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Par Mustapha Sehimi
De 1945 à 1989 –jusqu’à la chute du Mur de Berlin- prévalait surtout un monde bipolaire. C'était la guerre froide avec un modèle d’alliance -la traduction d'un engagement considéré comme durable. D'un côté, l'OTAN créée en 1949 sous la houlette américaine, de l'autre le Pacte de Varsovie de l'ex-URSS. Au début de 1991, après l'effondrement du bloc de l'Est, c'était la dissolution de ce Pacte.
Etait-ce pour autant la fin de l'après-guerre? Le président américain George H. Bush a alors préconisé et obtenu le maintien de l'Organisation atlantique, avec cette forte réserve du président français Mitterrand: «vous êtes en train de nous servir une nouvelle Sainte-Alliance». C'est que cette alliance changeait de périmètre et de dimension. Elle basculait ainsi d'une logique pragmatique dans un contexte de Guerre froide à autre chose: la sacralisation de valeurs jugées supérieures, celles de l'Occident. Elle créait et même réinventait pour se justifier un ennemi.
Si l'on appréhende l'espace hors Atlantique, une observation de principe peut être mise en avant: celle de «connivences pragmatiques» avec leur jeu influent. Des partenariats à géométrie variable d'une certaine fluidité se multiplient. Ils intéressent la Russie (Israël, Arabie Saoudite, Turquie, etc.) malgré des désaccords avec Ankara sur des dossiers tels que la Syrie, la Libye, le Caucase ou l'Ukraine. Il faut aussi citer, outre la Turquie, l'Inde et le Pakistan.
Ce dernier pays est un allié des Occidentaux et a sa place dans des alliances militaires. Mais ses connivences ne s'en distinguent pas moins avec la Chine. Il s'agit là d'une pratique qui s'installe de plus en plus. Elle conduit à donner peu de visibilité à des interactions entre Etats dans des espaces conflictualisés (Proche-Orient, Asie du Sud, Afrique). Confrontée à ces nouvelles réalités, l'OTAN arrive difficilement à s'adapter à ces nouvelles situations -elle s'apparente à un modèle lourd, inadapté aussi.
Ce conflit ukrainien de 2022 s'inscrit-il dans ce schéma? A première vue, la réponse est affirmative; elle prolonge la grammaire classique de l’OTAN, avec une actualisation de la Guerre froide. De fait, c'est beaucoup plus complexe dans la mesure où cette Alliance qui se veut durable et structurelle peine à se mondialiser. C'est vrai pour ce qui est des enjeux et des tensions en Méditerranée orientale; également dans la gestion de la crise d'Afghanistan. Il faut ajouter une évaluation insuffisante de ce que l'on appelé l'expression d'un «Bandung II» par référence a la conférence d'avril 1955, en Indonésie, réunissant pour la première fois les représentants de vingt-neuf pays africains et asiatiques. Elle allait marquer l'entrée en scène sur la scène internationale des pays décolonisés du «tiers monde» et leur volonté de non-alignement et par rapport aux deux blocs.
En mars dernier, il a été ainsi relevé qu'une quarantaine d'Etats ont choisi l'abstention lors des votes des résolutions de l'Assemblée générale des Nations-Unies en mars et avril sur le conflit ukrainien. En Afrique, en Asie et en Amérique latine, l'état d'esprit est le suivant: c'est une guerre en Europe; elle implique l'Occident; elle affecte les pays de ces espaces surtout le continent africain. S'y ajoute un sentiment anti-occidental qui se diffuse et qui a trait à une attitude paternaliste, voire néocolonialiste et même arrogante (Mali, RDC, etc.). Le déploiement des diplomaties de pays comme la Chine, la Russie et la Turquie en Afrique réduisent cumulativement l'influence des anciennes puissances coloniales. D'ailleurs bien tardivement, la France, l'UE et les Etats-Unis ont pris conscience de ces nouvelles réalités.
Cette séquence n'a pas la forte charge idéologique des décennies de la Guerre froide. Elle privilégie plutôt le pragmatisme et une forme d'utilitarisme économique dans la mondialisation -promotion des échanges, interdépendance. Qu'en est-il précisément des Etats du Sud? Ils œuvrent à distendre leurs liens des anciennes dépendances et tutelles; ils veulent aussi maximiser leur influence et leurs gains. Au passage, il faut évoquer que la thèse -très controversée- de l'Américain Samuel Huntington dans son livre Le Choc des civilisations (1996) est sérieusement battue en brèche un quart de siècle après.
