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Par Mustapha Sehimi
Prévenir, surmonter et réparer les inégalités liées au changement climatique : voilà les termes d'une dynamique qui se veut porteuse d'espoir dans le monde. Qu'en est-il au vrai ? Il est avéré aujourd'hui que le changement climatique est facteur d'inégalités économiques et sociales: il entre génère et amplifie en effet les inégalités à tous les niveaux -les individus, les communautés, les régions et les Etats. La notion de justice climatique est un concept en construction; il vise à faire en sorte que tous, collectivement et individuellement, nous ayons la capacité de nous préparer et de faire face ainsi aux effets du changement climatique. Mais plus qu'un concept, c'est un processus devant conduire à la prise de mesures favorisant et aboutissant à la protection ainsi qu'à 1'accompagnement et à l'aide des plus vulnérables aux conséquences négatives du réchauffement climatique.
Prévention et précaution
Comment ? Par la mise en place d'un certain nombre de mesures de prévention et de précaution concernant les activités aujourd'hui à l'origine d'émissions de gaz à effet de serre. Cela ne suffit pas; il importe également de définir des objectifs à moyen et long terme ; consiste aussi à mettre en cohérence le droit du changement climatique au niveau international et national avec la justice climatique. Enfin, il faut y ajouter en attendant un droit et des politiques climatiques, le renforcement des mécanismes de responsabilité publique et privée appliqués à ceux qui conduisent des activités hautement émettrices de carbone et autre gaz à effet de serre. Il faut arriver dans cette même ligne à développer un système de solidarité internationale et nationale avec ce souci : assurer la compensation et l'indemnisation des victimes du réchauffement climatique. Question de justice et de partage du fardeau.
Equité des droits humains
Parler de justice climatique, c'est mettre en avant ce principe: celui de l'équité et des droits humains qui sont au cœur de la prise des décisions en matière de changement climatique. La crise climatique met en cause la responsabilité historique que les pays et les communautés portent entre eux. Les pays, les industries, les affaires et les personnes qui sont devenus riches ont une responsabilité : aider ceux qui ont été touchés par le changement climatique et qui sont ceux qui ont participé le moins à la crise. La justice climatique se décline autour de plusieurs facettes.
L'une d'entre elles a trait aux inégalités structurelles, à l'intérieur du même pays (les femmes, les personnes handicapées, les peuples autochtones confrontés à des menaces et à des risques croissants pour leur vie leurs moyens de subsistance et leurs savoirs traditionnels). Une autre facette regarde, elle, des inégalités socioéconomiques. Les pays à faible revenu et les populations vulnérables sont plus exposés aux pertes et dommages causés par le climat. A l'échelle mondiale, les 10 % des ménages dont les émissions par habitant sont les plus élevées contribuent dans la proportion de 40 % environ des émissions mondiales de gaz à effet des ménages tandis que les 50% les plus pauvres sont responsables de 15% de ces émissions.
Enfin, une dernière facette est relative à l'inégalité entre les générations. Les enfants et les jeunes d'aujourd'hui n'ont pas participé de manière significative à la crise économique. Mais ils seront touchés de plein fouet par les impacts du changement climatique à mesure qu'ils avancent dans la vie. Leurs droits humains sont ainsi menacés par les décisions des générations précédentes. Leurs droits doivent donc être centrés sur toutes les décisions et mesures relatives au climat. Faut-il le rappeler ? Le changement climatique est une question de droits humains.
La crise climatique entraîne des pertes de vie de moyens de subsistance, de langue aussi; elle expose à des pénuries de nourriture et d'eau; elle déclenche des déplacements de populations et des conflits. Actuellement, ceux qui ont le moins participé à la crise climatique sont touchés de manière disproportionnée par elle. Parler de justice climatique. C'est d'abord penser que les responsabilités dans la lutte au changement climatique devraient être réparties en fonction de ceux qui participent le plus à ce problème; c'est aussi s'attaquer aux inégalités systémiques, socio-écologiques et intergénérationnelles qu'il provoque.
Si l'on se tourne vers le droit international, il reconnaît la protection des groupes vulnérables aux changements climatiques. Trois principes majeurs se dégagent des conférences sur l'environnement : le principe de prévention pour empêcher et prévenir les atteintes causées à l'environnement ; celui du pollueur-payeur qui permet d'imputer le coût d'un dommage aux pollueurs ; et celui de précaution visant à prendre en compte la protection de l'environnement et la sécurité humaine dans la prise de décision afin d'anticiper les dommages.
Depuis les Conférences des parties de la Convention -Cadre des Nations Unies sur le Changement climatique (CCNU CC), ce phénomène est considéré à la fois comme crise écologique, politique, alimentaire et énergétique: Conférence de Stockholm en 1972 ; Accords de Paris ( préambule au paragraphe 13, mais la justice climatique n'est pas reconnue comme un principe d'action et elle ne prévoit aucun mécanisme de sanction et de correction dans la COP 21 ; enfin, dans les Programme des Nations-Unies, les Objectifs de Développement Durable (ODD) font référence à une justice climatique (objectifs 13 et 16).
Il vaut de noter le développement de la justice climatique ces dix dernières années: l'affaire Urgenda aux Pays-Bas en 2015 où pour la première fois le devoir de protection des citoyens contre le changement climatique a été reconnu, l'Etat devant au surplus légalement et obligatoirement définir un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre; l'affaire Juliana aux Etats-Unis en 2015 portée par 21 jeunes de 10 à 21 ans-et 1'ONG Our Children's Trust-reprochant au gouvernement la mise en danger de leur avenir; l'Affaire du Siècle qui est une initiative lancée par plusieurs associations en 2018 en France mettant en cause l'Etat français pour " inaction face au changement climatique" sanctionnée par une victoire dans le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 3 février 2023 avec cette condamnation : " Carences fautives de l'État à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d'atteindre les objectifs de réduction des missions de gaz à effet de serre".
La justice climatique s'étend également aux entreprises. On l'a vu avec une récente victoire condamnant le grand groupe pétrolier Shell à "réduire de 45% ses émissions dans les dix prochaines années", suite à des plaintes d'associations environnementales aux Pays-Bas.
L'Afrique face à une injustice climatique
L'Afrique fait face à une injustice climatique. Le continent est celui qui émet le moins de gaz à effet de serre. Pourtant les pays africains sont parmi les plus vulnérables aux effets du dérèglement climatique. Ils peinent à bénéficier de financements internationaux. Une situation qui a été posée lors du Sommet de Paris pour un Nouveau Pacte Financier Mondial en juin 2023. Aucun pays ne doit avoir à choisir entre lutte contre la pauvreté et la protection de la planète. Il faut bâtir un nouveau contrat entre le Nord et le Sud.
Au Maroc, persiste un discours officiel sur les problématiques environnementales et les solutions possibles. Dans toutes les régions du Royaume, se pose en effet un grave problème de société: il aggrave la précarité des plus fragiles ; il met en péril des savoir-faire et des modes de vie patrimoniaux ; il questionne enfin les orientations économiques et politiques. Des pratiques de prédation et de greenwashing perdurent. La justice climatique reste embryonnaire. Parcellaire. Sans grand élan ni mobilisation…
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid