Par Aziz Boucetta
Le Maroc poursuit son chemin de grande bascule… tranquillement et avec assurance. Le vice-premier ministre israélien et ministre de la Défense Benny Gantz est dans nos murs depuis mardi 23 novembre et a rencontré plusieurs responsables gouvernementaux et militaires, signant un accord militaire historique (le mot ici n’est pas galvaudé), sous les yeux de trois gradés israéliens en uniforme, une première ! Washington guette, Alger s’inquiète et l’Union européenne continue de tergiverser et perd du terrain.
En recevant Benny Gantz, le royaume qui affirme constitutionnellement l’affluent hébraïque de son identité lui a sorti le grand jeu des cérémonies des grands jours, avec de grands sourires et de grands abrazos à bras ouverts… Trois mois après la visite de Yair Lapid, le ministre des Affaires étrangères et futur Premier ministre, c’est au tour de Benny Gantz, ancien chef d’état-major de Tsahal et ancien futur Premier ministre de l’Etat hébreu de fouler le sol marocain. Ce n’est certainement pas une coïncidence…
… Comme il n’est pas du tout fortuit que Nasser Bourita ait rencontré Benny Gantz quelques heures après avoir été lui-même reçu à Washington au Département d’Etat par Antony Blinken qui lui a dit devant caméras que cette visite est l’occasion « d'aborder le rétablissement des relations entre le Maroc et Israël et des démarches entreprises par les deux pays pour consolider ce processus ». Comment mieux « consolider ce processus » qu’en recevant en quelques semaines les deux plus hauts responsables israéliens après le Premier ministre Naftali Bennett ?
La diplomatie marocaine verrouille. Les Etats-Unis n’ont pas reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara par grandeur d’âme, mais pour deux raisons précises : leurs intérêts économiques et géopolitiques, et le maintien et le renforcement des relations entre Rabat et Tel Aviv. Et le Maroc verrouille donc, en garantissant les intérêts US dans la région nord-ouest africaine, en s’engageant clairement dans leur sphère d’influence mais dans l'équilibre, et en signant des accords multiples et touchant à nombre de secteurs de pointe avec Israël. Et ce faisant, le Maroc répond à l’excitation des Algériens, plus proches que jamais du coup de feu contre le Maroc, un coup de feu auquel ils devront désormais réfléchir à deux fois avant de l’entreprendre…
Que dit l’accord signé entre Israël et le Maroc ? Il formalise un cadre de coopération dans les domaines militaire, de sécurité et de renseignement, crée des canaux officiels entre les services de renseignement et de sécurité des deux pays et installe le fondement juridique de la coopération industrielle et technique, des échanges de visites, de la formation et des exercices conjoints. En d’autres mots, le Maroc fera bénéficier Israël de son expertise sécuritaire et Israël offre au Maroc sa coopération (sa protection pour tout dire) militaire, avec entre autres son système Dôme d’acier.
Et, bien évidemment, au Maroc, des voix s’élèvent pour exprimer leur colère et leur rejet de toute normalisation avec « l’ennemi sioniste ». C’est leur droit, mais on n’avance pas vers l’avenir en regardant vers le passé, étant entendu que les principaux concernés, en l’occurrence les Palestiniens, restent sur leur réserve, en se retenant d’insulter… l’avenir. Le Maroc, avec sa diplomatie vieille de plusieurs siècles, est passé maître dans l’art de concilier les impossibles : Traiter avec les Etats-Unis tout en accueillant les Chinois, et sceller une forte alliance avec les Israéliens en préservant à leur très haut niveau ses relations avec les Palestiniens. De la haute voltige politique, économique, stratégique, militaire et sécuritaire.
Ce sont les rudes conditions de la géopolitique très mouvementée de ce 21ème siècle… En effet, la région Sahel étant désormais l’une des plus instables au monde et le Maroc se sentant à raison menacé par l’Algérie, il a choisi de se protéger et de s’arrimer à des alliés sérieux et bien plus fiables qu’une Union européenne qui ne résout pas à se départir de son double-jeu : vouloir ménager le Maroc pour le business tout en s’inquiétant de ses ouvertures et, « en même temps », aspirer à maintenir ses relations avec l’Etat algérien, plus imprévisible que jamais mais bénéficiant en toute illogique de la bienveillance européenne.
Alors que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et Israël s’engagent résolument dans cette région avec une bonne lecture de ses nouveaux défis et de ses mutations, les partenaires classiques européens restent sur leur ancienne logique, comme en témoigne la courte et peu visible visite d’un ministre délégué français venu parler benoîtement business.
L’Histoire s’écrit sous nos yeux, lentement mais sûrement. A nous et à d’autres de la lire, attentivement.
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