A lire ou à écouter en podcast :
C’est qu’en effet, bien des paramètres ne contribuent pas, cumulativement, à la conforter : tant s’en faut. Lesquels ? Les mesures de confinement actuelles qui ne seront probablement pas levées totalement d’ici là ; les limites de ce fait des mobilisations lors des campagnes électorales – difficile de faire du présentiel, le distanciel ne poussant pas à entretenir les ferveurs des électeurs ; enfin l’état d’esprit des citoyens.
Quelle offre partisane ? Quels programmes ?
Autre donnée tout aussi problématique : que dire à ces mêmes électeurs ? Quelle offre partisane leur offrir ? Quels programmes ? L’on voit bien que les partis sont passablement à la peine aujourd’hui pour faire la différence entre eux – c’est particulièrement vrai pour toutes les composantes de l’actuelle majorité (le PJD et ses alliés que sont le RNI, le MP, l’UC et l’USFP). Parce qu’elle dirige le gouvernement depuis janvier 2012 - avec le cabinet Benkirane jusqu’en mars 2017, puis avec celui d’El Othmani - cette formation islamiste est celle qui fera l’objet d’un audit et d’une reddition des comptes sourcilleuse. Que peut en effet revendiquer en propre ce parti ? Bien des réformes n’ont été initiées et mises en œuvre qu’avec la forte impulsion royale : régionalisation, système éducatif et professionnel, protection sociale. Le cabinet El Othmani a toujours été à la remorque, sans beaucoup de créativité. C’est à coup de « sifflets » qu’il a dû s’échiner à suivre le rythme royal, les rappels égrenant l’action de son gouvernement. Des rappels donc, mais aussi des sanctions frappant sa composition en octobre 2017, janvier 2018 puis octobre 2019. Preuve que l’équipe n’était pas au niveau et que son chef exécutif n’arrivait pas à assumer pleinement son rôle ni la plénitude de ses attributions.
Ses alliés de la majorité n’ont pas été épargnés par cette mauvaise notation. Ils auront, eux aussi, mais à un moindre degré, des difficultés à mettre en avant leur « actif », même sectoriel. Les uns et les autres ont porté et incarné quelles réformes ? Le déficit de cohésion et de solidarité de la majorité, accentué au fil des ans, n’est pas davantage un facteur favorable ni au PJD et à El Othmani, ni aux responsables des autres partis. Il faut rappeler au passage qu’en février 2018, à Rabat, avait été signée une Charte de la majorité portant engagement sur les cinq principes suivants : approche participative, efficacité, transparence dans la gestion, solidarité et dialogue avec les partenaires.
Dans la pratique, la cohésion gouvernementale a été souvent mise à mal. Plus encore, l’on a vu une forme de bipolarisation prendre place et se consolider même entre les partis signataires avec d’un côté le PJD et de l’autre le couple RNI/ USFP, le PPS en faisant partie d’ailleurs jusqu’à son départ en octobre 2019. Depuis, il a rebondi en accentuant ses critiques contre le gouvernement et El Othmani, donnant ainsi un plus large écho à une évaluation de plus en plus partagée de l’état des lieux.
Le PAM, lui, dirigé par Abdellatif Ouahbi depuis février 2020, est-il plus audible alors qu’il est dans l’opposition depuis sa création ? Il pâtit de la conjonction de plusieurs facteurs : les conditions de sa création, son parcours et celui de son précédent secrétaire général, Ilyas El Omari ; un programme se voulant social-démocrate à contre- emploi des profils de ses élus et de ses réseaux de notables.
