraites, ainsi que les mesures pour atteindre ces objectifs.

Cela signifie que le Parlement, lorsqu'il examine et vote la LFPS, a un rôle dans la définition du budget pour les retraites. Cela comprend des décisions sur des questions telles que le niveau des pensions de retraite, l'âge de la retraite, et les règles pour l'accumulation et le versement des droits à la retraite.

Ainsi toute réforme, je dirais plutôt toutes les réformes des retraites qui suivront, qu'elles soient paramétriques ou systémiques, trouvera à travers une LFPS un véhicule législatif plus judicieux à mon avis.   

Il est important de noter que, bien que la LFSS donnerait  au Parlement un rôle dans la gestion des retraites, d'autres acteurs, tels que le gouvernement, les partenaires sociaux (syndicats et organisations patronales), et les caisses de retraite, jouent également un rôle important dans ce domaine.

L’ODJ Média : Qu’en est-il des allocations familiales, des aides directes et des indemnités pour perte d'emploi ?

AB : Les allocations familiales et les indemnités de perte d'emploi font également partie de la  LFSS en France.

Pour les allocations familiales : Elles sont gérées par la branche "Famille" de la sécurité sociale. Les allocations familiales sont destinées à aider les familles à couvrir les coûts associés à l'éducation des enfants. La LFSS définit les objectifs de dépenses pour cette branche, y compris les allocations familiales, et les mesures pour atteindre ces objectifs.

S’agissant des Indemnités de perte d'emploi : En France, les indemnités de perte d'emploi sont gérées par l'Assurance Chômage, qui est distincte de la sécurité sociale et n'est pas couverte par la LFSS. 

L'Assurance Chômage est gérée par les partenaires sociaux (syndicats et organisations patronales) avec une supervision de l'État. Cependant, certaines prestations liées à la perte d'emploi, comme le Revenu de Solidarité Active (RSA) ou la Prime d'Activité, sont gérées par la sécurité sociale et sont donc couvertes par la LFSS.

Il est important de noter que bien que la LFSS donne au Parlement un rôle dans la définition du budget pour ces prestations, d'autres acteurs, tels que le gouvernement, les partenaires sociaux, et les caisses d'allocations familiales, jouent également un rôle important dans leur gestion.

L’ODJ Média : Quid d'un revenu universel, pour sortir progressivement de la compensation, dans une éventuelle LFPS ?

AB : L'introduction d'un revenu universel, aussi appelé allocation universelle ou revenu de base, représenterait un changement majeur dans tout système de sécurité sociale. Si un tel programme était mis en place, il serait probablement inclus dans la Loi de Financement de la Protection Sociale (LFPS), car il s'agirait d'une prestation sociale financée par des cotisations sociales ou des taxes.

La LFPS définirait alors les objectifs de dépenses pour le revenu universel et les mesures pour atteindre ces objectifs. Cela pourrait inclure des décisions sur le montant du revenu universel, les critères d'éligibilité, et les sources de financement.

Cependant, il est important de noter que la mise en place d'un revenu universel nécessiterait une volonté politique forte et un large soutien public. Il y a de nombreux débats sur les avantages et les inconvénients du revenu universel, et sa mise en place nécessiterait une réflexion approfondie sur des questions telles que son coût, son impact sur l'incitation au travail, et sa justice sociale.

Enfin, il convient de mentionner que la mise en place d'un revenu universel pourrait nécessiter des modifications législatives importantes, en fonction de la manière dont il est conçu et financé.

L’ODJ Média : A-t-on, préalablement, besoin d'une révolution culturelle avant d’asseoir cet État social ?

AB : L'instauration d'un Etat social fort et durable nécessite des changements substantiels qui peuvent être qualifiés de "révolutionnaires", mais cela ne signifie pas nécessairement une "révolution culturelle" au sens classique du terme. 

Plutôt que d'une révolution violente ou radicale, l'Etat social nécessite une transformation progressive et consensuelle des valeurs, des attitudes et des comportements de la société.

En effet, pour que les réformes institutionnelles, la nouvelle architecture de gouvernance, et la pérennité des ressources financières se concrétisent et soient acceptées par la population, il faut un changement culturel qui valorise la solidarité, l'égalité, et la justice sociale. Cela implique de favoriser une culture d'inclusion sociale, d'équité et de respect des droits de l'Homme.

Ce changement culturel peut être facilité par l'éducation, la sensibilisation, et l'engagement des citoyens et des partenaires sociaux. Il peut aussi être encouragé par des leaders politiques et sociaux qui défendent ces valeurs et modèles.

En somme, plutôt qu'une "révolution culturelle" au sens tumultueux, il faut une évolution culturelle ayant pour connotation plus de solidarité et d'égalité.

L’ODJ Média : Dispose-t-on des ressources humaines qu’il faut au niveau de la gouvernance pour, justement, mener à bien cette évolution culturelle ?

AB : La réussite de cette évolution culturelle vers un Etat social plus fort dépend fortement des ressources humaines, en particulier au niveau de la gouvernance. Les personnes qui occupent des postes de gouvernance et de leadership jouent un rôle clé dans le façonnement de la culture organisationnelle et sociale, et leur engagement en faveur de la solidarité et de l'égalité est crucial pour stimuler le changement.

Tout d'abord, les leaders doivent posséder une vision claire de ce que signifie un Etat social fort et équitable. Ils doivent comprendre et promouvoir les principes de justice sociale, d'inclusion et d'équité, et avoir aussi la capacité de traduire cette vision en politiques et pratiques efficaces.

Ensuite, ils ont besoin de compétences en gestion du changement pour naviguer à travers les résistances et les obstacles qui peuvent surgir lors de la mise en œuvre de réformes institutionnelles et de changements dans la gouvernance. 

Cela inclut la capacité de communiquer efficacement la nécessité du changement, de gérer les conflits, et d'encourager l'adhésion des partenaires sociaux et de la population en général.

En outre, ils doivent être capables de mobiliser et de développer les talents au sein de leur organisation, en favorisant une culture de l'apprentissage continu et en valorisant la diversité et l'inclusion.

Enfin, les leaders doivent faire preuve d'intégrité et d'exemplarité. Ils doivent être perçus comme des modèles de comportement éthique et social, pour inspirer et gagner la confiance des citoyens et des partenaires sociaux.

En somme, les ressources humaines, en particulier au niveau de la gouvernance, sont essentielles pour conduire l'évolution culturelle nécessaire à l'instauration d'un Etat social fort. 

Je reste convaincu qu’un tel projet peut faire l’unanimité dans la classe politique marocaine.

L’ODJ Média : vous êtes optimiste pour ce projet d'État social ?

AB : Vous savez, à mon âge j’ai certes plusieurs maladies chroniques comme tout le monde mais j’ai aussi la maladie du triplement de la personnalité , je m’explique : au petit déjeuner, je suis optimiste, au déjeuner je suis sceptique et au dîner je suis pessimiste mais j’ai encore la chance d’avoir un sommeil profond pendant lequel je rêve en couleur d’un Maroc émergent.

Et ce n’est qu’une idée, une proposition une contribution lancée comme une bouteille à la mer, elle s’échouera, j'espère, un jour sur le rivage d’une plage de la capitale entre les pieds d’un ministre des finances.

L’ODJ Média : Merci M. Adnane Benchakroun pour ses réponses et à très bientôt pour un autre entretien, une autre thématique.






Jeudi 20 Juillet 2023

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