Par Mustapha Sehimi
Voilà que la notion de souveraineté rebondit. Avec le discours royal du 8 octobre devant le Parlement, elle se pose en des termes appuyés. Qu’a déclaré le Souverain? Que «la crise pandémique a révélé le retour en force du thème de la souveraineté, qu’elle soit sanitaire, énergétique, industrielle, alimentaire ou autre»... Que faire alors? La réserve stratégique des produits de première nécessité couvrant les besoins nationaux. Les économistes font référence à cet égard à ce qu’ils appellent l’économie de la vie, celle qui permet de satisfaire les besoins des citoyens dans leur vie quotidienne.
Assurément, il y a là une relation entre ce principe d’une réserve stratégique et celui de la souveraineté nationale. Si la première n’est pas assurée, la seconde ne peut qu’en pâtir, accusant bien des difficultés pouvant conduire à des situations fatales. La souveraineté. C’est la capacité d’être maître chez soi. De résister aux attaques extérieures. Et aux tentatives de déstabilisation internes. A ce titre, la souveraineté économique est donc un attribut-clé d’un Etat politiquement indépendant. Elle suppose globalement que l’offre productive réponde aux principaux besoins alimentaires et énergétiques et aux principaux élémentaires de la demande de biens et services de la population.
Mais comment apprécier la souveraineté économique dans un monde de grande interdépendance? Les sources d’énergie carbonées sont inégalement réparties sur la planète; les importations restent un élément clé des équilibres alimentaires finaux; la désintégration des chaînes de valeur dans les productions industrielles conduit à une interdépendance croissante des productions nationales; enfin, après une longue montée de la globalisation des chaînes de production, l’on assiste à la progression des forces appelant … A la déglobalisation, les unes populistes, et les autres, corporatistes.
Dans un monde d’interdépendance et de montée des appels au protectionnisme, la souveraineté économique est ainsi fortement interpellée – bousculée même. Des critères objectifs permettent de limiter cette dépendance. Ainsi les pays avec des balances courantes positives et des positions financières externes sont moins menacés que ceux qui sont dans une position inverse. Au Maroc, comme l’a déclaré le Souverain, les réserves de change sont confortables avec 313 milliards de dollars (+5,7%) représentants plus de 7 mois d’importation et des indicateurs en hausse; IDE (+16%) et transferts des MRE (+46%).
D’autres secteurs appellent à la préservation de la souveraineté, tel celui du sanitaire. Ainsi l’industrie pharmaceutique ne peut faire l’économie d’une stratégie par le gouvernement Akhannouch. L’intérêt général doit l’emporter sur le profit. Et la branche Recherche & Développement est à encourager et à prioriser même. La gestion de la crise sanitaire a permis de mettre en lumière l’absence de souveraineté de production de médicaments. L’Etat doit pouvoir retrouver la maîtrise de ce secteur hautement stratégique, aujourd’hui davantage guidé par la marchandisation de l’industrie pharmaceutique. La politique de santé publique doit en effet répondre aux besoins humains. La santé est un bien public, que l’Etat doit protéger face aux vents contraires d’une industrie pharmaceutique dominée par la rentabilité.
Autre domaine éligible à la souveraineté économique: celui de l’agro-écologie. Référence est faite ici à l’intensification de la production tout en respectant les équilibres naturels et en privilégiant le recyclage. Des principes sont ainsi à retenir: l’optimisation de la disponibilité des nutriments et l’équilibre de leurs flux, des conditions des sols favorables, la minimisation des pertes en énergie solaire, en air et en eau, la promotion de la diversification génétique et des espèces de l’agro-écosystème et enfin, la valorisation des interactions biologiques. L’agro-écologie vise à la réduction des coûts par la réduction des dépendances externes (intrants, énergie, techniques inappropriées).
Face aux défis de la souveraineté alimentaire et agricole, l’on ne peut ignorer un aspect particulier: celui du type d’éducation approprié. Il s’agit non plus de reproduire le modèle de société actuel, mais d’autre chose: la formation de citoyens capables de repenser la société et de la transformer. Il s’agit d’un socle commun de connaissances du citoyen –consommateur responsable et averti. Le plaidoyer est nécessaire pour changer les règles du commerce mondiale (OMC, accords de libre-échange), promouvoir une transition énergétique et la souveraineté alimentaire, bases indispensables du respect du droit à l’alimentation. L’éducation, elle aussi, est un levier essentiel pour un véritable changement de société.
Mais il y a plus. Ainsi la souveraineté embrasse aussi un nouveau secteur: celui du numérique. La souveraineté des Etats est de plus en plus contestée avec le pouvoir des GAFAM, ces grandes multinationales américaines qui règnent sur l’espace digital, décident à l’occasion de supprimer des contenus et vendent même les données personnelles. De grands enjeux. Il s’agit de préserver ou de reconquérir une part du pouvoir qui s’exerce dans ces nouveaux espaces, pourtant conçus pour échapper à l’emprise étatique. Le Maroc –comme les autres pays– est devenu dépendant de la technologie et des entreprises qui les contrôlent. Une tendance qui s’accentue avec le développement des algorithmes, de objets connectés, de la robotique, de l’intelligence artificielle. Or ces technologies sont régies par le code informatique.
Dans l’espace numérique, la régulation des activités et comportements dépend davantage des standards et normes techniques déterminés par les ingénieurs informatiques que des normes juridiques édictées par les Etats (c’est le sens de la fameuse formule «code is lavo»). Les Etats sont de ce fait dans une situation particulière: ils se retrouvent à la fois contestés et concurrencés dans l’exercice de leurs prérogatives classiques attachées à la souveraineté. Une «colonisation» d’un nouveau genre? Elle n’est pas une violence subie, mais se vit comme une aspiration ardemment souhaitée par ceux qui entendent s’y soumettre. Une irrésistible expansion du libéralisme –la «siliconisation» du monde. Les grands opérateurs surtout américains (GAFAM) ou (Netflix, AirBnb, Testa, Uber) mais plus seulement –le BATEX chinois ou encore le moteur de recherche ruse YANDEX)– disposent d’un pouvoir qui bouleverse les modes de gouvernement.
D’où l’émergence de plus en plus accentuée de la notion de souveraineté numérique. C’est un modèle à inventer. Il correspond à la maîtrise de notre présent et de notre destin tels qu’ils se manifestent et s’orientent par l’usage des technologies et des réseaux informatiques. Une volonté collective des citoyens qui doit être mise en œuvre et portée par les politiques publiques de préservation de la souveraineté numérique.
Au total, avec l’appel royal, par-delà le programme du nouveau gouvernement, avec ses multiples déclinations sectorielles, tout doit être fait pour mettre au net les secteurs de la souveraineté du Maroc.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur https://le360.ma