Les cours de soutien payants, la gangrène du système éducatif


Rédigé par Bouteina BENNANI le Dimanche 12 Décembre 2021

S’il y a un sujet que les parents peuvent en débattre sans interruption et à en perdre le souffle, ce sont les cours de soutien payants. Ils sont obligés de les payer pour au moins 5 ans de cursus scolaire de leurs enfants, du moins aux années de passage au collège, lycée et université. Le lobbying de certains enseignants et administrations d’écoles est sans limite, surtout au privé.
La problématique des cours de soutien connaîtra, on l’espère, une issue avec ce gouvernement, en tout cas, au niveau des établissements scolaires publics. D’après une note du ministère de l’Education nationale parvenue aux inspecteurs et aux responsables des établissements scolaires, les cours de soutien par des enseignants au public sont dorénavant interdits.



On peut comprendre qu’un élève qui a étudié dans un « mauvais » établissement scolaire public et qui est passé par des enseignants « sans scrupules », puisse avoir besoin de soutien pour passer son brevet et son baccalauréat. Il peut s’agir tout aussi de cumul de mauvaises pédagogies et de quotient intellectuel moyen. Mais encore, il y a de très bons collèges et lycées, qui se démarquent au niveau national lors des examens de passage, tellement le niveau est haut et les élèves brillants et studieux.

Au niveau des écoles privées, la problématique est autre. Il ne suffit pas de payer des mensualités « suant » les ménages, mais, en plus, elles exigent des cours de soutien dès l’inscription. Après un test de niveau dans plusieurs matières, les parents  signent un engagement stipulant que leur enfant prendra des cours, et pendant toute l’année, dans lesdites matières où il est « censé » être faible. Et quand ces actes sont dénoncés par les parents au ministère, les inspecteurs ne peuvent rien prouver ! A savoir ce qui se passe, entre temps.  Il peut arriver que ce même enfant paye les cours chez le même enseignant dans son propre lycée et à l’extérieur, dans un centre de soutien, en plus du cours officiel.  A y réfléchir, à quoi lui sert ce professeur s’il n’arrive pas à avoir de bonnes notes en cette matière, et à 3 reprises ? Et bien sûr, les 3 derniers mois de préparation à l’examen de passage en question,  ont également leurs lots de traumatismes pour l’élève et d’endettements pour les ménages.

Toutes ces stratégies sont les mêmes pour les brillants comme pour les faibles de la classe, sachant que, en suivant la logique, les écoles privées cotées ne prennent que les meilleurs éléments, après leur test avant inscription. Ils tablent sur la renommée de l’établissement, avec, rien que des mentions bien et très bien aux classes de passage : CE6, CE9 et Bac. Ils ne croient pas en ces enfants moyens. Et pourtant, certains de leurs bacheliers n’arrivent pas, avec leurs 18 de moyenne au bac, à réussir les concours de médecine, dentaire, ENCG ENSA…, les meilleurs écoles et universités marocaines.

Ce qui devient incongru, c’est qu’on assiste de nos jours à un nouveau phénomène, et dans des franges assez précaires de la société.  Il s’agit de cours pris par des enfants à peine entrés pour la première fois à l’école publique de quartiers pauvres. Avec l’insistance d’un maître ou une maîtresse, ces petits élèves  prennent des cours chez ces derniers, invoquant comme « alibi », une faiblesse en calcul ou en français. Et les parents analphabètes ne pouvant  aider leurs enfants, ayant de surcroit le complexe du français, mettent les bouchées doubles pour ne pas « stigmatiser » outre mesure leur enfant (auprès de ses camarades).

Et le plus encourageant, c’est la nouvelle tendance qu’ont des parents, pourtant médecins et ingénieurs, pouvant payer les meilleures écoles privées, de déplacer leurs enfants du privé vers le public. Pour eux, les cours de soutien sont payants, autant payer un seul intervenant : les cours de soutien à l’extérieur de l’établissement. L’argent économisé servirait à envoyer l’enfant dans une université de France, du Canada ou des Etats Unis.

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Du côté des enseignants : l’autre facette

La problématique des cours de soutien est à analyser sous différents angles. L’interdiction aux enseignants du public de donner des cours de soutien est une bonne initiative qui devrait s’élargir aux établissements privés, du moins, être sous conditions.

Selon la note du ministère de l’Education nationale, les enseignants sont sommés de « se consacrer uniquement à la politique du ministère en matière de soutien scolaire ». De quelle politique s’agit-il et serait-elle au profit de qui ? se demandent certains enseignants. Va-t-elle apporter un brin de renflouement au niveau de leurs salaires ? Ces élèves faibles, auront-ils des cours de soutien avec les mêmes « visages », au risque de ne rien comprendre ?  

Les cours de soutien payants sont dorénavant inscrits dans le lot du  « cumul entre la fonction publique et le privé », interdit par l’article 73. A y penser, cette problématique rappelle celle des médecins, mais pour ces derniers, certaines consultations au niveau du privé leur sont permises.  

Aussi, ces interdictions vont mettre les écoles privées dans une situation de déficit puisqu’ils font toujours appel aux enseignants du public, censés être meilleurs. Cette interdiction renforcera-t-elle la conscience professionnelle, le patriotisme et le civisme de certains ? Y-aura-t-il une contrepartie financière ou un geste d’encouragement pour le corps enseignant ?

Le fait de sanctionner et de suspendre les enseignants rebelles ne fera que les inciter à trouver d’autres moyens ou de démissionner, ce qui fera le bonheur des écoles privées qui n’attendent que licenciement ou retraite pour se procurer ces perles rares.

La note parle aussi d’inégalité, mais les inégalités existent depuis toujours. Si l’état interdit le privé de la maternelle à la dernière année des cours élémentaires, ce parcours serait différent et avec égalité des chances. L’enseignement de base devrait être l’apanage du public et dans la gratuité, comme dans certains pays.

Enfin, le ministère lance un appel aux parents d’élèves pour dénoncer cette pratique, normalement proscrite par la loi qui régit la fonction publique. Une action qui est difficile s’il n’y a pas de numéro vert où ils peuvent appeler gratuitement. Il y va aussi de l’avenir de leurs enfants qui pourraient se retrouver en conseil de discipline, d’exclusion de l’école ou simplement d’agression dans la rue ou de stigmatisation. Où en est-on de la psychologie des enfants dans ce cas ?

Dans tous les cas, cette première décision du ministre de l’Education nationale est louable, mais devrait être suivie par d’autres actions. Il ne suffit pas uniquement d’interdire les cours de soutien, mais aussi de renforcer et de former les maîtres et maîtresses du préscolaire et du primaire. Pendant le confinement, plusieurs audios de cours donnés en distanciel ont bien montré le niveau des enseignants et des enfants du public. Il faut sauver ce qui peut l’être après ces deux années de perturbations scolaires et prendre conscience de l’efficacité du préscolaire. Il ne suffit pas d’ouvrir des classes pour redorer notre image auprès des bailleurs de fonds et à l’international.

 




Dimanche 12 Décembre 2021
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