Ne m’appelez plus informel mais plutôt économie populaire

Par Adnane Benchakroun


Dans le domaine de l'économie du développement, un changement de paradigme est en cours, remplaçant la notion désuète d'"économie informelle" par celle, plus englobante et valorisante, d'"économie populaire". Cette dernière est définie comme l'ensemble des activités économiques et des pratiques sociales développées par les groupes populaires dans le but de satisfaire leurs besoins de base, à la fois matériels et immatériels, grâce à l'utilisation de leur propre force de travail et des ressources disponibles. Loin de se limiter à une série d'activités économiques non réglementées, l'économie populaire incarne une véritable stratégie de survie et de résilience face à un système économique global qui laisse trop souvent de côté les plus démunis.



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Le concept d'économie populaire

Le concept d'économie populaire s'éloigne délibérément de celui d'économie informelle, un terme qui, selon son propre créateur, est devenu un "terme générique" permettant aux universitaires et aux bureaucrates de catégoriser de manière simpliste la vie foisonnante des rues de villes exotiques dans leurs modèles abstraits, sans réellement comprendre ou apprécier la complexité et la richesse des activités humaines qu'il englobe.

En mettant l'accent sur l'économie de la débrouille, le concept d'économie populaire reconnaît et valorise l'ingéniosité et l'effort des individus et des communautés pour subvenir à leurs besoins dans un environnement souvent hostile et dépourvu de soutien institutionnel.

L'économie populaire, dans sa définition la plus pure, exclut les activités illégales et criminelles qui étaient parfois associées à l'économie informelle. Ce faisant, elle met en lumière les efforts légitimes des personnes qui, dans l'adversité, trouvent des moyens innovants et créatifs de générer des revenus, de créer des emplois, et de construire des réseaux de soutien mutuel qui transcendent les frontières de l'économie traditionnelle. Ces activités incluent, mais ne se limitent pas à, le commerce de rue, l'artisanat, la prestation de services divers, l'agriculture urbaine, et bien d'autres formes d'entrepreneuriat de base qui forment le tissu de l'économie populaire.

L'importance de reconnaître et de soutenir l'économie populaire réside dans sa capacité à offrir des solutions pratiques et accessibles pour améliorer le bien-être économique et social des populations les plus vulnérables. En valorisant ces activités, non seulement nous reconnaîtrions leur contribution essentielle à l'économie globale, mais nous pourrions également mieux orienter les politiques publiques pour soutenir ces entrepreneurs de la nécessité. Cela implique la mise en place de cadres réglementaires flexibles qui facilitent plutôt que d'entraver leur travail, l'accès à des financements adaptés, et le développement d'infrastructures et de services de soutien qui répondent à leurs besoins spécifiques.

L'économie populaire est aussi une source d'innovation sociale, offrant des exemples inspirants de coopération, de solidarité, et d'auto-organisation qui pourraient enrichir les modèles économiques dominants. En puisant dans les pratiques de l'économie populaire, nous pouvons apprendre des stratégies adaptatives qui favorisent la durabilité, l'équité, et l'inclusivité, des valeurs essentielles pour construire un avenir économique plus résilient et humain.

En conclusion, il est temps de reconnaître l'économie populaire pour ce qu'elle est réellement : une manifestation de l'ingéniosité humaine et de la volonté de survivre et de prospérer, même dans les circonstances les plus difficiles. En déplaçant notre regard de l'"informel" vers le "populaire", nous ne faisons pas seulement un changement sémantique, mais nous embrassons une vision plus juste et plus inclusive de l'économie qui valorise les contributions de tous, et pas seulement de ceux qui opèrent dans les sphères traditionnelles du marché formel. C'est une étape cruciale

Le Sénégal est un exemple notable où l'économie informelle est progressivement perçue et valorisée comme une économie populaire.

Ce pays d'Afrique de l'Ouest, caractérisé par un secteur informel très dynamique, a vu une reconnaissance croissante de l'importance et de la valeur de ces activités économiques dans le soutien de l'économie nationale et le bien-être de sa population.

Au Sénégal, l'économie informelle englobe une large gamme d'activités, allant du commerce de rue à l'artisanat, en passant par l'agriculture et les services. Ces activités sont souvent le principal moyen de subsistance pour une grande partie de la population, en particulier dans les zones urbaines où les opportunités d'emploi formel peuvent être limitées. Ce secteur vibrant est crucial pour la satisfaction des besoins de base de la population et joue un rôle clé dans la réduction de la pauvreté.

La transition vers une perception de l'économie populaire reflète une reconnaissance de l'ingéniosité, de la résilience et de l'entrepreneuriat des citoyens sénégalais face à des défis économiques. Elle souligne également l'importance de ces activités non seulement pour la survie économique des individus et des familles, mais aussi pour leur contribution à l'économie nationale dans son ensemble.

Les autorités sénégalaises et diverses organisations internationales travaillent à mieux intégrer ce secteur dans l'économie formelle, non pas en le marginalisant, mais en offrant un soutien par le biais de politiques adaptées, de formations, et d'accès au financement. Ces efforts visent à reconnaître officiellement et à valoriser l'économie populaire comme un pilier essentiel du développement économique et social du Sénégal.

​Pour favoriser le développement et l'intégration de l'économie populaire au Maroc, en s'inspirant du cas sénégalais, voici une série de recommandations que le gouvernement marocain pourrait envisager :

1-Faciliter l'accès au financement : Mettre en place des programmes de microfinancement et des fonds de garantie spécifiquement destinés aux entrepreneurs et travailleurs de l'économie populaire, afin de leur permettre de démarrer ou développer leurs activités avec des conditions adaptées à leurs réalités économiques.

 2-Simplifier la formalisation des entreprises informelles : Réduire les barrières administratives et les coûts liés à la formalisation des entreprises par la simplification des procédures d'enregistrement et l'offre d'incitations, telles que des avantages fiscaux ou des accès privilégiés à certains marchés, pour encourager la transition vers le secteur formel.

3-Investir dans la formation et le renforcement des capacités : Proposer des programmes de formation adaptés aux besoins des entrepreneurs et travailleurs de l'économie populaire, couvrant des domaines tels que la gestion d'entreprise, les compétences techniques spécifiques à leur secteur d'activité, et la sensibilisation aux normes de qualité et de sécurité.

 4- Améliorer les conditions de travail : Élaborer des politiques visant à garantir des conditions de travail décentes pour les travailleurs de l'économie populaire, incluant la sécurité et la santé au travail, ainsi que l'accès à des systèmes de protection sociale et d'assurance adaptés.

5-Développer des infrastructures et faciliter l'accès aux marchés : Construire et aménager des espaces dédiés aux activités de l'économie populaire, comme des marchés et zones commerciales, pour améliorer leur visibilité et leur accès aux clients, tout en régulant de manière équitable l'occupation de l'espace public.

6-Encourager le dialogue social et la participation : Instaurer des cadres de dialogue avec les représentants des travailleurs et entrepreneurs de l'économie populaire, en vue de prendre en compte leurs besoins et avis dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques les concernant.

Ces recommandations visent à créer un environnement propice au développement de l'économie populaire au Maroc, en reconnaissant sa contribution essentielle à l'économie nationale et en soutenant les acteurs de ce secteur dans leur chemin vers une meilleure intégration et durabilité économique.

En adoptant une approche inclusive et bienveillante, le gouvernement marocain peut ainsi contribuer de manière significative à l'amélioration des conditions de vie de nombreux citoyens tout en stimulant la croissance économique du pays.


Mardi 12 Mars 2024

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