Écouter le podcast en entier :
Par Ali Bouallou
En chacun de nous existe différents états du moi. En Analyse Transactionnelle chère au psychiatre Eric Berne (1910 – 1970), on parle de trois Etats du Moi, le moi Parent, le moi Adulte et le moi Enfant. J’y reviendrai plus bas dans cet article.
En philosophie, j’aurai tendance à dire qu’il en existe deux. Pour faire court, un état où les choses persistent et un autre où elles ont tendance à changer continûment.
Le premier est représenté par un instinct formel comme le précise le poète et théoricien de l’esthétique Friedrich von Schiller (1759 – 1805). Cet instinct s’appuie sur l’unité et la stabilité de notre personne pour avancer dans la vie. Le second par contre est l’instinct sensible qui nous pousse vers le changement et l’élargissement de notre intériorité pour cultiver la soif de la recherche de la variété et de la vérité.
L’homme a tendance à imposer sa compréhension du monde mais ne se préoccupe nullement des conséquences d’un tel acte. Une seule et même vision du monde sans contradictions surmontées comme dirait Hegel (1770 – 1831) mène à l’ennui, où ce que Schopenhauer (1788 – 1860) appelle le fruit d’une satisfaction trop longue empêchant d’entrer en communion avec la totalité de l’être.
L’être humain a beaucoup à perdre à vouloir ne rencontrer sur son chemin que les gens à son goût, approuvant ses pensées, riant à son humour, partageant son divertissement et des fois même lui permettant d’obtenir tous ses désires. Se comporter ainsi c’est tout simplement se détourner de la réelle condition humaine et de ce qui l’afflige. Pascal (1623 – 1662) appelle cela la recherche désespérée d’une consolation face à la difficulté d’être soi.
Se contredire ou être contredit participe à être soi-même. Les plus grands philosophes se contredisaient en eux-mêmes. Nietzsche (1844 – 1900) était complètement décousu par ses propres contradictions. Il avouait lui-même ses oppositions dans ses œuvres mais ne cherchait nullement à les résoudre. Nietzsche écrit dans Ecce Homo (Voici l’Homme) : «Indépendamment du fait que je suis un décadent, j’en suis également l’opposé». Pour Nietzsche, l’opposition est le fondement de la compréhension de la réalité afin, ajoute-t-il, de parcourir toute l’orbite de l’âme moderne, de l’homme multiple, pour siéger dans chacun de ses recoins.
Il ne s’agit nullement d’opposer ce qui est réel à ce qui ne l’est pas, le bien au mal, la force à la faiblesse ou tout autre dualisme métaphysique mais plutôt de se dire que l’un se déduit de l’autre. Tout phénomène dérive de son opposé.
Être contredit n’est nullement une renonciation de ce que l’on est ou de notre essence. Cela doit être perçu comme un moyen de forger l’identité de soi-même au travers de l’altérité en laissant de côté tout essentialisme néfaste à l’égrégore de l’humanité.
Cette confrontation identité/altérité favorise le devenir-soi. La question qui se pose alors est, en paraphrasant la réflexion de Nietzsche « deviens ce que tu es ! », comment l’être peut-il devenir ce qu’il est déjà ? Nous sommes ce que nous sommes mais nous sommes également ce que nous devenons. La sculpture de soi, rappelant le livre éponyme de Michel Onfray (1959 - ), appartient à chacun d’entre nous par le seul exercice de la raison en mettant en équation l’authenticité, la conscience et la vertu. Il est question de Morale Esthétique dans le livre d’Onfray. Celle-ci renvoie au bon emploi de soi-même par l’élimination des désirs grossiers pour le compte de besoins naturels où le beau prime comme représentation sensible du vrai et où le bonheur s’invite en conséquence.
Pour Montaigne, «l'homme, en tout et par tout, n'est que rapiècement et bigarrure». Pour lui, la singularité de l’être humain s’acquiert par la connaissance transmise par autrui et il poursuit en disant «Le premier savoir est le savoir de mon ignorance : c'est le début de l'intelligence». On voit bien ici l’influence de la philosophie Antique sur l’œuvre de Montaigne car cela rappelle la maxime de Socrate (469 av. J.-C., 399 av. J.-C), «Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien».
Dans la vie, nous avons intérêt à rester authentique, en adéquation avec nous-mêmes. Et pour mettre une note d’humour d’Oscar Wilde (1854 – 1900), nous avons intérêt à être nous-mêmes car les autres sont pris !
L’intersubjectivité que nous vivons dans la vie de tous les jours exige le respect, la rigueur, l’égalité, l’équité et le conformisme, s’il le faut, mais elle n’implique en aucun cas l’unicité du langage et de la pensée.
Se faire contredire permet de mieux se connaitre soi-même. Dans une démarche pratique, je reviens sur l’Analyse Transactionnelle du psychiatre Eric Berne que j’ai cité plus haut et qui est une théorie de la personnalité, des rapports sociaux et de la communication.
Selon cette théorie basée sur des observations pratiques, un Etat du Moi est un «système cohérent de pensées, d'émotions, et de comportements associés». Lorsque nous prenons la parole, nous sollicitons en nous un des trois Etats du Moi précités, Enfant, Adulte ou bien Parent, pour s’adresser à un autre Etat du Moi chez notre interlocuteur. La transaction est le nom donné à l’échange verbal et au comportement des deux interlocuteurs pendant l’échange.
Les transactions s’effectuent entre les mois Adulte, que l’on soit à l’université, au travail ou entre amis. Dans ces conditions, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit des mêmes Etats du Moi sollicités, les transactions sont dites complémentaires quelque soit le niveau d’approbation ou de contradiction des propos échangés. En définitive, nous sommes et resterons complémentaires que l’on soit d’accord ou pas car nous échangeons entre adultes.
Cette idée, simple finalement, de l’Analyse Transactionnelle interpelle et donne à réfléchir sur l’appréhension que l’on a des fois par rapport au débat contradictoire.
Pour finir, «aucun homme ne marche jamais deux fois dans la même rivière, car ce n'est pas la même rivière et ce n'est pas le même homme » nous dit Héraclite (544/541 av. J.-C. – 480 av. J.-C.).
L’être humain, dans sa quête initiatique, évolue par l’étude théorique et la connaissance mais également par l’expérience et la pratique. Il me semble qu’il serait profitable de s’approprier les concepts psychologiques de l’Analyse Transactionnelle comme outil pratique de gouvernance de soi, et des autres, aussi bien dans le cercle privé que dans le monde professionnel.
Rédigé par Ali Bouallou