Par Aziz Boucetta
Et subitement, les choses s’emballèrent !... Une autre enquête surgit d’un autre consortium journalistique, braqué cette fois sur l’affaire NSO, du nom de cette entreprise israélienne qui fabrique des logiciels espions, dont Pegasus. La France apprend qu’elle est lourdement espionnée, qui plus est par un pays supposé allié et fortement exotique, le Maroc. Tout du bon roman de l’été, règlement de comptes avec le mystérieux NSO, mise au pilori du turbulent Maroc, et heureuse diversion sur le pass sanitaire qui ne passe pas. Mais à examiner l’affaire de plus près…
Les faits. 50.000 numéros de téléphones sont « sélectionnés » par la quarantaine de pays clients de NSO. Le consortium Forbidden Stories (FS), composé entre autres des journaux Le Monde, The Guardian, The Washington Post révèle que le Maroc, entre autres pays, espionnerait des dizaines de numéros de téléphones de dignitaires français, président de la République et premier ministre compris, et aussi algériens (6.000 numéros), et même marocains (dont celui du roi et de sa famille). D’où déferlement immédiat d’infos, d’analyses, de commentaires, voire d’accusations, du Maroc. Lequel dément formellement tout usage de Pegasus et saisit la justice au Maroc et en France contre tout accusateur qui ne produirait pas de preuve.
Les « anomalies ». Comment les journalistes de Forbidden Stories ont-ils identifié les noms correspondant aux numéros ? Réponse de Sandrine Rigaux, rédactrice en chef de FS : « Le Projet Pegasus commence par une fuite de données, une fuite massive de 50.000 numéros de téléphone auxquels on a accès avec Amnesty International »… Elle ne dit pas comment ces numéro, détenus par de très hautes personnalités et vraisemblablement très protégés, ont « fuité ». Puis, comment identifier les identités des personnalités ? Réponse de la même : « Il existe des bases de données, qu’on a croisé avec notre liste de 50.000 numéros ». Comment de tels numéros peuvent-ils donc figurer sur ces « bases de données » ? Il est permis de douter de cela.
Les interrogations. Plusieurs faits paraissent étranges… En premier, donc, la capacité d’Amnesty et de FS d’identifier les numéros de tous ces dirigeants (chefs d’Etat, services de sécurité…) ; Il est évident que sans assistance, l’identification serait impossible. Reste à répondre à cette question du « qui » a assisté, lequel ne peut être étranger au renseignement.
Un premier élément de réponse est apporté par le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, dans son interview à Jeune Afrique : « Une force de frappe médiatique considérable mobilisée, y compris dans le service public d’un pays en particulier ». On a constaté le traitement de cette affaire par toutes les chaînes du service public… français (RFI, France24, France5, France Culture…), et le service public français, comme tous les services publics dans le monde, n’agit pas contre les intérêts de son Etat.
Il serait raisonnable de penser que de la même manière que journalistes et analystes français imputent une forte collusion entre la sécurité et le politique au Maroc, cette « proximité » existe aussi en France, ce qui est même probable, comme partout ailleurs dans le monde. Mais c’est le service public français (et non les autres grands journaux de FS, qui ont traité du Maroc à égalité avec les autres pays) qui s’est déchaîné, service public dépendant du politique, et donc du sécuritaire.
Quel intérêt aurait dès lors le renseignement français à tenter cette vaste manœuvre de déstabilisation du Maroc ? L’Afrique... 2021 a sonné comme la fin de la Françafrique, militaire, sécuritaire et monétaire, suite au retrait annoncé du Mali, des relations très tendues avec le Gabon et la Centrafrique, et des liens fragilisés avec la Côte-d’Ivoire, la Guinée et le Sénégal, en attendant les problèmes avec le Tchad et le Niger, chacun des deux pays pour des raisons propres à lui. Et la fin de la Françafrique, donc, doit avoir un coût, en l’occurrence la grogne des militaires (qui s’additionnent à celle des sécuritaires), exprimée tantôt dans des tribunes médiatiques, tantôt par le mystérieux départ du général Lecointre de la tête de l’état-major des armées juste après l’annonce de la fin de Barkhane au Sahel, tantôt par un Conseil de défense en forme de règlement de comptes…
Le monde actuel est remodelé selon une configuration de superpuissances (Etats-Unis et Chine), de grandes puissances (Russie, France, Royaume-Uni,…) et de puissances régionales qui émergent sur le plan géopolitique. Le Maroc est l’une d’elles, en Afrique occidentale d’abord, sur l’ensemble du continent ensuite. Son récent et spectaculaire rapprochement avec l’axe Washington-Londres-Tel Aviv est de nature à bousculer les confortables équilibres africains d’antan.
Il est évident que la France en particulier et l’Europe en général ont quelque difficulté à admettre cette nouvelle donne, celle d’une Afrique plus mature qui rejette les discours d’antan et les dominations économiques passées. Et pour cela, tout est permis. Pour le cas du Maroc, après l’Allemagne qui saisit le Conseil de sécurité et l’Espagne qui s’arcboute à l’Europe pour soumettre le royaume, voici venu le tour de la France d’abattre ses cartes, clairement, limpidement.
Il faudra en tenir compte à l’avenir, comme le dit le chef de la diplomatie marocaine.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com