Écouter le podcast de cet article :
Par Rachid Boufous Écrivain
Monsieur le Ministre,
Vendredi 02 juin 2023, se tiendra la 28eme édition du salon du livre, et pour sa seconde édition à Rabat, capitale du Royaume. Un grand jour et une belle fête qui durera jusqu’au 11 juin, autour du livre, dans toutes ses composantes : littéraire, scientifique et éducative.
Des milliers de gens venant de partout, se dirigeront chaque jour, vers cette grande rencontre qui met en liaison les écrivains et leurs lecteurs et lectrices, d’âges divers.
À l’heure du numérique, le livre en papier, à l’ancienne, résiste toujours, malgré les assauts technologiques du numérique et du virtuel et c’est en soi, une vraie prouesse.
Le salon du livre est certes mieux organisé depuis qu’il se tient à Rabat, plus achalandé et les rencontres y sont très intéressantes.
L’envers du décor, reste l’état actuel du livre et des écrivains au Maroc. Nous appartenons à un pays où les gens lisent très peu. A peine 3000 ouvrages toutes spécialités confondues, les meilleures années et où l’on considère un best-seller à partir de 500 exemplaires vendus… !
Le Maroc est un très vaste pays de 740.000 km2, mais où il n’existe pourtant que 609 bibliothèques pour 12.200 places assises et dont seulement 80 bibliothèque sont réellement opérationnelles.
À titre d’information, si toutefois vous l’ignorez, dans la ville de Casablanca, le nombre de librairies professionnelles est passé de 65 en 1987 à ... 15 en 2016.
À Casablanca toujours, il n’existe que 10 bibliothèques publiques dont 3 étrangères (la saoudienne et l’institut français), ainsi que 237 librairies, dont 150 font aussi office de papeteries. À côté de cela, il existe 15.000 cafés à Casablanca….
En terme de soutien aux industries culturelles et cela vous devez le savoir, 34% du budget total est dédié aux subventions de pièces de théâtre. Le reste revient à la musique pour 20%, le livre et l’édition pour 18%, les associations culturelles, festivals et manifestations pour 15% et 13% pour les arts graphiques.
En milieu urbain, un ménage composé en moyenne de 5,4 personnes dépense 167 DH par an pour la culture. En milieu rural, ce chiffre ne dépasse pas 160 DH.
Par conséquent, un citoyen marocain dépense 32,11 DH en moyenne par an, pour la culture…
Cela résulte de l’absence d’une politique culturelle au vrai sens du terme.
Le livre, même s’il résiste à ce désert parsemé de quelques oasis culturelles, reste marginal dans une société qui appartient pourtant à une religion où le premier commandement à son prophète fut « Iqraa », lis…
Cela nous interpelle tous autant que nous sommes, citoyens, politiciens décideurs, acteurs associatifs et jeunesses.
Monsieur le Ministre,
Le nouveau modèle de développement, ne parle que de manière subsidiaire de la culture et de la place du livre dans la future société marocaine, que nous appelons tous de nos vœux.
Plus terre à terre, la condition des écrivains et des créateurs de contenus culturels laisse fortement à désirer. Rien n’est vraiment fait pour encourager les écrivains à écrire, ni les éditeurs à publier plus d’auteurs, dans tous les domaines des lettres, des sciences humaines, du savoir, ou de la connaissance.
Quant aux droits d’auteurs, clé de voûte pour le développement d’un marché du livre efficient et vertueux, leur réglementation n’est pas aboutie. Beaucoup d’écrivains ne sont jamais payés pour leurs droits d’auteurs, par certains éditeurs qui ont pignon sur rue.
Les écrivains marocains manquent aussi de soutien étatique. La subvention du livre va dans l’escarcelle de l’éditeur, alors qu’elle doit aboutir en priorité dans celle de l’auteur. L’avance sur recette est quelque chose qui n’est toujours pas inscrites dans les us et coutumes des maisons d’éditions locales…
Les écrivains ne savent même pas combien de livres ils ont vendu par an , les éditeurs et les distributeurs n’étant pas contraints par la loi, ils na se sentent pas obligés de communiquer ces chiffres aux auteurs et autrices. Il n’existe à ce jour, aucun organisme étatique ou indépendant de recensement de livres édités et/ou réellement vendus.
La distribution du livre reste quant à elle chaotique et irrégulière, ce qui ne permet pas aux lecteurs de trouver les ouvrages recherchés dans leurs villes, à travers le pays de manière régulière et suffisante.
Quant à la rémunération des écrivains après la vente de leurs ouvrages, elle demeure, elle-même, souvent aléatoire et tributaire de gestions comptables archaïques et dépassées.
