Par Aziz Boucetta
Le Maroc, avec ses institutions, ses conseils, ses commissions et même ses hauts commissariats semble incapable de définir avec une certaine précision ce qu’est la classe moyenne de ce pays. Oh, tel exercice est en effet ardu, et dans le monde entier, on parle salaire médian, revenu, niveau de consommation, d’épargne… Nous maîtrisons tous ces concepts, mais malgré cela, on ne donne pas une définition acceptable de la classe moyenne. Et même le Conseil économique, sociale et environnemental n’y est pas parvenu.
Saisi par la Chambre des Conseillers pour définir cette catégorie de population, le CESE a organisé voici quelques jours, avec ladite Chambre, une journée d’études pour étudier ce serpent de mer de toute politique publique. Qui sont les gens ayant assez de pouvoir d’achat pour consommer et répondre à leurs besoins ? Qui sont ces mêmes gens capables d’épargner, fournissant de la munition à l’investissement, moteur de tout développement qui se respecte ? Où s’arrête la pauvreté et où commence la richesse, sachant que la classe moyenne se situe entre les deux ? Autant de questions qui, en réalité, n’ont pas trouvé de réponse claire et convaincante. Le CESE a proclamé qu’il fallait sortir de l’approche statistique. Fort bien, et donc ?
Donc, le Conseil nous a concocté un rapport superbement intitulé « Renforcer et élargir la classe moyenne au Maroc : Enjeux et voies pour une classe moyenne qualifiée, épanouie et entreprenante ». C’est aussi beau qu’un Airbus au décollage mais le contenu ne répond pas spécialement à la demande de la chambre des Conseillers. Le CESE agit comme un oracle, qui dit la vérité et dont les réponses sont souvent quasi infaillibles, comme il nous a habitué à en donner, mais Sénèque disait que « les réponses des oracles renferment toujours un sens équivoque ». Et c’est le cas avec la classe moyenne, pour la définition de laquelle le Conseil apporte une réponse longue et équivoque à une question courte et précise : qu’est-ce que la classe moyenne et comment l’élargir ?
En lieu et place d’une réponse normative, le CESE nous offre une splendide réponse de Normand.
Huit secteurs sociaux ont ainsi été identifiés pour élargir la classe moyenne : les politiques budgétaires et fiscales redistributives à déterminer, l’éradication de la pauvreté à réaliser, l’autonomisation économique à assurer pour réduire la pauvreté chez les femmes, l’amélioration de la qualité des services sociaux, si possible, le capital humain, ah le capital humain, le développement des corps des métiers de la fonction publique, l’émergence d’une classe moyenne rurale (ça, le roi l’avait déjà demandé à Aziz Akhannouch, et on attend), et le développement d’une infrastructure digitale inclusive.
C’est super, sauf qu’en réalisant cela, on n’élargit pas une classe moyenne, on développe un pays, et même ses voisins…
Alors, c’est quoi une classe moyenne ? Voici la réponse du CESE, pour « cerner » ce concept en 8 points (en fait 7, il y en a un en doublon) : enrichir et moderniser le dispositif statistique national, renforcer le pouvoir d’achat de la classe moyenne (qui n’est toujours pas « cernée »…), améliorer le sort des femmes, et aussi, n’est-ce pas, le système de santé… Donc, pour cerner la classe moyenne, il faut lui renforcer son pouvoir d’achat. On a connu un CESE en meilleure forme…
Et, donc, si le Conseil ne parvient pas à définir la classe moyenne, qui le peut ?... Alors que nous sommes dans la dernière ligne droite, dit-on, de la publication de ce très attendu modèle de développement ! Le HCP s’y était essayé voici quelques années, et avait amusé tout le monde… il disait que la classe moyenne se caractérisait peu ou prou par un revenu oscillant autour de 5.000 DH. Bon, peut-être qu’il pensait au Maroc des années 70…
Plus sérieux, l’économiste Youssef Saâdani fixe une fourchette entre 10.000 et 40.000 DH par mois pour un ménage, pour 4,6 personnes en moyenne par ménage. Cela est plus sérieux, et Youssef Saâdani est membre de la fameuse commission spéciale pour le modèle de développement. On revient à la Commission…
Et son rapport devient urgent car, pour rappel, nous avons des élections dans un peu plus de trois mois et pour leurs programmes, ce serait tellement réconfortant que les partis puissent disposer d’une définition plus ou moins précise, et pas normande, de la classe moyenne en notre royaume.
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