Par Lahcen Haddad
Les élections interviennent dans un contexte marqué par les effets, forts et profonds, de la pandémie du Covid-19 sur la société et l’économie, et par les attentes qui marquent la scène politique à la suite de l’adoption et au lancement par le roi Mohammed VI de deux chantiers structurant lesquels consistent en l’élaboration d’un nouveau modèle économique et social conforme aux aspirations du Maroc et à ses engagements internationaux en matière d’objectifs de développement durable et d’enjeux climatiques, et le lancement d’une nouvelle politique qui assure une couverture sociale juste, équitable et globale qui bouleversera les questions de la protection sociale et permettra aux classes moyennes et modestes d’obtenir des protections de nature à renforcer leurs capacités pour sortir de la pauvreté et de la précarité.
La voix des intellectuels, des politiciens, des analystes et des experts a même disparu d’une manière qui suscite des interrogations: tout le monde aurait-il cédé à la position de l’opinion publique parallèle, présente au niveau des médias sociaux, qui considère les élections comme inutiles au vu du manque de clarté de vision concernant les questions de gouvernance, et au vu de l’utilisation de moyens illégaux pour influer sur les élections, toujours selon ceux qui doutent de l’utilité des élections.
Nous nous rappelons comment, dans les années quatre-vingt du siècle dernier, le débat politique, qui était chaud, fort et tumultueux, s’est focalisé sur l’efficacité de la politique d’ajustement structurel qui a été adoptée sous la pression du Fonds monétaire international, et sur les effets négatifs de la politique néolibérale adoptée par le Maroc sous l’influence du reaganisme et des institutions monétaires internationales influencées par la pensée économique américaine.
Il est vrai que le débat était idéologique, mais il avait des dimensions politiques qui visaient à enrichir intellectuellement les échéances électorales tout au long des années 80.
Dans les années 90, le débat politique s’est focalisé sur la motion de censure présentée par l’opposition en 1990, qui, malgré son échec à faire tomber le gouvernement, a conduit à d’importants amendements constitutionnels en 1992 et 1996 ainsi que sur les conditions d’entrée des partis nationaux au gouvernement dans le cadre d’une alternance consensuelle.
Surtout le refus de l’opposition du puissant ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Basri, l’attachement de feu le roi Hassan II à ce dernier, la question de la malheureuse campagne d’assainissement, qui a visé des hommes d’affaires accusés d’implication dans la contrebande, la corruption, le dumping de l’économie nationale, et bien sûr les partis historiques d’opposition sont entrés dans le gouvernement d’alternance en 1998.
Au cours de la décennie suivante, le débat politique qui a accompagné les échéances électorales s’est focalisé sur les violations des droits de l’homme pendant les années de plomb, sur les réformes politiques et économiques et sur les visions futures dans la perspective de la réalisation des objectifs du Millénaire.
L'opinion publique virtuelle a déserté le débat politique
Toutefois, l’âge d’or du débat politique, qui a rappelé les périodes des années soixante et soixante-dix, avec la différence du niveau de liberté, de système politique et de pensée, est 2011, ainsi que les révolutions du printemps arabe, le mouvement du « 20 Février », et l’implication des partis, de la société civile et de toute l’opinion publique dans le débat sur la réforme constitutionnelle.
Après les élections de 2011, nous avons assisté à un tournant décisif dans la nature du débat politique accompagnant les élections.
Les élections de 2016 étaient décidées avant qu’elles n’aient lieu, c’est pourquoi le débat a donc été réduit à contrer le Parti justice et développement (Islamiste). C’est ce qui a été contre-productif lorsque les résultats ont été annoncés.
Il n’y a eu aucun débat, mais cette opération de fuite en avant s’est accompagnée d’un silence étrange de la part des leaders d’opinion, des intellectuels, de la presse, de la société civile et des partis politiques.
C’est l’absence du débat politique en 2016 qui a rendu difficile d’aborder des questions politiques et constitutionnelles aujourd’hui, c’est-à-dire en 2021, et ce pour de nombreux acteurs politiques, qu’ils soient partisans ou non partisans.
L’objectif de contrer les islamistes est toujours sur la table pour certains acteurs, comme cela a été constaté lors du débat houleux qui a accompagné l’adoption de la loi sur la Chambre des représentants, surtout celle portant sur « le quotient électoral ».
Mais à part cela, ce que nous remarquons, ce sont des sorties médiatiques qui surviennent ici et là sans vision, sans analyse, et sans clarification des positions sur certaines questions, comme l’article 47 de la Constitution portant sur qui devrait occuper le poste du Chef de gouvernement, le rôle de la deuxième chambre (la Chambre des conseillers), qui est devenue aux yeux de plusieurs une sorte de redondance institutionnelle.
L’existence de collectivités locales (municipalités) pauvres et non viables, la nécessité de dépasser l’approche néolibérale et d’aller vers un Etat de prospérité d’un nouveau type à travers le chantier de la couverture sanitaire et de protection sociale complète, lancé par le roi Mohammed VI, le renouvellement du système de gouvernance afin de définir clairement les responsabilités de manière à permettre à ceux qui ont occupé des postes publics ou électoraux de rendre des comptes.
Ainsi que la nécessité de réformer, de rassembler et de rendre efficientes des institutions publiques qui s’accaparent une part importante du budget d’investissement sans être soumises à l’autorité du gouvernement dans certains cas, de donner une vitalité et une efficacité au chantier de la régionalisation bloqué à cause de calculs politiciens et la faiblesse du niveau de compétences managériales de certains élus.
En plus de cela, des questions controversées comme celles des libertés individuelles, de l’héritage et de la légalisation de l’usage industriel du cannabis ne sont toujours pas résolues, et aucun consensus n’a été trouvé à leur sujet, et pourtant elles sont restées absentes de la scène du débat politique.
Ces sujets et d’autres sont des sujets cruciaux et sensibles qui accompagnent généralement le débat politique à la veille des élections, et même après.
Mais ce que nous observons, c’est une tiédeur, une aversion, une appréhension et une absence d’un débat véritable, franc et audacieux sur ces questions.
Les partis sont hésitants, les intellectuels absents et la presse s’intéresse plus à des questions sociétales que politiques.
C’est ainsi que l’on constate que l’opinion publique (virtuelle) ne trouve aucun intérêt aux élections ni au débat politique à leur sujet.
Ce qui est grave, c’est que l’histoire moderne du Maroc n’a jamais connu un débat public aussi timide que celui que nous connaissons aujourd’hui.
Pour ce qui est des raisons, la première est de réduire l’action politique à la nécessité de dépasser la période du mandat des islamistes à la tête du gouvernement.
La deuxième raison est l’absence d’une volonté commune de rompre avec le passé en présentant la candidature des mêmes figures et des mêmes élites, notamment celles sur lesquelles planent des soupçons de corruption, ce qui pousse beaucoup de personnes à ne voir aucun intérêt dans un vaste débat public.
La troisième est l’éparpillement du débat public et l’incapacité des médias influents, publics ou privés, de l’encadrer pour qu’il soit bénéfique aussi bien pour l’opinion publique que l’électeur.
Les parties prenantes rectifieront-elles cette question dans les mois qui restent avant les élections ?
Verrons-nous un réveil, quoique tardif, pour soulever les questions brûlantes avec l’audace que l’on connaissait à l’élite marocaine par le passé ? C’est ce que nous verrons dans les quelques prochains jours et semaines.
Par Lahcen Haddad