Mais au-delà de cela le véritable frein à la production autant qu’à la diffusion du livre, demeure son le prix élevé et hors de portée de la plupart des marocains.
Monsieur le Ministre,
Organiser un salon annuel du livre est une initiative louable en soi, quoique éphémère dans le temps. Le succès grandissant du salon ne se dément pas, et d’années en années de nouveaux lecteurs viennent au livre, par curiosité mais aussi par passion pour la lecture.
Promouvoir durablement le livre et le diffuser massivement dans les écoles, à l’université, dans la ville et édifier des temples de la culture qui ne soient pas des bâtisses vides et sans vie, restent de véritables objectifs à atteindre, mais qui semblent encore lointains.
Pourtant, et pour être pragmatique, c’est en créant des bibliothèques de quartier et des lieux de lecture et d’échanges d’idées partout, avec le concours des écrivains, de la société civile et du corps enseignant, que vous contribuerez sans aucun doute à faire émerger une dynamique culturelle durable dans le temps, pour le bien de tous les marocains.
Monsieur le Ministre,
La vraie richesse des nations, réside dans ce qu’elles possèdent et dans ce qu’elles transmettent comme savoirs et connaissances et le meilleur véhicule de cette richesse est sans conteste le livre, qu’il soit physique ou virtuel.
Toutefois, le livre ne saurait exister sans écrivains ni lecteurs. L’un et l’autre sont indissociables dans l’émergence, le développement et la transmission de la civilisation humaine.
Notre civilisation marocaine est doublement millénaire et elle s’est transmise, de siècles en siècles, grâce au livre, à ses écrivains et à ses lecteurs.
Monsieur le Ministre,
Les créateurs de contenus culturels et les écrivains marocains en particulier, exercent leur art par amour des lettres et des sciences auxquelles, ils ne cessent de sacrifier leur temps et leur âge. Car malgré les contraintes énumérées précédemment, les auteurs et autrices, remarquables dans leur résilience, continuent inlassablement leur noble tâche culturelle, contre vents et marées, afin de transmettre ce qu’ils savent, éprouvent ou créent.
Ayant dit tout cela et ne pensant pas une seconde que les choses évolueront dans le bon sens pour ce qui est de l’univers du livre, à moyen ou à même à court terme, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma sincère amertume…
Rachid Boufous Écrivain
Vendredi 02 juin 2023, se tiendra la 28eme édition du salon du livre, et pour sa seconde édition à Rabat, capitale du Royaume. Un grand jour et une belle fête qui durera jusqu’au 11 juin, autour du livre, dans toutes ses composantes : littéraire, scientifique et éducative.
Des milliers de gens venant de partout, se dirigeront chaque jour, vers cette grande rencontre qui met en liaison les écrivains et leurs lecteurs et lectrices, d’âges divers.
À l’heure du numérique, le livre en papier, à l’ancienne, résiste toujours, malgré les assauts technologiques du numérique et du virtuel et c’est en soi, une vraie prouesse.
Le salon du livre est certes mieux organisé depuis qu’il se tient à Rabat, plus achalandé et les rencontres y sont très intéressantes.
L’envers du décor, reste l’état actuel du livre et des écrivains au Maroc. Nous appartenons à un pays où les gens lisent très peu. A peine 3000 ouvrages toutes spécialités confondues, les meilleures années et où l’on considère un best-seller à partir de 500 exemplaires vendus… !
Le Maroc est un très vaste pays de 740.000 km2, mais où il n’existe pourtant que 609 bibliothèques pour 12.200 places assises et dont seulement 80 bibliothèque sont réellement opérationnelles.
À titre d’information, si toutefois vous l’ignorez, dans la ville de Casablanca, le nombre de librairies professionnelles est passé de 65 en 1987 à ... 15 en 2016.
À Casablanca toujours, il n’existe que 10 bibliothèques publiques dont 3 étrangères (la saoudienne et l’institut français), ainsi que 237 librairies, dont 150 font aussi office de papeteries. À côté de cela, il existe 15.000 cafés à Casablanca….
En terme de soutien aux industries culturelles et cela vous devez le savoir, 34% du budget total est dédié aux subventions de pièces de théâtre. Le reste revient à la musique pour 20%, le livre et l’édition pour 18%, les associations culturelles, festivals et manifestations pour 15% et 13% pour les arts graphiques.
En milieu urbain, un ménage composé en moyenne de 5,4 personnes dépense 167 DH par an pour la culture. En milieu rural, ce chiffre ne dépasse pas 160 DH.
