Par Mustapha Sehimi
Ce rapport, le président Joe Biden, l'a trouvé sur son bureau, dès son installation à la Maison Blanche. C'est là pratiquement une tradition depuis des décennies : après chaque élection présidentielle, le renseignement américain analyse l'état du monde avec des prévisions pour les deux décennies à venir.
Première observation : la pandémie de Covid-19 est depuis un an, "la plus forte perturbation mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale". Des bouleversements profonds qu'aucune génération n'a eu à affronter en temps de paix se sont produits : révolution numérique, intelligence artificielle, ingénierie du vivant, réchauffement climatique, dénatalité.
Autant de données qui se conjuguent pour attiser et exacerber même les tensions dans les sociétés. Résultat : des tendances créant un contexte géopolitique conflictuel et instable.
Si les individus sont hyperconnectés, les communautés sont de plus en plus fracturées, les identités s'affirment dans l’altérité. Des pressions migratoires sont irrépressibles, le vieillissement s’accélère, l'endettement s'aggrave.
Le système international est bousculé, sans régulation, avec des acteurs privés et étatiques peu maitrisés par les Etats. La mondialisation est en marche, tel un rouleau compresseur mais de manière chaotique, et en arrière-plan, la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine n'en finit pas de nourrir bien des appréhensions et des inquiétudes pour l'avenir.
Des futurs possibles
Certes, ce rapport n’a pas pour ambition de décrire l'avenir, il n'est pas prédictif, mais de dégager les grandes tendances de l'environnement politique, militaire, économique et social. Il est axé sur la prévision des futurs possibles. Mais il a, assurément, un impact politique, dans les grandes chancelleries (Moscou, Pékin,...).
Il éclaire sur les points de consensus de l'analyse américaine du monde. Il s'articule aussi autour des prospectives régionales ainsi que des "focus" transverses pour l'avenir des prochains mois. Il évoque un monde sans leader avec une vive compétition de puissances pouvant conduire à une polarisation davantage belligène : la Chine y est citée 159 fois contre 67 pour la Russie, à la différence du précédent rapport où Moscou était citée 187 fois contre 137 pour Pékin.
La tonalité générale est plus pessimiste que les précédentes éditions. Il indique ainsi que les progrès du développement seront moins marqués, que la part de la population pauvre stagnerait, que le protectionnisme va s’accroitre, que les grandes entreprises technologiques vont consolider leurs positions oligopolistiques, que la technologie sera plus destructrice que libératrice et les principales clés de lecture du monde seront les termes "fragmentation", "déséquilibre" et "contestation".
Adaptation et innovation
Le rapport met également en relief l'impact et la dimension du changement climatique. Il anticipe des conséquences majeures sur la disponibilité des ressources, l'instabilité politique et les migrations.
Il ne retient pas l'hypothèse d'un "choc optimiste" dans les années 2020 : tant s'en faut. Il propose cinq grands scénarios dont trois pessimistes : "Un monde à la dérive" avec la poursuite des tendances actuelles, des "Silos séparés" dans une planète divisée en sphères d’influence et "Tragédie et mobilisation". Deux autres ont une tonalité optimiste : "Coexistence compétitive" avec deux blocs coopérant sans conflit majeur (sino-américain et sinon-européen), "Renaissance des démocraties" tournées vers la restauration d'un ordre libéral.
Une autre lecture de ce rapport retient plutôt que les deux mots-clés sont adaptation et innovation. Référence est faite à un progrès technologique qui ne se refuse pas, avec d'ici 2040, les applications de l'intelligence artificielle, combinées à d'autres technologies et profitant à de nombreux aspects de la vie (santé, éducation personnalisée, amélioration des logiciels pour les tâches quotidiennes, augmentation de la productivité…).
Les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur la santé et ... sur la santé mentale ne sont pas ignorées. Elles se feront sentir à long terme. Le rapport cite le chiffre de 16.000 milliards de dollars pour les sociétés. Ce sont, après la présente phase active, des conséquences sismiques qui sont redoutées. Un bilan finalement catastrophique pour les jeunes, les emplois précaires, les mal logés, les chômeurs, les désocialisés,...
Démocratie et terrorisme
Les démocraties vont être à rude épreuve. Comment répondre aux préoccupations des citoyens concernant la corruption, le monopole des élites, l'aggravation des inégalités ? Comment restaurer la confiance et renforcer la légitimité institutionnelle ?
Enfin, la CIA ne pouvait évacuer le terrorisme, notamment islamiste, comme étant l'une données majeures de l'ordre international avec son corollaire : la sécurité et la stabilité des pays.
Le rapport explique que "les groupes djihadistes sont susceptibles de constituer les plus fortes menaces transnationales persistantes ainsi qu'un danger dans leurs régions d'origine ". Et d’ajouter : "Ils bénéficient d'une idéologie cohérente qui promet un avenir millénariste, de structures opérationnelles solides et de la capacité d'exploiter de vastes territoires non ou mal gouvernés, notamment en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est".
Les progrès technologiques ne vont pas leur échapper, avec l'intelligence artificielle, la biotechnologie et la connectivité des objets. Un développement des actions terroristes avec de nouvelles méthodes d'attaque à distance et de collaboration au-delà des frontières... Préoccupant, non ?
Par Mustapha Sehimi
Source : https://quid.ma