Elle était par trop déterministe, fondée sur une sorte de prophétie auto-réalisatrice. Elle reposait sur la description d'un monde divisé en huit civilisations: occidentale, slave-orthodoxe, islamique, africaine, hindoue, confucéenne, japonaise et latino-américaine. La civilisation se définit par des éléments objectifs comme la langue, l'histoire, la religion ainsi que par des éléments subjectifs d'auto-identification. En découle un «choc»: un conflit a plus de chances de devenir une crise majeure s'il concerne des Etats de civilisations différentes.
D'une autre manière, ce fait annoncerait à terme une conflictualité irréductible sur la scène internationale. Un autre type de conflictualité donc, distinct des modèles idéologiques ou économiques concurrents -comme lors de la Guerre froide: elle embrasserait en effet des aires civilisationnelles et nourrirait leur altérité.
L'alignement idéologique ou culturel est désormais de très faible teneur dans la diplomatie des uns et des autres. Une mise au net doit être faite en Occident qui continue, globalement, à raisonner en termes de blocs. Des idéologues «occidentalistes», des deux côtés de l'Atlantique d'ailleurs, postulent encore que la culture, leurs valeurs et leur modèle de société prédominent en toute circonstance -une sorte d'horizon indépassable de dimension universelle.
Il a été aussi relevé que les décennies écoulées ont montré que le «petit frère» a tendance à l'emporter sur le «grand frère»: Netanyahou face à Obama ou Trump; dans d'autres cas, c'est même une défaite militaire: URSS- Afghanistan; ou encore Etats-Unis-Vietnam, Afghanistan, Irak, Somalie, sans oublier la France et le Sahel. La dépolarisation a poussé dans ce sens. Le «grand frère» a vu écorné son statut de leader dans le format de la Guerre froide en compétition. Les logiques de puissance ne sont plus les mêmes; elles accusent une érosion.
Le leadership est devenu low cost; il ne commande plus mais il garde encore cependant des capacités de pression et de maîtrise de l'agenda. Certains parlent volontiers d’images de «chaos» et de «désordre international»: un constat réducteur sans doute. C'est qu'en effet les grilles de lecture et d'interprétation sont celles des alliances durables et pérennes des diplomaties classiques. Or, de nouvelles données s'imposent et impriment le déroulé de la vie internationale: la fluidité, l'imprévisibilité des situations, les incertitudes. Un écheveau de diplomaties instables et complexes. Un jeu systémique délicat qui requiert de l'agilité qu'il faut décrypter en termes conséquents. La complexité. Le brouillard. L'inconnu...
Etait-ce pour autant la fin de l'après-guerre? Le président américain George H. Bush a alors préconisé et obtenu le maintien de l'Organisation atlantique, avec cette forte réserve du président français Mitterrand: «vous êtes en train de nous servir une nouvelle Sainte-Alliance». C'est que cette alliance changeait de périmètre et de dimension. Elle basculait ainsi d'une logique pragmatique dans un contexte de Guerre froide à autre chose: la sacralisation de valeurs jugées supérieures, celles de l'Occident. Elle créait et même réinventait pour se justifier un ennemi.
Si l'on appréhende l'espace hors Atlantique, une observation de principe peut être mise en avant: celle de «connivences pragmatiques» avec leur jeu influent. Des partenariats à géométrie variable d'une certaine fluidité se multiplient. Ils intéressent la Russie (Israël, Arabie Saoudite, Turquie, etc.) malgré des désaccords avec Ankara sur des dossiers tels que la Syrie, la Libye, le Caucase ou l'Ukraine. Il faut aussi citer, outre la Turquie, l'Inde et le Pakistan.
Ce dernier pays est un allié des Occidentaux et a sa place dans des alliances militaires. Mais ses connivences ne s'en distinguent pas moins avec la Chine. Il s'agit là d'une pratique qui s'installe de plus en plus. Elle conduit à donner peu de visibilité à des interactions entre Etats dans des espaces conflictualisés (Proche-Orient, Asie du Sud, Afrique). Confrontée à ces nouvelles réalités, l'OTAN arrive difficilement à s'adapter à ces nouvelles situations -elle s'apparente à un modèle lourd, inadapté aussi.
