Les trois erreurs mortelles de Abdalilah Benkirane


Au lendemain des législatives de 2016, Abdalilah Benkirane a trimbalé sa victoire du 6 octobre de la même année comme un triomphe. Pendant six mois, il ne se sentait plus. Dans toutes ses déclarations et ses rencontres, il affichait une suffisance ostentatoire d’autant plus déplacée que sa première place aux élections était toute relative : 27,14% des voix dans un scrutin qui a connu un taux de participation de 42%.



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Par Naim Kamal

Sur un nuage, à aucun moment il n’a donné l’impression de vouloir en descendre pour comprendre que la manière dont il menait les tractations et les difficultés qu’il rencontrait dans la formation du gouvernement menaient tout droit à l’impasse. Le 5 avril 2017, le réveil se fait dur. Abdalilah Benkirane qui se gargarisait d’avoir, six mois auparavant, placé le Parti de la Justice et du Développement (PJD), en tête des partis marocains pour la seconde fois consécutive, est débarqué sans préavis après cinq ans de chefferie du gouvernement. A ce jour il ne semble pas encore avoir compris ce qui lui est arrivé. 
 
Première erreur

Tout homme politique normalement constitué, à défaut de profiter d’une retraite plus ou moins bien méritée, aurait procédé au moins à une introspection pour identifier les véritables causes et raisons qui ont provoqué une mise à l’écart gracieusement rétribuée. Pas lui. En lieu et place il fait de son successeur au poste de chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et accessoirement Driss Lachgar, premier secrétaire de l’USFP, sur la participation duquel aurait buté les négociations, ses punching-ball ressassant sans cesse la même litanie. Rapidement son ton s’éloigne de la compétition et de la divergence politique pour adopter un discours qui suinte la rancune et frôle de très près la diffamation. M. Benkirane tourne ainsi le dos à la vérité qui fait mal : que si son débarquement du gouvernement a été aussi aisé, c’est parce que Saad Eddine El Otmani et ses frères du PJD l’ont lâché sans se soucier de son sort, exactement de la même manière qu’il avait lui-même sacrifié sur l’autel du gouvernement M. El Otmani lorsque celui-ci a été débarqué pour incompétence du ministère des Affaires étrangères le 10 octobre 2013, dix mois à peine après son entrée en fonction. 
 

Pourtant, une introspection correctement menée lui aurait permis de saisir, ou d’accepter l’idée qu’il n’a pas su gérer ses rapports avec le centre du pouvoir. L’animal politique qu’il croyait être n’a pas compris ou voulu comprendre, cela revient au même, qu’au Royaume du Maroc, une bonne cote de popularité permettant de pointer au premier rang des partis dans un système électoral et dans le cadre d’une constitution qui autorisent toutes les combinaisons, ne suffit pas pour prétendre à traiter, en finassant, avec les institutions. Pour ne pas avoir admis, même si ses professions de foi prétendaient le contraire, que le mouvement du 20 février 2011 n’a en rien perturbé la centralité de la monarchie ni modifié en quoi que ce soit le rapport de force, il n’a pu durer dans les affaires suffisamment de temps pour influer sérieusement et durablement, comme il escomptait, sur les ressorts de la société marocaine. 
 
Deuxième erreur

Il est vrai que le PJD, et plus particulièrement Abdalilah Benkirane ont contribué efficacement à l’apaisement des esprits dans l’effervescence du mouvement du 20 février. Il en a toutefois retenu une conclusion erronée en se posant par la suite, à travers un discours borderline, en « sauveur de la monarchie et de la stabilité du Royaume », poussant parfois le bouchon jusqu’à sous-entendre qu’à l’occasion il pourrait en aller autrement. Une erreur d’appréciation couteuse qu’il a commise en bon récidiviste, lorsqu’au lendemain du 7 octobre 2023 il a cru que l’attaque menée par le Hamas contre Israël et son écho dans les populations arabes allaient requinquer l’islamisme et lui redonner, à lui, les ailes qui lui ont été coupées. 
 

Si dans l’intervalle de son débarquement à ce jour, Abdalilah Benkirane, qui a reconquis un PJD désossé, a opté pour une ligne instaurant entre lui et Saad Eddine El Otmani une sorte de modus vivendi, il voit dans la guerre d’extermination des Palestiniens enfin l’opportunité de reprendre en main toutes les rênes de son parti et de revigorer ses rangs. Surfant sur l’émotion des Marocains provoquée par le génocide israélien, il s’en prend à l’accord tripartite (Maroc-USA-Israël) et à son signataire marocain, son successeur à la tête du gouvernement et prédécesseur à la direction du parti, quasiment accusé de trahison. Il passe ainsi à la trappe ce qu’il a lui-même déclaré au lendemain de l’accord. A savoir que « la normalisation avec Israël est une décision de l’État, une décision souveraine, et que le parti, dont le secrétaire général Saad Eddine El Otmani a signé l’accord en tant que chef du gouvernement, faisait partie de l’État, et qu’il était inconcevable d’imaginer que lui (Abdalilah Benkirane) puisse être en désaccord avec sa position ». Lire à ce sujet l’article bien documenté de Hassan Zakariaa. 

 


Troisième erreur

Dès lors, comment ne pas voir dans sa croissonnade actuelle une piètre tentative de faire du nom d’El Otmani le pseudonyme du centre du pouvoir qu’il n’ose pas incriminer frontalement, mais qu’il essaye de mettre sur la sellette en dégageant le PJD de toute responsabilité et en jetant « l’opprobre » sur son compagnon de route celui qui, dans une autre vie, il a été voir en prison pour lui signer un engagement de scission au sein de Echabiba Al-islamya et faire amande honorable de cette manière auprès des autorités. Une scission qui lui a réussi, il faut le reconnaitre, puisqu’environ deux décennies plus tard, à la faveur du 20 février, bénéficiant d’un vote hétéroclite de mécontentement, les islamistes du PJD qui ont intégré le jeu institutionnel, se sont posés en alternative alors même qu’ils faisaient figure d’un mouvement marginal et secondaire au sein de la mouvance islamiste marocaine.
 

Qu’importe ! Se voulant toujours habile habitué du dièse et du bémol, sa dernière et récente musique, parce que probablement on lui a tiré les oreilles, est un modèle de broderie. En résumé et en substance : l’Etat fait son travail, c’est compréhensible, mais le peuple a le droit de s’émouvoir, comme si quelqu’un l’en empêchait.
 

Ainsi va Abdalilah Benkirane. Il rêve de remonter le temps pour se retrouver dans le contexte du mal nommé printemps arabe, jeune quinqua braillard au physique avantageux qui se faisait passer pour le messie. Mais pour une fois au moins il doit faire l’effort de comprendre qu’aujourd’hui il na plus la même prise sur les Marocains, revenus de son passage au gouvernement et de sa retraite. Il doit surtout faire sienne cette sagesse de la philosophie grecque adoptée et adaptée bien plus tard par Mao Tsé Toung : "On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau."

Rédigé par Naim Kamal sur Quid 



Mardi 19 Novembre 2024

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