Par Taoufiq Boudchiche
L’interventionnisme étatique ayant trouvé sa justification théorique, les finances publiques en ont constitué la colonne vertébrale et l’ossature générale. D’autant plus que toutes les décisions en finances publiques, a-t-il été souligné par Nourredine Bensouda, Trésorier Général du Royaume, sont également politiques en ce qu’elles portent, selon ses propos « sur le vivre ensemble, le pactum societatis ou contrat social qui est le fondement même de l’Etat ».
Dans cette perspective, M. Bensouda fait rappeler que l’enjeu in fine de la gouvernance financière est de concilier entre les objectifs politiques et sociétaux d’un Etat de droit démocratique tels qu’ils sont inscrits pour le Maroc dans la Constitution marocaine (société solidaire, égalité des chances, dignité du citoyen, justice sociale…) et les enjeux de bonne gouvernance.
Or, il s’agit là d’un enjeu qui soulève de nombreux défis car, comme rappelé par le Professeur Bouvier, les systèmes des finances publiques semblent dépasser par la complexité des demandes sociales et politiques que les Etats sont en devoir d’assumer en termes d’action publique. Les sollicitations envers l’Etat par le biais des finances publiques n’ont cessé de s’étendre, de se complexifier et de s’élargir à de multiples acteurs, intervenants et secteurs… mettant au défi les finances publiques d’autant plus que le monde entre dans une nouvelle ère de multi-crises qui se superposent et s’imbriquent. Madame Nadia Fettah, Ministre de l’Economie et des Finances en faisant référence à ce contexte, a souligné dans son allocution que « le monde traverse une période des plus difficiles qui se manifeste globalement par une croissance atone, une forte inflation et une aggravation de l’endettement public ».
Or, dans ce contexte, la question posée est de faire émerger un modèle de gouvernance financière apte à remplacer le modèle traditionnel de gouvernance financière, qui selon le Professeur Bouvier, avait déjà connu une désagrégation par la remise en question du système financier dit de Bretton Woods mis en place en 1944 qui garantissait plus ou moins une certaine stabilité monétaire. Depuis cette période, les différentes crises économiques et financières depuis les chocs pétroliers jusqu’à la crise de 2019, l’architecture financière internationale est sujette à une évolution préoccupante et à l’instabilité sous l’effet des fluctuations monétaires, l’endettement, la spéculation… qui minent le cadre monétaire international et par ricochet met au défi la gouvernance des finances publiques.
Parmi les réponses à ce désordre des finances publiques, il y a eu une montée en puissance des logiques managériales qui imprègnent l’action publique rendant encore plus complexe la gouvernance financière par la filialisation de l’Etat, la multiplication des agences publiques et semi-publiques jusqu’à rendre aveugle la gouvernance financière sur le long terme.
Un contexte qui a mis face à face deux visions antagonistes de l’économie l’une, interventionniste (vision kenésienne), l’autre libérale, voire ultralibérale inspirée de l’économiste (Frederic Van Hayek) pour qui la solution se trouve dans le moins d’Etat possible. Comme une revanche sur l’histoire, les courants de pensée libéraux ont inspiré des époques marquantes comme celle de Mme Tatcher, Première Ministre en Grande Bretagne et celle de Reagan aux Etats-Unis dans les années 1980.
Il y aurait donc nécessité selon le Professeur Bouvier d’engager une réflexion approfondie invitant les chercheurs et les praticiens à une sortie de ce face à face entre deux visons économiques propre à une époque et qui ont fait leur temps. Il conviendrait de réinventer de nouveaux fondements conceptuels sur le rôle de l’Etat et par là même de nouveaux modèles de gouvernance financière en mesure de préserver la soutenabilité financière tout en préservant les modèles politiques et sociaux d’un Etat de droit démocratique garantissant la protection sociale, l’efficacité économique et innover en matière de durabilité économique (marchés publics verts, fiscalité verte, taxonomie verte..).
A ce sujet des principes directeurs ont été énoncés par les différents intervenants. Par exemple, garantir l’unité d’action dans le cadre de cette multitude d’acteurs, l’adoption d’approches systémiques à l’instar des systèmes intégrés d’information mis en place par la Trésorerie Générale, l’importance de visions globales du système des finances publiques, notamment pour faciliter l’évaluation et le contrôle par le Parlement et les acteurs concernés, développer des approches prospectives intégrant l’Intelligence artificielle et les technologies du futur, développer l’Etat territorial en donnant plus de marges de manœuvres aux collectivités territoriales en matière de gouvernance financière, adopter les bonnes pratiques observées à l’international.
Car, selon Monsieur Ahmed Reda Chami, Président du Conseil Economique et Social, une bonne gouvernance financière est à considérer comme un véritable levier du développement économique et social et source de création de richesses et d’attractivité globale du pays.
Enfin, il ya tout lieu de rester optimiste car selon le Trésorier Général du Royaume, le système des finances publiques au Maroc est le plus avancé de la zone Maghreb et Moyen Orient et les décideurs comptent bien monter en gamme dans le leadership au niveau mondial dans ce domaine.
Un sentiment partagé par les différents observateurs et notamment les partenaires venus de France qui ne manquent pas de saluer lors de chaque édition l’importance et la singularité du cadre de réflexion offert par les colloques organisés par la Trésorerie Générale du Royaume en partenariat avec FONDAFIP (France) sous l’égide du Ministère de l’Economie et des Finances.