Quant au parti de l’Istiqlal, dans l’opposition depuis juillet 2013, il a dû surmonter l’ère Hamid Chabat et s’employer à refaire son unité avec l’élection de Nizar Baraka, nouveau secrétaire général depuis octobre 2017. Un travail de terrain a dû être fait, à travers le Royaume, pour resserrer les rangs, surmonter bien de divisions et repositionner le parti autour d’une ligne oppositionnelle non plus « populiste » mais d’une autre facture : l’interpellation continue du gouvernement El Othmani sur les lenteurs des réformes, l’élaboration et la mise en exergue aussi de propositions alternatives. Nourri par le travail de l’association des économistes istiqlaliens de sa mouvance, s’est ainsi finalisé, par touches successives, un « contre-programme » tourné vers la prochaine législature. De quoi contribuer à l’échauffement des troupes dans la perspective de la campagne électorale des mois à venir. Enfin, il a repris langue avec le PPS – un autre membre de la Koutla… - avec des consultations suivies, et le PAM, lui aussi dans l’opposition, trouvant là, opportunément, un blanchiment à bon compte de son passé.
Tout cela finira-t-il par porter ses fruits lors des prochains scrutins ? D’une autre manière, qu’en sortira-t-il pour ce qui est de la configuration d’une nouvelle majorité ? Les urnes vont trancher dans cinq mois. Ce qui paraît acquis c’est que les termes de référence des précédents scrutins, en 2011 et 2016, vont être modifiés. Avec le nouveau quotient électoral qui vient d’être validé par la Cour constitutionnelle, voici trois jours à peine, les parlementaires du PJD qui avaient fait des observations, ont été déboutés. L’on aura, en septembre prochain, des résultats n’assurant plus la surreprésentation de cette formation islamiste ni celle du PAM. Une correction et une normalisation même qui va réduire le score du PJD d’une bonne trentaine de sièges au moins – il en avait obtenu 124 en 2016 – ainsi que celui du PAM. Mais l’enjeu n’est pas le même pour ses deux formations puisque suivant les dispositions de l’article 47 de la Constitution c’est le parti en tête qui se voit confier la formation et la direction du gouvernement.
Le PJD ? Un référentiel qui reste islamiste
L’hypothèse dominante est que le PJD arrive, malgré tout, à se classer au premier rang. Mais pour autant arrivera-t-il à mettre sur pied une majorité ? Rien n’est moins sûr. Et puis, ses alliés putatifs voudront-ils que cette formation islamiste soit investie pour un troisième mandat ? Nombreux sont ceux qui considèrent en effet qu’il faut œuvrer à une alternance après dix ans de gouvernement PJD. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas fait montre de sa capacité réformatrice ; qu’il reste décalé par rapport aux enjeux de demain ; qu’il n’a pas non plus de vision économique mais plutôt une gestion « statutaire » de ses positions au sein des institutions et plus globalement de l’appareil d’Etat ; et qu’enfin, il n’incarne pas les intérêts ni les besoins, les aspirations et les ambitions du Maroc d’aujourd’hui. Une séquence doit finir : elle aura été une décennie « grise », quasiment de stagnation, à contre-emploi d’un Maroc moderne porté par un projet de société défini dès le début du Nouveau Règne.
Il faut y ajouter un autre argument, encore dans le non-dit, mais qu’il faut marteler : un parti, quel qu’il soit d’ailleurs, peut-il diriger durant trois législatures ? Une question de principe d’autant plus fondée que l’on a affaire, avec le PJD, à une formation qui s’est sans doute gouvernementalisée depuis dix ans – partiellement en tout cas… - mais dont le référentiel reste islamiste. Dans cette même ligne, s’il cumulait trois mandats, aura-ton une pratique institutionnelle normée ? Cela voudrait dire que le PJD deviendrait central, structurant et régulateur dans le système partisan ; qu’il a « squatté» durablement cette position-clé ; et que le Roi n’aurait plus d’ici 2026 qu’une compétence liée par suite de l’application des dispositions contraignantes de l’article 47 de la Constitution. Un cas de figure pas conforme ou à tout le moins pas compatible avec l’esprit de la Constitution.
Alors ? L’alternance, en avant toute ! Et même quoi qu’il en coûte…
Rédigé par Mustapha Sehimi