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La politique prend ainsi sa place dans un vaste marché de la représentation; où le lobbying d’affaires s’y déploie pour influencer dans un sens favorable à ses intérêts.
Le secrétaire général du PAM, Abdellatif Ouahbi, a jeté un gros pavé dans la mare, ces jours-ci, en s’en prenant à des ministres du RNI, milliardaires. A ses yeux, ils n’ont pas leur place dans l’exercice de responsabilités publiques. Dans ce même registre, il rejoint les dénonciations de l’ancien Chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, qui s’en était pris au président de ce même parti, Aziz Akhannouch.
Qu’en penser? Que le responsable actuel du parti du tracteur n’est sans doute pas le mieux placé pour tenir un tel discours de vertu et d’éthique, compte tenu des conditions dans lesquelles sa fotmation a vu le jour et prospéré depuis sa création en 2008. Il a bien lancé, depuis son élection, en février 2020, une opération dite «mains propres»; mais quelle a été sa portée réelle?
Maintenant, sur le principe même, un responsable politique doit-il être disqualifié parce qu’il a de l’argent? Est-il, dans ce cas de figure, «illégitime»? Et si certains le pensent, comment faire pour donner force exécutoire à cette position? Recourir à la législation? C’est illusoire: quel texte peut valablement décréter une telle mesure? Ce serait contraire à la Constitution et au principe d’égalité qu’elle consacre (art.19). La seule sanction possible et opératoire, c’est celle du corps électoral. C’est en effet aux citoyens électeurs de se prononcer et de décider si tel ou tel candidat à un mandat électif mérite ou non leur confiance.
Prendront-ils alors en compte, au-delà de la surface financière des candidats, les conditions dans lesquelles leur fortune a été amassée? Pour ce qui est des responsables non titulaires d’un mandat de représentation, que faire? Faut-il les récuser parce qu’ils sont riches? N’estce pas leur argent qui a favorisé leur promotion? Il s’agit là d’un processus décisionnaire, discrétionnaire, relevant d’une autre comptabilité échappant aux voeux des citoyens…
Cela dit, cette première observation: la politique a besoin d’argent. Nul doute que l’argent est utile dans ce champ-là. La politique est coûteuse pour toutes sortes de raisons connues et tous les candidats n’ont pas des chances égales. La politique demeure impure, inégalitaire; elle blesse parfois la dignité du citoyen, considéré comme un objet passif qu’il faut conquérir à tout prix; le cynisme gagne, le besoin d’argent corrompt, la compétition s’apparente à un pugilat où pratiquement tous les coups sont permis. D’où la perte deconfiance qui est profonde, ravivée par des fortunes générées par des de pouvoir et des mandats d’élus, tant au niveau local que statuts régional ou national.
Un autre phénomène interfère sur la relation entre l’argent et la politique: celui d’une confusion croissante du public et du privé. Certains postes et des décisions publics font souvent l’objet d’une forme de «capture» par diverses catégories d’acteurs, avec des profils particuliers... L’on se trouve alors dans une «zone grise», d’interpénétration du public et du privé, qui étend son influence bien au-delà de la seule dimension financière. Et, dans cette ligne-là, s’opère par degrés une pénétration de l’idéologie managériale dans l’Etat et ses entreprises publiques ou semi- publiques. Un mouvement présenté comme celui de la «réforme», modelé sur la performance marchande.
La politique prend ainsi sa place mais dans un vaste marché de la représentation; où le lobbying d’affaires s’y déploie pour influencer dans un sens favorable à ses intérêts. L’Etat est appelé à une réorientation de son rôle de régulateur des marchés en alliance -on appelle cela «concertation»...- avec les principaux opérateurs. Que faire? Accroître la transparence et lutter contre les conflits d’intérêts. Une véritable politique de séparation entre l’Etat et le marché: vaste programme !...
Rédigé par Mustapha Shimi le 21 septembre 2020 sur www.maroc-hebdo.press.ma