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Par Mustapha Sehimi
Ce n’est pas là un travail académique -au sens premier du terme-, mais autre chose. Une enquête de terrain de deux ans menée par une petite équipe qui a porté ce projet.
Regarder ailleurs que dans le champ institutionnel, plus précisément au-delà de l’État: telle est l’hypothèse de travail qui articule et accompagne cette approche. Celle-ci présente des traits communs: la distanciation, sinon la défiance, à l’endroit de l’État, des potentiels énormes et étonnants, et puis un fort réveil avec la pandémie Covid-19 des précédentes années.
Mais la séquence la plus significative, parce que liée au printemps arabe, est celle de 2011, qui a bousculé les régimes et même mis à bas, pour se limiter à la région, celui du président tunisien Benali.
Faire bouger les lignes
Du recul était nécessaire pour appréhender tous ces événements. Il y a eu sans doute bien des «lectures» sur ce tsunami d’il y a une bonne dizaine d’années -un «trop-plein» même. Mais il a manqué une explication allant au-delà du factuel pour tenter de comprendre l’évolution enregistrée dans chacun des pays: quelle était la volonté des citoyens? Le changement?
La rupture avec un projet alternatif? L’investigation menée dans cet ouvrage s’est élargie à un autre périmètre: les dynamiques dans de multiples domaines (éducation, emploi, environnement, protection sociale), et un éclairage «autre» sur les convulsions provoquées.
À cet égard, les auteurs parlent de «face cachée» des bouleversements intervenus. Référence est faite à des dynamiques, «invisibles» pour certaines d’entre elles, différentes des registres de la dimension politique et de la citoyenneté.
La société civile a-t-elle eu la capacité de faire bouger les lignes sur d’autres questions de fond telles les problématiques sociales et environnementales? À l’échelle des trois pays, bien des différences subsistent par suite de parcours historiques distincts.
Mais les sociétés civiles ont fait montre de capacité d’initiative et d’autonomie dans des contextes de mise en tension de l’histoire et du présent, et de rapports rugueux avec l’État aussi.
La société civile, au vrai, c’est quoi? Un rapport décalé et critique vis-à-vis des formes de gouvernance des sociétés, des croyances et des valeurs liées à la solidarité, à l’égalité et à l’élan démocratique.
Faut-il aller jusqu’à la rehausser et à la consacrer comme un contre-pouvoir en ce qu’elle est sans cesse réactivée par les insuffisances de certaines politiques publiques, et plus globalement de celles de la transition démocratique.
Arrive-t-elle pour autant à se dégager d’une interprétation sur la base du prisme politique ? Il faut retenir en tout cas ceci: la capacité à impulser le changement social.
Dans le monde arabo-musulman, il vaut de relever que dans cette aire civilisationnelle, l’on note des blocs culturels, dont celui du monde arabe. Dans les sociétés islamiques, la société civile a toujours trouvé des moyens d’expression avec ses oulémas, ses ordres soufis, ses communautés religieuses, ses marchands, ses artisans, ses corporations professionnelles.
De plus, en dehors de la ville, il faut mentionner les tribus jouissant d’un espace de liberté et même d’une relative autonomie par rapport à l’autorité centrale.
Les facettes sont ainsi multiples à travers l’histoire et les régimes politiques, mais la capacité de changement restait prégnante. Dans la période contemporaine, en particulier au Maghreb, prévalent la capacité d’initiative et le rôle de vecteur de transformation, de changement ou d’innovation.
Avec les indépendances et jusqu’au printemps arabe, c’est le temps des émancipations contrariées, entre liberté et restrictions…
Regarder ailleurs que dans le champ institutionnel, plus précisément au-delà de l’État: telle est l’hypothèse de travail qui articule et accompagne cette approche. Celle-ci présente des traits communs: la distanciation, sinon la défiance, à l’endroit de l’État, des potentiels énormes et étonnants, et puis un fort réveil avec la pandémie Covid-19 des précédentes années.
Mais la séquence la plus significative, parce que liée au printemps arabe, est celle de 2011, qui a bousculé les régimes et même mis à bas, pour se limiter à la région, celui du président tunisien Benali.
Faire bouger les lignes
Du recul était nécessaire pour appréhender tous ces événements. Il y a eu sans doute bien des «lectures» sur ce tsunami d’il y a une bonne dizaine d’années -un «trop-plein» même. Mais il a manqué une explication allant au-delà du factuel pour tenter de comprendre l’évolution enregistrée dans chacun des pays: quelle était la volonté des citoyens? Le changement?
La rupture avec un projet alternatif? L’investigation menée dans cet ouvrage s’est élargie à un autre périmètre: les dynamiques dans de multiples domaines (éducation, emploi, environnement, protection sociale), et un éclairage «autre» sur les convulsions provoquées.
