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On a beau retourner la question sous tous les angles et se triturer les méninges pour comprendre le cheminement réflexif du législateur local, on ne comprend pas la cogitation qui l’a poussé à introduire la possibilité pour les femmes d’indiquer leur statut conjugal sur leur carte nationale. Le nouveau document est incontestablement meilleur que le précédent, mais le diable est dans le détail, dit-on, sans forcément avoir tort.
Réduction de l’âge légal pour obtention de la carte de 18 à 16 ans, inscriptions en relief, introduction de code à barres, possibilité d’ajout d’informations (adresse e-mail, numéro de téléphone ou encore nom et coordonnées d’une personne à contacter en cas d’urgence…). La nouvelle carte d’identité nationale électronique (ou CINE) représente sans doute aucun la nouvelle génération des pièces d’identité. Le problème réside dans l’introduction de la possibilité d’indiquer son statut matrimonial, pour les femmes seulement. Est-ce donc un document d’identité ou une attestation de mariage ? Etre marié(e) ou veuve est-il constituant de l’identité d’une femme ? Pourquoi l’homme ne pourrait-il mentionner que son veuvage et rien d’autre ?
Ce gouvernement ne cessera semble-t-il jamais de nous surprendre puisque c’est lui qui a eu l’initiative de cette loi (comme pratiquement toutes d’ailleurs, reléguant le parlement à son digne de rôle de chambre d’enregistrement)… Si, donc, le gouvernement voulait introduire les détails matrimoniaux dans cette carte, alors il eût fallu qu’il le fasse pour les hommes comme pour les femmes. Conséquence : ces dernières, à travers leur association démocratique des femmes du Maroc), y voient une discrimination, encore une…
Et l’association a raison, si l’on en croit la constitution, qui dispose en son article 19 que (en principe) « l'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution(…). L'Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes ». La loi 04-20 ne s’inscrit pas dans cette logique, puisque les femmes peuvent indiquer leur statut conjugal et pas les hommes, qui ne retrouvent les femmes que dans la mort, puisque les deux peuvent inscrire leur veuvage sur la CINE.
Et puis, en plus d’être mariée ou veuve, une femme peut également être célibataire ou divorcée, mais aucune mention de ces deux statuts. Pourquoi ? Personne n’en pipe mot. Mystère légal et misère législative. Les défenseur(e)s de la loi rétorquent que l’indication matrimoniale est facultative… Non. C’est soit la même chose pour les deux sexes, soit c’est la discrimination, envers les femmes mais aussi, en creux, envers les hommes qui se voient empêchés, par rapport aux femmes, d'être marqués « M ».
Mais le véritable problème est ailleurs… Indiquer le fameux « M » pour la mariée est de nature à induire moult abus de pouvoir. Imaginons une femme estampillée « M » contrôlée par la maréchaussée alors qu’elle est en compagnie d’un homme, qui empêcherait alors un agent de lui demander s’il est son légitime époux ? L’Etat, au Maroc, n’est-il pas l’éternel gardien de nos vertus, scrutant les alcôves par le trou de la serrure ?
Il est toujours temps de bien faire et le gouvernement pourrait, entre deux décisions covidiennes fébriles, songer à se mettre en phase avec la lettre et l’esprit de la constitution. Et puisque la mention sur la situation conjugale est facultative, il devrait introduire les différents états conjugaux (célibataire, marié(e), divorcé(e) et veuf/veuve) et aussi bien pour les femmes que pour les hommes.
Un petit pas pour la loi, un grand bond en avant pour l’égalité (et peut-être, un jour, la parité) !
Publié par Aziz Boucetta le 09 SEPTEMBRE 2020 sur www.panorapost.com