Ce conflit ukrainien de 2022 s'inscrit-il dans ce schéma? A première vue, la réponse est affirmative; elle prolonge la grammaire classique de l’OTAN, avec une actualisation de la Guerre froide. De fait, c'est beaucoup plus complexe dans la mesure où cette Alliance qui se veut durable et structurelle peine à se mondialiser. C'est vrai pour ce qui est des enjeux et des tensions en Méditerranée orientale; également dans la gestion de la crise d'Afghanistan. Il faut ajouter une évaluation insuffisante de ce que l'on appelé l'expression d'un «Bandung II» par référence a la conférence d'avril 1955, en Indonésie, réunissant pour la première fois les représentants de vingt-neuf pays africains et asiatiques. Elle allait marquer l'entrée en scène sur la scène internationale des pays décolonisés du «tiers monde» et leur volonté de non-alignement et par rapport aux deux blocs.
En mars dernier, il a été ainsi relevé qu'une quarantaine d'Etats ont choisi l'abstention lors des votes des résolutions de l'Assemblée générale des Nations-Unies en mars et avril sur le conflit ukrainien. En Afrique, en Asie et en Amérique latine, l'état d'esprit est le suivant: c'est une guerre en Europe; elle implique l'Occident; elle affecte les pays de ces espaces surtout le continent africain. S'y ajoute un sentiment anti-occidental qui se diffuse et qui a trait à une attitude paternaliste, voire néocolonialiste et même arrogante (Mali, RDC, etc.). Le déploiement des diplomaties de pays comme la Chine, la Russie et la Turquie en Afrique réduisent cumulativement l'influence des anciennes puissances coloniales. D'ailleurs bien tardivement, la France, l'UE et les Etats-Unis ont pris conscience de ces nouvelles réalités.
Cette séquence n'a pas la forte charge idéologique des décennies de la Guerre froide. Elle privilégie plutôt le pragmatisme et une forme d'utilitarisme économique dans la mondialisation -promotion des échanges, interdépendance. Qu'en est-il précisément des Etats du Sud? Ils œuvrent à distendre leurs liens des anciennes dépendances et tutelles; ils veulent aussi maximiser leur influence et leurs gains. Au passage, il faut évoquer que la thèse -très controversée- de l'Américain Samuel Huntington dans son livre Le Choc des civilisations (1996) est sérieusement battue en brèche un quart de siècle après.
Elle était par trop déterministe, fondée sur une sorte de prophétie auto-réalisatrice. Elle reposait sur la description d'un monde divisé en huit civilisations: occidentale, slave-orthodoxe, islamique, africaine, hindoue, confucéenne, japonaise et latino-américaine. La civilisation se définit par des éléments objectifs comme la langue, l'histoire, la religion ainsi que par des éléments subjectifs d'auto-identification. En découle un «choc»: un conflit a plus de chances de devenir une crise majeure s'il concerne des Etats de civilisations différentes.
D'une autre manière, ce fait annoncerait à terme une conflictualité irréductible sur la scène internationale. Un autre type de conflictualité donc, distinct des modèles idéologiques ou économiques concurrents -comme lors de la Guerre froide: elle embrasserait en effet des aires civilisationnelles et nourrirait leur altérité.
L'alignement idéologique ou culturel est désormais de très faible teneur dans la diplomatie des uns et des autres. Une mise au net doit être faite en Occident qui continue, globalement, à raisonner en termes de blocs. Des idéologues «occidentalistes», des deux côtés de l'Atlantique d'ailleurs, postulent encore que la culture, leurs valeurs et leur modèle de société prédominent en toute circonstance -une sorte d'horizon indépassable de dimension universelle.
Il a été aussi relevé que les décennies écoulées ont montré que le «petit frère» a tendance à l'emporter sur le «grand frère»: Netanyahou face à Obama ou Trump; dans d'autres cas, c'est même une défaite militaire: URSS- Afghanistan; ou encore Etats-Unis-Vietnam, Afghanistan, Irak, Somalie, sans oublier la France et le Sahel. La dépolarisation a poussé dans ce sens. Le «grand frère» a vu écorné son statut de leader dans le format de la Guerre froide en compétition. Les logiques de puissance ne sont plus les mêmes; elles accusent une érosion.
Le leadership est devenu low cost; il ne commande plus mais il garde encore cependant des capacités de pression et de maîtrise de l'agenda. Certains parlent volontiers d’images de «chaos» et de «désordre international»: un constat réducteur sans doute. C'est qu'en effet les grilles de lecture et d'interprétation sont celles des alliances durables et pérennes des diplomaties classiques. Or, de nouvelles données s'imposent et impriment le déroulé de la vie internationale: la fluidité, l'imprévisibilité des situations, les incertitudes. Un écheveau de diplomaties instables et complexes. Un jeu systémique délicat qui requiert de l'agilité qu'il faut décrypter en termes conséquents. La complexité. Le brouillard. L'inconnu...
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Le 360