À cet égard, les auteurs parlent de «face cachée» des bouleversements intervenus. Référence est faite à des dynamiques, «invisibles» pour certaines d’entre elles, différentes des registres de la dimension politique et de la citoyenneté.
La société civile a-t-elle eu la capacité de faire bouger les lignes sur d’autres questions de fond telles les problématiques sociales et environnementales? À l’échelle des trois pays, bien des différences subsistent par suite de parcours historiques distincts.
Mais les sociétés civiles ont fait montre de capacité d’initiative et d’autonomie dans des contextes de mise en tension de l’histoire et du présent, et de rapports rugueux avec l’État aussi.
La société civile, au vrai, c’est quoi? Un rapport décalé et critique vis-à-vis des formes de gouvernance des sociétés, des croyances et des valeurs liées à la solidarité, à l’égalité et à l’élan démocratique.
Faut-il aller jusqu’à la rehausser et à la consacrer comme un contre-pouvoir en ce qu’elle est sans cesse réactivée par les insuffisances de certaines politiques publiques, et plus globalement de celles de la transition démocratique.
Arrive-t-elle pour autant à se dégager d’une interprétation sur la base du prisme politique ? Il faut retenir en tout cas ceci: la capacité à impulser le changement social.
Dans le monde arabo-musulman, il vaut de relever que dans cette aire civilisationnelle, l’on note des blocs culturels, dont celui du monde arabe. Dans les sociétés islamiques, la société civile a toujours trouvé des moyens d’expression avec ses oulémas, ses ordres soufis, ses communautés religieuses, ses marchands, ses artisans, ses corporations professionnelles.
De plus, en dehors de la ville, il faut mentionner les tribus jouissant d’un espace de liberté et même d’une relative autonomie par rapport à l’autorité centrale.
Les facettes sont ainsi multiples à travers l’histoire et les régimes politiques, mais la capacité de changement restait prégnante. Dans la période contemporaine, en particulier au Maghreb, prévalent la capacité d’initiative et le rôle de vecteur de transformation, de changement ou d’innovation.
Avec les indépendances et jusqu’au printemps arabe, c’est le temps des émancipations contrariées, entre liberté et restrictions…
Un modèle associatif
Au terme de cette immersion dans les trois pays, les auteurs en arrivent à cette première conclusion: l’activisme des sociétés civiles dans des secteurs sociaux essentiels (préscolaire, socialisation des jeunes, formation professionnelle et accompagnement vers l’emploi des démunis…).
Il faut y ajouter des domaines du «vivre ensemble»: gestion environnementale de proximité, à l’échelle des quartiers, par des collectifs d’habitants; droits et participation citoyenne à la vie publique. Autant de domaines peu -ou pas?- couverts par les politiques publiques.
Sans oublier une fonction de porteur de projets. Un modèle associatif s’est fait une place pour s’autonomiser sur la base d’un principe entrepreneurial, parfois avec l’aide de l’État (INDH au Maroc) ou de la coopération internationale.
Dans des sociétés en mutation, il faut voir dans ce tissu associatif des formes innovantes et porteuses de «partenariats» ou d’«interpellations», en réponse à une problématique de la médiation et des «interfaces» avec les pouvoirs publics.
«La Face cachée des sociétés civiles au Maghreb», par Emmanuel Marreudi, Fatima Chahid et Martin Picard. Éditions L’Aube et La Croisée des Chemins, Casablanca, 2023, 245 p.
Au terme de cette immersion dans les trois pays, les auteurs en arrivent à cette première conclusion: l’activisme des sociétés civiles dans des secteurs sociaux essentiels (préscolaire, socialisation des jeunes, formation professionnelle et accompagnement vers l’emploi des démunis…).
Il faut y ajouter des domaines du «vivre ensemble»: gestion environnementale de proximité, à l’échelle des quartiers, par des collectifs d’habitants; droits et participation citoyenne à la vie publique. Autant de domaines peu -ou pas?- couverts par les politiques publiques.
Sans oublier une fonction de porteur de projets. Un modèle associatif s’est fait une place pour s’autonomiser sur la base d’un principe entrepreneurial, parfois avec l’aide de l’État (INDH au Maroc) ou de la coopération internationale.
Dans des sociétés en mutation, il faut voir dans ce tissu associatif des formes innovantes et porteuses de «partenariats» ou d’«interpellations», en réponse à une problématique de la médiation et des «interfaces» avec les pouvoirs publics.
«La Face cachée des sociétés civiles au Maghreb», par Emmanuel Marreudi, Fatima Chahid et Martin Picard. Éditions L’Aube et La Croisée des Chemins, Casablanca, 2023, 245 p.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur le 360