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Malika El Fassi: une vie, un destin


Le Manifeste de l’indépendance du 11 janvier 1944? Malika El Fassi l’a signé - elle était la seule femme. Voilà qui fait sens et symbole. Ses mémoires attestent de ses engagements et de ses ferveurs militantes.



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Par Mustapha Sehimi

Une heureuse initiative que celle de Bahyia El Fassi Fihri de publier les mémoires de Malika El Fassi, seule signataire du Manifeste de l’indépendance. Un parcours exceptionnel. Une vie. Un destin. Une figure iconique du mouvement féministe adossé à la mobilisation nationaliste, tant il est vrai que cette histoire-là a charrié la lutte d’un peuple pour son émancipation.
 

Elle avait du leadership féminin et ce statut est reconnu par tous ceux qui l’ont connue, par des auteurs, telle l’américaine Alison Baker dans son livre The Voices of Resistance: Oral of Moroccan Women (Les voix de la résistance: histoires orales de femmes marocaines) qui parle d’elle comme «The Foremother of Resistance» (aïeule de la résistance).
 

Un travail de longue haleine a été réalisé dans cette publication. Sa petite fille l’a ainsi mené avec une forte dose de détermination, d’obstination même: la traduction des mémoires de Malika El Fassi écrites en 1972, celle d’enregistrements audio de 1995 et 1997, puis celle de la transcription sur Word par le professeur Kamar Abdallaoui Maane - mère de l’auteur- laquelle a finalisé ce travail qui s’articule autour de deux parties.
 

La première couvre les mémoires couvrant la période 1926-1947. Elle raconte son enfance, sa soif d’apprendre encouragée par un milieu familial de grands lettrés. La socialisation se fait par touches successives. Elle déborde vers l’éducation musicale consacrée par des instruments de musique et la gamme de la «ala». Elle écrit son premier article en 1935 à seize ans, publié dans la revue Majallat Al Maghrib sur la place et le rôle de la femme.
 

Elle épouse son cousin, le professeur Mohamed El Fassi, qui a eu des responsabilités au lendemain de l’indépendance et qui a laissé une grande œuvre littéraire. Elle baigne dans un contexte effervescent où la politique est au centre de la vie sociale, à Fès et ailleurs. Le Parti national, fondé par Allal El Fassi en 1937, est le marqueur de cette séquence de mobilisation contre le dahir berbère de 1930. La conscience nationale se construit: elle va accompagner et conforter une émancipation en marche.
 

La genèse du Manifeste de l’indépendance du 11 janvier 1944 est décrite et expliquée dans les détails. Malika El Fassi avait continué à publier des articles et à militer dans le secteur associatif et éducatif. Son mari, lui, avait été appelé par Mohammed V à enseigner deux jours par semaine au prince héritier Moulay Hassan à Rabat, tout en exerçant sa charge professorale à la Quaraouiyine la Fès.
 

«La revendication de l’indépendance sera le crédo du Manifeste signé par 66 nationalistes – dont une seule femme, Malika El Fassi.»

Le milieu nationaliste est enfiévré et subit la répression des autorités du protectorat. Malika adhère au Parti national et prête serment comme membre de la «taifa», un comité secret de cette formation. Mohammed El Fassi, qui avait le contact direct avec le Sultan Mohammed V, relate: «Je vois et je sens que les membres du Parti national ont raison, lui avait dit le Souverain, et nous devons tous travailler main dans la main pour parvenir à libérer notre pays de la main du colonisateur.»

 


La revendication de l’indépendance sera le crédo du Manifeste signé par 66 nationalistes – dont une seule femme, Malika El Fassi. Les arrestations se multiplient dans sa famille et dans les rangs des signataires. Fès s’est trouvée confinée - sorte d’état d’exception avec une quasi assignation à résidence des populations. Malika livre dans des dizaines de pages le quotidien, le vécu, le récit des semaines et des mois qui ont suivi le ressenti et les affres d’une répression frappant les familles avec des méthodes brutales. Au total, un tableau de la société marocaine de 1944-45. Certaines libérations de détenus interviennent. Allal El Fassi revient d’exil du Gabon en 1946.
 

L’engagement en faveur de la fille et de la femme marocaine enregistre un nouvel élan. «Je pense, déclare-t-elle, qu’il est temps pour nous de prendre en main et d’aider la femme marocaine à cultiver l’esprit de la conscience nationaliste». Un Mouvement féministe, qu’elle fonde et dirige, met en place un réseau d’écoles secondaires dans plusieurs villes (Fès, Rabat, Salé, Casablanca, Oujda). Il obtient la création d’une section réservée aux filles à la Qaraouiyine après une audience accordée par le Sultan. Le travail caritatif est un autre périmètre d’action en faveur des élèves pauvres.
 

La seconde partie se rapporte à la période 1947-1955 durant laquelle Rkia El Fassi a enregistré deux longues conversations en 1995 et 1997. Le mouvement féministe se développe dans le champ culturel (lutte contre l’analphabétisme, initiation et pratique du sport, pièces de théâtre à thème, etc.). En même temps, il était adossé au mouvement nationaliste par un travail militant mené par des dizaines de femmes dans les villes du Royaume.
 

Avec le début des années cinquante, la mobilisation enclenche un nouveau braquet: celui d’un vaste élan populaire cristallé avec la déposition du Sultan le 20 août 1953. Malika El Fassi est présente et active dans tous les carrefours de la contestation. Une partie de l’Istiqlal opte pour la résistance armée pour appeler au retour du Sultan et recouvrer l’indépendance. Des noms sont cités, des délibérations sont évoquées. Là encore, les femmes sont au côté des hommes: l’égalité des genres se fait dans la lutte...
 

Un livre qui retient l’intérêt. Une vie retracée dans ses multiples linéaments, la ferveur nationaliste au cœur.
 

Rédigé par Mustapha Sehimi  sur  LE 360



Vendredi 1 Novembre 2024


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