Par conséquent, un citoyen marocain dépense 32,11 DH en moyenne par an, pour la culture…
Cela résulte de l’absence d’une politique culturelle au vrai sens du terme.
Le livre, même s’il résiste à ce désert parsemé de quelques oasis culturelles, reste marginal dans une société qui appartient pourtant à une religion où le premier commandement à son prophète fut « Iqraa », lis…
Cela nous interpelle tous autant que nous sommes, citoyens, politiciens décideurs, acteurs associatifs et jeunesses.
Monsieur le Ministre,
Le nouveau modèle de développement, ne parle que de manière subsidiaire de la culture et de la place du livre dans la future société marocaine, que nous appelons tous de nos vœux.
Plus terre à terre, la condition des écrivains et des créateurs de contenus culturels laisse fortement à désirer. Rien n’est vraiment fait pour encourager les écrivains à écrire, ni les éditeurs à publier plus d’auteurs, dans tous les domaines des lettres, des sciences humaines, du savoir, ou de la connaissance.
Quant aux droits d’auteurs, clé de voûte pour le développement d’un marché du livre efficient et vertueux, leur réglementation n’est pas aboutie. Beaucoup d’écrivains ne sont jamais payés pour leurs droits d’auteurs, par certains éditeurs qui ont pignon sur rue.
Les écrivains marocains manquent aussi de soutien étatique. La subvention du livre va dans l’escarcelle de l’éditeur, alors qu’elle doit aboutir en priorité dans celle de l’auteur. L’avance sur recette est quelque chose qui n’est toujours pas inscrites dans les us et coutumes des maisons d’éditions locales…
Les écrivains ne savent même pas combien de livres ils ont vendu par an , les éditeurs et les distributeurs n’étant pas contraints par la loi, ils na se sentent pas obligés de communiquer ces chiffres aux auteurs et autrices. Il n’existe à ce jour, aucun organisme étatique ou indépendant de recensement de livres édités et/ou réellement vendus.
La distribution du livre reste quant à elle chaotique et irrégulière, ce qui ne permet pas aux lecteurs de trouver les ouvrages recherchés dans leurs villes, à travers le pays de manière régulière et suffisante.
Quant à la rémunération des écrivains après la vente de leurs ouvrages, elle demeure, elle-même, souvent aléatoire et tributaire de gestions comptables archaïques et dépassées.
Mais au-delà de cela le véritable frein à la production autant qu’à la diffusion du livre, demeure son le prix élevé et hors de portée de la plupart des marocains.
Monsieur le Ministre,
Organiser un salon annuel du livre est une initiative louable en soi, quoique éphémère dans le temps. Le succès grandissant du salon ne se dément pas, et d’années en années de nouveaux lecteurs viennent au livre, par curiosité mais aussi par passion pour la lecture.
Promouvoir durablement le livre et le diffuser massivement dans les écoles, à l’université, dans la ville et édifier des temples de la culture qui ne soient pas des bâtisses vides et sans vie, restent de véritables objectifs à atteindre, mais qui semblent encore lointains.
Pourtant, et pour être pragmatique, c’est en créant des bibliothèques de quartier et des lieux de lecture et d’échanges d’idées partout, avec le concours des écrivains, de la société civile et du corps enseignant, que vous contribuerez sans aucun doute à faire émerger une dynamique culturelle durable dans le temps, pour le bien de tous les marocains.
Monsieur le Ministre,
La vraie richesse des nations, réside dans ce qu’elles possèdent et dans ce qu’elles transmettent comme savoirs et connaissances et le meilleur véhicule de cette richesse est sans conteste le livre, qu’il soit physique ou virtuel.
Toutefois, le livre ne saurait exister sans écrivains ni lecteurs. L’un et l’autre sont indissociables dans l’émergence, le développement et la transmission de la civilisation humaine.
Notre civilisation marocaine est doublement millénaire et elle s’est transmise, de siècles en siècles, grâce au livre, à ses écrivains et à ses lecteurs.
Monsieur le Ministre,
Les créateurs de contenus culturels et les écrivains marocains en particulier, exercent leur art par amour des lettres et des sciences auxquelles, ils ne cessent de sacrifier leur temps et leur âge. Car malgré les contraintes énumérées précédemment, les auteurs et autrices, remarquables dans leur résilience, continuent inlassablement leur noble tâche culturelle, contre vents et marées, afin de transmettre ce qu’ils savent, éprouvent ou créent.
Ayant dit tout cela et ne pensant pas une seconde que les choses évolueront dans le bon sens pour ce qui est de l’univers du livre, à moyen ou à même à court terme, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma sincère amertume…
Rachid Boufous Écrivain