Par Aziz Boucetta
Près de quatre ans après que le roi Mohammed VI ait appelé à la nécessité d’un nouveau modèle de développement et suite à un labeur de 18 mois, la commission créée à cet effet a finalement rendu sa copie. Plusieurs centaines de pages de rapport général, annexes et restitutions d’écoutes plus tard, on peut avoir une idée de ce que serait, ou du moins pourrait être, le Maroc de 2035. Et aussitôt, commence la tâche d’explication des auteurs, et aussi celle de démolition des contempteurs…
Avant même sa publication, le rapport avait donné lieu à moult théories, chacun y allant de son pronostic de « sachant ». Il est vrai que le rapport a tardé, pour d’obscures raisons, et que, publié fin mai, il est en effet daté en avril. Des corrections de dernière minute et des ajustements de dernier recours sans doute, mais est-ce pour autant une raison de jeter le bébé avec l’eau du bain ? Il semblerait que oui pour plusieurs commentateurs et autres influenceurs en mal d’influence, influençant des influençables en mal de contestation. C’est leur droit, mais ne serait-il pas de leur devoir, également, d’étudier ce travail, avec ses nouvelles doctrines exposées, ses objectifs annoncés, ses mécanismes d’implémentation détaillés, et ses financements proposés ?
Revenons à cette sourate Ar-Raâd (13 :11) : « إِنَّ ٱللَّهَ لَا يُغَيِّرُ مَا بِقَوْمٍ حَتَّىٰ يُغَيِّرُوا۟ مَا بِأَنفُسِهِمْ » (Allah ne modifie point l'état d'un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes). Clairement, comment pourrions-nous changer si nous refusons le changement et que nous nous refusons à changer nous-mêmes ? Et comment refuse-t-on le changement ? En mettant systématiquement en doute ce qui vient du haut, et en refusant d’impulser des actions du bas.
En 2011 déjà, une nouvelle constitution avait vu le jour, étendant singulièrement les pouvoirs du gouvernement et de son chef, mais les partis politiques restent encore et toujours aussi atones dans leur action que monotones dans leur expression. Cela conduit à une désaffection des électeurs, qui daignent de moins en moins se déplacer aux bureaux de vote. Comment constituer une société forte dans ces conditions ?
Dix ans plus tard, plusieurs centaines de pages sont produites par 36 experts, répondant à cette commande du chef de l’Etat : « Nous attendons de cette commission qu’elle remplisse son mandat avec impartialité et objectivité en portant à Notre connaissance un constat exact de l’état des lieux, aussi douloureux et pénible puisse-t-il être. Elle devra aussi être dotée de l’audace et du génie nécessaires pour proposer des solutions adaptées »… Cela a été fait, cela est certainement perfectible, mais cela forme une base de réflexion, pour qui veut.
Sitôt publié, on a alors qualifié ce travail, sans l’avoir forcément lu, de coquille vide, de littérature habituelle, voire de torchon ! Et pourtant, la méthodologie de travail retenue a permis de faire remonter toutes les doléances, attentes, espérances et récriminations des Marocains, dûment reproduites dans le rapport général ; en annexe, sur 350 pages, la commission détaille les solutions à retenir et les financements à obtenir pour mettre en place ce modèle de développement.
Ceux qui attendaient une attaque frontale contre l’Etat seront restés sur leur faim, mais tel n’était pas l’objectif, encore que plusieurs passages doivent être lus dans leur esprit et non dans leur lettre…
Alors, aujourd’hui, l’heure est au travail. La société a des droits, qui ont été soigneusement détaillés, sous tous leurs angles, mais elle a aussi des obligations… exactement comme l’Etat, qui doit se moderniser et accepter de plus et mieux partager son pouvoir. Chacune des deux parties, Etat et société, ont leur part de travail à accomplir et d’engagements à tenir. « Libérer ses énergies » incombe à la société, mais ne pas emprisonner ceux qui se libèrent est la tâche de l’Etat, et c’est ce qui ressort de cette belle formule très allusive de « risque d’insécurité et d’arbitraire du système judiciaire ».
Au final, l’objectif est de façonner une société forte, sans laquelle rien n’est crédible, qui entrera en rapport dialectique avec un Etat fort, en dehors duquel rien n’est possible, ainsi que nous l’avons pu voir lors de la crise sanitaire. Un Etat fort régule et protège, et une société forte en tempère les ardeurs et les abus.
Le Maroc vit une relève générationnelle avec des jeunes qui aspirent à vivre, respectés et protégés, idéalement chez eux ; il appartient à leurs aînés, qui ont connu le Maroc d’avant, d’accepter de se projeter vers l’avenir et de cesser de ressasser les dérives passées.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com