Par Naïm Kamal
Encore fallait-il qu’auparavant je trouve mon propre mot, de manière à ne pas être influencé par ceux des autres. Une fois trouvé, j’ai procédé à une sélection d’observateurs* avertis* du Cercle Quid (mais pas seulement), un groupe WhatsApp où ils se rencontrent pour échanger autour des questions de l’heure. Je les ai mis au défi de s’associer au jeu, sans oublier ChatGPT-4.
L’un des interrogés, le seul d’ailleurs, m’a condensé un quart de siècle en six lettres : « Mitigé ». Venant de lui, le contraire m’aurait étonné, lui-même reconnaissant souvent que la parfaitude n’existe pas.
Dans leurs réponses, certains ont estimé nécessaire d’assortir leur mot d’un ou deux termes explicatifs. C’est le cas de celui qui a avancé « l’Artiste », ajoutant plus loin, « l’Artiste-bâtisseur », ou de l’auteur de « l’Unificateur », précisant aussi « l’Unificateur-bâtisseur ». C’est encore le cas de celui qui a retenu « Sérénité » en expliquant qu’il entendait par-là « Force tranquille ».
Avec les autres, on tombe sur : Développement, Détermination, Espoir, Modernisateur, Sécurité, Résilience, Réformes, Reconstruction, Réconciliation. Il y a d’autres termes, plus personnels ou, pour l’un d’eux, détonnant, que l’on verra plus tard.
Déjà, on peut noter que tous ces mots convergent et se complètent pour signifier en définitive la même chose : en 25 ans, le Maroc a beaucoup changé. Pas autant qu’on le voudrait, mais en mieux. Et tant pis si, avec tous ces mots, on se retrouve dans la situation paradoxale de démontrer, en essayant de prouver le contraire, qu’on ne peut réduire le Roi et 25 ans de règne à un mot.
Transformation
C’est ce changement que ChatGPT-4 a choisi de marquer. Également mis au défi, il a répondu instantanément comme à son habitude : « Transformation ». Je lui ai ensuite demandé d’expliquer. Voici sa réponse : « Pendant 25 ans, Mohammed VI a entrepris de transformer le Maroc à travers des réformes politiques, économiques, sociales majeures, visant à moderniser le pays, à améliorer les conditions de vie de ses citoyens et à renforcer sa position sur la scène internationale. » Peut-on faire plus concis ?
Cette transformation, un journaliste venu tardivement à Rabat d’une ville antique oubliée du changement, des voies de communication et de ses natifs, Sefrou, la qualifie de Fulgurance, tant, dit-il, elle a été au pas de charge.
Pour ma part, je trouve que ce qui résume Mohammed VI le mieux, c’est « Afrique ». Ce choix rejoint quelque part celui d’une des personnes interrogées, qui a opté en dialectale pour « Marocanité » (tamaghribite, sémantiquement plus signifiant que marocanité).
C’est que l’Afrique et le Maroc entretiennent, dans l’esprit de Mohammed VI, une relation intimement dialectique. Ils se fécondent mutuellement et se rejoignent continuellement. Géographiquement bien sûr, mais aussi dans toutes les autres dimensions de la culture, dans sa teneur intégrale, qui forment la doxa de l’action et de la pensée du roi : politique, géopolitique, économique, sociale et sociétale.
Dans son discours au Forum économique maroco-ivoirien à Abidjan en février 2014, qui à mon sens décline l’approche mohammédienne arrivée à maturité, le Roi a appelé « l’Afrique à faire confiance à l’Afrique ».
Dans ce discours, il a insisté sur l'importance de la coopération entre les pays africains pour le développement du continent. Il a insisté la nécessité pour l'Afrique de prendre en charge son propre destin en exploitant ses ressources et ses potentialités. Il a insisté sur des partenariats mutuellement bénéfiques, la bonne gouvernance et la dynamique entrepreneuriale pour transformer l'Afrique en un continent dynamique et développé. Il a insisté sur des projets visant à améliorer directement la vie des citoyens africains, ainsi que sur la dignité et la souveraineté.
Ce n’est donc certainement pas par hasard que sur 25 ans de règne, ce sont les déclinaisons de cette insistance que l’on retrouve à l’œuvre au Maroc. L’initiative atlantique pour créer un espace africain où l’accès à l’océan devient un droit pour tous n’est que l’un des épisodes, le dernier en date, de cette appréhension intégrée du continent et du Maroc, et au-delà du monde, où chacun devrait trouver son compte.
Cette Insistance, choix d’un des interrogés, est une constante de la politique extérieure du roi. Lorsque, par exemple, la tension dans les relations du Maroc avec trois grands pays européens – France, Allemagne et Espagne – a atteint son comble entre 2021 et 2023, beaucoup se demandaient si ce n’était pas aventureux et périlleux de s’engager ainsi sur trois fronts importants en même temps. Nombreux espéraient ou appelaient discrètement à la désescalade. Chacun sait aujourd’hui comment cela s’est terminé ou est en voie de l’être.
Audace et Audaces
Dans tous les domaines que résument abusivement les mots proposés par les sondés, on croise en filigrane deux mots solitaires qui définissent Mohammed VI, livrés par deux des participants : Audace et Audaces. Si les deux englobent de façon égale tous les champs d’intervention du Roi, comme celui de l’œuvre de réconciliation entreprise à travers l’Instance Équité et Réconciliation au début du règne avec les risques de confrontation qu’elle comportait avec les tenants de la ligne dure au sein du Makhzen, Audace, un singulier plus pluriel que le pluriel, inclut dans sa sémantique le tempérament, le caractère et aussi la dimension de l’audace physique dans ce qu’elle a parfois de téméraire. Faut-il le rappeler, mais c’est Sidi Mohammed, dauphin de la monarchie chérifienne, qui nous a gratifiés de deux accidents. L’un, de voiture, qui a fait dire à feu le Roi son père, tel que rapporté par Maurice Druon** : « j’ai eu plus peur pour le Prince héritier que pour mon fils » ; l’autre, moins connu, en jet ski en Tunisie.
Reste le dernier mot.
« Caravane », m’a-t-elle dit. Même venant d’elle, ça m’a surpris. Bien plus qu’un mot valise, caravane est un train de sens qui détonne, voire dissone, et qui a nécessité une longue explication. J’en retiens une, la plus entendue : « Les chiens aboient, la caravane passe. »
L’adage, replacé dans le contexte des débuts du règne, à un moment où la résilience marocaine était testée par tous et le Roi assailli de toutes parts, on ne peut ne pas penser à un livre qui résume cette époque, ‘’Le dernier Roi’’, écrit par un obscur journaliste français. On ne peut non plus ne pas se remémorer tout ce bad monde qui a gravité autour, s’est acharné à sa rédaction et travaillé à sa diffusion. Et quand on repasse un quart de siècle plus tard les séquences de ce mauvais film, on ne peut que s’étonner encore de la superbe et de l’endurance avec lesquelles Mohammed VI s’est appliqué un autre adage, aussi vieux que la caravane qui passe : « Bien faire et laisser braire. »
*Mes remerciements vont à tous ceux qui se sont prêtés à cet exercice, les voici en bonne compagnie de leurs mots dans l’ordre de leur arrivée : Abdejlil Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc (Audace) ; Salah El Ouadie, poète président du Mouvement Damir (Audaces) ; Radia Fassi Fihri, avocate (Développement) ; Mohamed Cheikh Biadillah, ancien ministre, ancien président de Chambre des Conseillers (Sécurité) ; Mohamed Maelainine, ancien ambassadeur (Artiste, Artiste-Batisseur) ; Samir Belahcen, universitaire, chroniqueur (Mitigé) ; Seddik Maaninou, journaliste, écrivain (Tamaghribite) ; Dr Fouad Bouayad, ORL (L’unificateur-Batisseur) ; Narjis Rerhaye, Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle (Réconciliation), Samia Fizazi, journaliste ( Caravane) ; Jalal Drissi, juriste-cadre bancaire (Résilience) ; Abdeslam Seddiki, économiste, ancien ministre (Détermination) ; Dr. Saad Fassi Fihri, néphrologue (Reconstruction) ; Abdelaziz Tribek, activiste, auteur (Sérénité) ; Mohamed Bouslim, cadre bancaire (Réformes) ; Karim Douichi, journaliste (Fulgurance), Noureddine Afaya, unicersitaire, membre de l’Académie du Royaume (Insistance) ; Mhammed Bhiri, journaliste audiovisuelle (Espoir); Mohamed Taki, cadre du secteur privé (Modernisation).