Maroc: industrie de défense et autonomie stratégique


Une industrie de défense consacre et prolonge l’opérationnalisation de l’autonomie stratégique, laquelle est pratiquement consubstantielle à l’exercice et à la préservation de la souveraineté nationale. Son développement est une longue marche qui s’ouvre, adossée à une stratégie, un cap et des dispositifs désormais opératoires.



Par Mustapha Sehimi

Le Conseil des ministres présidé par le Roi le 1er juin courant a adopté, entre autres, un texte important relatif à la création de deux zones d’accélération industrielle de défense. Globalement, c’est là un dispositif particulier visant notamment la fabrication du matériel et des équipements de défense et de sécurité, ainsi que des armes et des munitions.


C’est un décret d’application de la loi n° 10-20 relative à l’industrie de défense, qui traduit l’opérationnalisation des dispositions de l’article 55 de la loi précitée. Il met en place à cet égard un cadre juridique précis, appréhendant un secteur on ne peut plus sensible: des réglementations des autorisations d’exportation et d’octroi d’autorisations spécifiques, la définition des types d’équipements produits localement et les formes de coopération avec des opérateurs industriels.

 

Il fallait en effet asseoir et sécuriser juridiquement ce secteur, et ce, préalablement au lancement de projets. Il convenait également, dans cette même ligne, de mettre sur pied une politique de régulation (contrôle des opérateurs par des commissions ad hoc, évaluation de la viabilité des projets, conformité aux normes de sécurité nationales). D’autres textes vont suivre, portant sur la composition et le fonctionnement de ces commissions.


À noter encore que les domaines industriels retenus sont éligibles à trois secteurs: catégorie A (matériels de guerre, armes et munitions de défense), catégorie B (armes et équipements de sécurité publique et de maintien de l’ordre), et catégorie C (armes et munitions à usage militaire, chasse, tir sportif et compétitions, armes traditionnelles ou à air comprimé).

 

Ce grand chantier participe de la volonté de renforcer les capacités des Forces armées royales (FAR). C’est l’un des points de l’ordre du jour adressé d’ailleurs par le Souverain aux FAR, le 14 mai dernier, à l′occasion de la célébration du 68ème anniversaire de la création de celles-ci: «Développer les capacités des FAR, toutes composantes confondues, et les doter de tous les moyens techniques modernes et des équipements nécessaires». Le Maroc entend ainsi faire sa place dans le club restreint des producteurs et des industriels de défense.

Diverses formules de partenariat ont été mises en place pour ce qui est de l’armement défensif: le groupe aérospatial belge Orizio, la société Maintenance Aero Maroc (MAA) émanant de MedZ (Groupe CDG), l’accord avec l’entreprise américaine Lockheed Corporation…
 

L’engagement du Maroc dans le processus de modernisation de la politique de défense participe de plusieurs préoccupations liées entre elles d’ailleurs. La première a trait à des enjeux économiques notables. Le marché mondial de la production et du commerce d’armement n’est plus limité aux États-Unis et à la France, ni à la Russie et à la Chine. Il s’est ouvert à d’autres pays comme la Turquie, la Corée du Nord, etc. Les dépenses militaires sont en hausse continue et c’est encore plus vrai aujourd’hui en particulier avec la guerre Ukraine-Russie.


Voilà bien une dimension économique qui pèse de plus en plus de tout son poids. Les tensions s’exacerbent et remettent au premier plan ce que l’on a appelé le «dilemme de sécurité», référence à des besoins de sécurité des pays qui nourrissent une insécurité croissante pour les autres. Il faut également relever un autre phénomène qui offre une opportunité pour le Royaume: celui de l’externalisation de l’industrie d’armement avec la sous-traitance d’activités connexes, lié de ce fait à la spécialisation dans le cœur de métier, tout en cherchant l′avantage compétitif offert par des pays émergents comme le Maroc.

 


Une autre préoccupation regarde, elle, une nécessité stratégique. Pour Rabat, il importe de promouvoir et de consolider à terme une autosuffisance en matériel de défense et de sécurité et de disposer d’une autonomie logistico-opérationnelle. Question de souveraineté et de maîtrise du destin national.


Une politique d’industrie de défense va au-delà d’une base industrielle et technologique de défense, elle est l’expression d’un volontarisme confortant la capacité et l’indépendance de décision, ainsi que la liberté d’action. Ce qui explique qu’il n’y a pas de liberté d’entreprendre dans le secteur de l′industrie de défense: l’autorisation de production et d’exportation est du seul ressort de l’État -une compétence régalienne.
 

Une industrie de défense consacre et prolonge ainsi l’opérationnalisation de l’autonomie stratégique, laquelle est pratiquement consubstantielle à l’exercice et à la préservation de la souveraineté nationale. Faire monter en puissance une industrie nationale de défense, assurer sa pérennisation: voilà le diptyque. La loi n° 10-20 a ainsi prévu le soutien à l’investissement dans cette industrie.


La nouvelle Charte de l’investissement, appliquée depuis juillet 2022, a en effet prévu des mesures incitatives en faveur des opérateurs dans le secteur: régimes économiques en douane (admission temporaire, transformation sous douane), exonération de la TVA sur les ventes au profit des organes de l’État chargé de la défense, de la sécurité et du maintien de l’ordre public (art.50, .812. 2), et même dans certaines circonstances des autorisations de fabrication à des personnes morales sans limitation dans le capital social. C’est une longue marche qui s’ouvre, adossée à une stratégie, un cap et des dispositifs désormais opératoires.

Rédigé par Mustapha Sehimi  sur Le 360


Vendredi 7 Juin 2024

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