Par Aziz Boucetta
Elles sont toutes jeunes, c’est vrai, et aux âmes bien nées, le mariage doit attendre le nombre des années… Corneille n’aurait pas dit autre chose. Mais au Maroc, il existe de plus en plus, d’année en année, d’âmes semble-t-il pas très bien nées, puisque le nombre de demandes de mariages avec des gamines augmente régulièrement, impitoyablement, inquiétamment…
Les chiffres : en 2020, près de 20.000 demandes en mariage ont été soumises à la justice, et plus de 13.000 autorisées. Ces statistiques semblent en baisse car les demandes de mariage des mineures de 15 à 18 ans mariées sont passées de 40.000 en 2019 à environ la moitié en 2020. Le Maroc comptait en 2015, selon la Banque mondiale, très exactement 1 442 211 « femmes » âgées de 15 à 19 ans. C’est donc 1,5% de cet effectif qui est extirpé de ce qui devrait être la norme, l’école et non le mariage.
Mais ces statistiques sont aggravées dans une proportion inchiffrable puisqu’elles ne concernent que les noces autorisées par la justice. Il reste les mariages coutumiers, à la « Fatiha », devant une douzaine d’individus, qui seraient alors plus des complices d’un acte pédophile que les témoins d’un mariage régulier. Et on ne compte pas encore assez ni convenablement les mariages de filles jeunes contraintes par le père, l’oncle, le frère, à dire oui à un quelconque et sinistre amateur de « chair fraîche » !
Quelles sont les raisons principales qui conduisent les juges à autoriser ces indignes épousailles ? Si c’est l’aspect soutien économique apporté à la famille de l’épouse enfant, cela reflèterait notre côté médiéval, et si la cause est autre, le plus souvent une décision de la famille de l’enfant qui choisit l’époux, alors nous plongeons encore plus loin, dans la préhistoire. Et dans les deux cas, le Maroc émergent, le Maroc dans son siècle, le Maroc du progrès… tout cela deviendrait des slogans creux destinés à servir la cause d’un nombrilisme national encore plus creux.
En effet, quelle meilleure personne pourrait indiquer cela que le procureur général près la Cour de Cassation Hassan Daki (photo), qui s’est récemment révolté : « Le phénomène devient très inquiétant car il fait de l’exception la règle » ? Si c’est lui qui le dit… et si c’est lui qui le dit, il a (ou doit se donner) les moyens de réduire le nombre de ces autorisations. Comment ? Par la vérification, le contrôle systématique de toute autorisation délivrée et la sévérité dans la sanction contre les juges trop permissifs et les « marieurs » religieux trop peu scrupuleux. Mais pour cela, le procureur général a besoin de textes législatifs clairs et actualisés, et c'est ce qu'il semble réclamer aux nouveaux parlementaires.
Le Code la famille remonte à 2004, et tout le Maroc s’accorde à dire que le pays a grandement évolué depuis cette date. Aujourd’hui, en 2021, il est temps que le législateur prenne son stylo d’une main et son courage à deux mains pour interdire clairement et définitivement les mariages des jeunes femmes avant 18 ans, comme c’est le cas pour les hommes. Si on continue de nous arrêter aux considérations sociales pour autoriser l’inexcusable et l’injustifiable, c’est toute la société qui restera plombée dans sa recherche du progrès car le progrès ne saurait composer avec une forme de pédophilie légale !
La pauvreté existe partout dans le monde, et la détresse sociale aussi. « Privatiser » ainsi le rôle social de l’Etat n’est pas une solution, ledit Etat ayant montré avec l’actuelle crise sanitaire et économique sa capacité à gérer, à mettre la main à la poche pour soutenir sa population, créant des internats pour ces jeunes personnes, multipliant les actions de sensibilisation, mobiliser des assistantes sociales ainsi que le préconisait le Ministère public voici plus de deux ans déjà.
L’Etat qui lance l’immense projet de protection sociale et de généralisation de l’AMO doit pouvoir maîtriser ce fléau car l’indignité que connaissent certains de ses citoyens – et marier une mineure est indigne – est mère de tous les dangers pour l’ensemble de la société, si tant est que ladite société prend la mesure de la gravité de la chose. Le législateur doit sévir avec la plus grande vigueur contre les « marieurs » et les « nouveaux mariés » qui convolent avec une fillette par la grâce de la lecture d’une sourate du Coran.
L’équilibre social ne peut tout justifier et permettre cet artifice pour dérober l’Etat de sa responsabilité est porteur de sombres perspectives.
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com