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Par Rachid Boufous
Je suis fier de ce qu’est devenu aujourd’hui le Book club que j’ai vu naître au détour d’une discussion au PapersClub à Casablanca, il y’a plus d’un an et dont je fus le premier écrivain marocain invité à parler de son œuvre. Depuis, plus de quarante écrivains et de penseurs ont défilé au Book Club.
En attendant, je suis donc resté en retrait, occupé à corriger mon prochain ouvrage sur mon ordinateur. Il y’avait beaucoup de monde au Sofitel. Il y faisait chaud. A la fin de la première intervention, le buffet organisé à cet événement du Book club, fut pris d’assaut pas une horde d’affamés de culture et de littérature. Je n’avais même pas eu le temps de me lever que je vis le buffet entièrement englouti, en moins de cinq minutes chrono, par de gros mangeurs, dont j’ai fini par soupçonner la présence à l’événement en question plus liée au dit buffet qu’à la rencontre littéraire elle même…
J’ai eu plus de plaisir à écouter Mohamed Kenbib, une fois la horde repue, ayant quitté les lieux. Il faut dire que quelques instants auparavant je buttais sur la correction d’un chapitre consacré au voyage de Sir Moses Montefiore au Maroc à la cour de Mohammed IV en 1864. Justement j’ai trouvé dans l’ouvrage de Kenbib les précisions que je cherchais depuis un moment, sur ce voyage. Je ne vous raconterais pas la suite, car je veux que vous découvriez mon prochain ouvrage, qui vous plaira sans aucun doute…
Bref, une fois la dédicace obtenue et après un après-midi au salon du livre où il faisait terriblement chaud, je rentre chez moi alourdi de quelques kilos de papiers remplis de signes griffonnés à l’encre noire et qu’on dénomme livres. Des amis m’invitent à les rejoindre dans un coin pour nantis au Souissi, histoire de boire un Perrier. À Rabat comme ailleurs on ne trouve du Perrier que dans les endroits cossus. Je finis par avaler un second Perrier, la première eau pétillante n’ayant pas rassasié ma faim de parole, ni réussi à faire patienter mon estomac, qui n’a toujours pas avalé une calorie depuis le matin.
La soirée s’allonge, on raconte des histoires connes, histoire de bien rigoler un coup. Il est minuit trente, je décide de rentrer, mais la faim justifiant toujours les moyens, je décidais de descendre en ville trouver un endroit ouvert à cette heure et daignant encore nous recevoir, ma faim et moi…
Walou, Nada, rien n’est ouvert. Rabat après 23h30 est une ville qui somnole déjà. Il ne reste que les sandwichs rabougris de MacDo, avec leurs frites rachitiques de fin de soirée.
Même le célèbre YoumYoum est fermé. Une vraie institution le YoumYoum. A ce jour c’est le seul établissement au Maroc qui fait le même Cheese Burger dégoulinant et savoureux depuis quarante ans au moins.
Je vois les dernières lumières de la Mamma, le mythique restaurant de Rabat luire en passant à côté. J’ai la flemme de m’y arrêter. Ils doivent avoir fini de servir à cette heure de la nuit.
Il ne me reste plus que l’un des seuls endroits qui reste ouvert 24h/24 avec un service ininterrompu : Chez Chliha à Diour Jamaa.
Une institution de la nuit Chliha. Un improbable endroit où l’on vous sert autant en voiture, qu’à table.
On mange de tout chez Chliha. De la viande hachée, du cœur, du foie ou de la tête et de la cervelle de mouton fortement aspergés de cumin et de poudre de piment. Le tout assaisonné d’un plat de frites huileuses marinées dans un substrat de sauce ketchup douteuse et d’un verre de thé à faire exploser le taux de glycémie à un diabétique comme moi. Mais curieusement tous ces plats sont bons.
Chez Chliha c’est la démocratie de la bouffe. On mange bien pour pas cher et personne n’est là pour vous défigurer bêtement comme le font les clients stupides et suffisants que l’on rencontre dans les principales adresses gastronomiques de la ville.
Toutes les catégories sociales se retrouvent chez Chliha. Entre les fils et filles à papa qui veulent s’encanailler en s’aventurant dans les quartiers au-delà de la frontière de l’Agdal, qui est la dernière terre habitée par les riches à l’ouest de la capitale; les fauchés sans le sou qui veulent s’empiffrer pour pas cher, les anciens pauvres et les nouveaux riches qui se toisent sans se parler, il n’y a que l’embarras du choix.
On rencontre tout type de faunes chez Chliha. Les adeptes des afters gastronomiques après un mariage pingre, les touristes des boites de nuits, les âmes perdues d’un soir esseulé, les viandards à la recherche de plats conséquents, les étourdis évanescents des bars, les couples en formation avant une nuit agitée et grinçante, les travailleurs de la nuit et les marcheuses fatiguées après des milliers de kilomètre à frapper le bitume dans leurs escarpins élimés à la recherche d’un improbable client…
La nuit à Rabat a un autre visage. Mais la capitale a bien changé. Elle est devenue trop propre à mon goût. Ce qui n’a pas changé c’est l’absence des rbatis d’origine, disparus mystérieusement de la ville depuis une quarantaine d’années.
Le vrai Rbati est un ancien andalou devenu corsaire par vengeance contre les perfides espagnols qui l’ont mis dehors après sept cents ans de présence ininterrompue et qui s’est anobli et embourgeoisé avec les siècles. Il était fier de son appartenance à la nouvelle Salé où il s’installa après que les gens de Salé le vieux, n’aient plus voulu de lui un soir de fête au début du 17eme siècle. Il partit s’installer à la casbah de l’autre côté de l’oued Bouregreg, y érigea une république des pirates et élit à sa tête un commodore en la personne d’un ancien maure hispanique du nom de Vargas.
Le Rbati devint par la suite vizir ou commerçant à la solde des Sultans. Et puis, il devint un fervent nationaliste. Mais curieusement le Rbati a quasiment disparu de la circulation depuis le milieu des années 80, quand la capitale est devenue le réceptacle de toutes les élites administratives du royaume qui se pâmaient d’avoir une villa au Souissi ou un lot de terrain à hay Ryad, summums de l’arrivisme social.
La ville s’est peu à peu mélangée et il faut des fouilles archéologiques pour trouver la trace des vrais rbatis. On raconte qu’ils continuent à se voir, mais entre eux, désertant tous les lieux publics où ils pourraient être vus. Étrange peuple…
Bref, je me retrouve chez Chliha, comme durant ces nuits où on s’oublie dans quelque estaminet à s’encanailler en buvant du mauvais whisky.
Cette fois-ci j’étais sobre, mais à force d’écouter des idées débitées en brochettes, j’ai eu très faim. J’ai commandé comme d’habitude de la tête de mérinos, des saucisses de zèbre de Tasmanie, de la kofta de pachyderme du Mali et du foie de crocodile de Papouasie, le tout assaisonné de frites de palmiers et de thé du Burkina. J’ai payé le tout à 10 €uros convertibles en dirhams marocains.
Des jeunes africains font les tables en quête d’un passeport alimentaire. Une maman tape sa très jeune fille, une petite peste qui ne cesse de faire des bêtises et qui ne pleure pas malgré les taloches qu’elle reçoit. Ça m’énerve à chaque fois que je vois ce type de comportement venant des parents. Une mauvaise éducation. Mais je me dis que nous avons tous été talochés ainsi et in fine on est bien élevés…
Les chats de Chliha viennent se dorloter contre les sièges vides. Ils sont repus et ne tirent plus la langue à cette heure de la nuit. Ils ont d’autres congeneres à fouetter sans doute.
Je reprends ma voiture et traverse la ville déserte, mais prudemment, car à cette heure, personne ne s’arrête aux feux rouges.
Je longe l’avenue de la victoire et ses fucus centenaires. Depuis que ces arbres sont illuminés, on n’y rencontre plus cette faune d’homosexuels qui vous faisait des signes de la main. Je ne sais pas où ils sont partis exercer leur art et ruminer leurs douleurs d’êtres humains meurtris et honnis par la société.
Rabat est devenue trop propre à mon goût. Je finirais par aller m’installer ailleurs, dans ces derniers endroits où la poussière possède encore une odeur quand il pleut…
Et merci à Chliha d’exister.
Rachid Boufous
En attendant, je suis donc resté en retrait, occupé à corriger mon prochain ouvrage sur mon ordinateur. Il y’avait beaucoup de monde au Sofitel. Il y faisait chaud. A la fin de la première intervention, le buffet organisé à cet événement du Book club, fut pris d’assaut pas une horde d’affamés de culture et de littérature. Je n’avais même pas eu le temps de me lever que je vis le buffet entièrement englouti, en moins de cinq minutes chrono, par de gros mangeurs, dont j’ai fini par soupçonner la présence à l’événement en question plus liée au dit buffet qu’à la rencontre littéraire elle même…
J’ai eu plus de plaisir à écouter Mohamed Kenbib, une fois la horde repue, ayant quitté les lieux. Il faut dire que quelques instants auparavant je buttais sur la correction d’un chapitre consacré au voyage de Sir Moses Montefiore au Maroc à la cour de Mohammed IV en 1864. Justement j’ai trouvé dans l’ouvrage de Kenbib les précisions que je cherchais depuis un moment, sur ce voyage. Je ne vous raconterais pas la suite, car je veux que vous découvriez mon prochain ouvrage, qui vous plaira sans aucun doute…
Bref, une fois la dédicace obtenue et après un après-midi au salon du livre où il faisait terriblement chaud, je rentre chez moi alourdi de quelques kilos de papiers remplis de signes griffonnés à l’encre noire et qu’on dénomme livres. Des amis m’invitent à les rejoindre dans un coin pour nantis au Souissi, histoire de boire un Perrier. À Rabat comme ailleurs on ne trouve du Perrier que dans les endroits cossus. Je finis par avaler un second Perrier, la première eau pétillante n’ayant pas rassasié ma faim de parole, ni réussi à faire patienter mon estomac, qui n’a toujours pas avalé une calorie depuis le matin.
La soirée s’allonge, on raconte des histoires connes, histoire de bien rigoler un coup. Il est minuit trente, je décide de rentrer, mais la faim justifiant toujours les moyens, je décidais de descendre en ville trouver un endroit ouvert à cette heure et daignant encore nous recevoir, ma faim et moi…
Walou, Nada, rien n’est ouvert. Rabat après 23h30 est une ville qui somnole déjà. Il ne reste que les sandwichs rabougris de MacDo, avec leurs frites rachitiques de fin de soirée.
Même le célèbre YoumYoum est fermé. Une vraie institution le YoumYoum. A ce jour c’est le seul établissement au Maroc qui fait le même Cheese Burger dégoulinant et savoureux depuis quarante ans au moins.
Je vois les dernières lumières de la Mamma, le mythique restaurant de Rabat luire en passant à côté. J’ai la flemme de m’y arrêter. Ils doivent avoir fini de servir à cette heure de la nuit.
Il ne me reste plus que l’un des seuls endroits qui reste ouvert 24h/24 avec un service ininterrompu : Chez Chliha à Diour Jamaa.
Une institution de la nuit Chliha. Un improbable endroit où l’on vous sert autant en voiture, qu’à table.
On mange de tout chez Chliha. De la viande hachée, du cœur, du foie ou de la tête et de la cervelle de mouton fortement aspergés de cumin et de poudre de piment. Le tout assaisonné d’un plat de frites huileuses marinées dans un substrat de sauce ketchup douteuse et d’un verre de thé à faire exploser le taux de glycémie à un diabétique comme moi. Mais curieusement tous ces plats sont bons.
Chez Chliha c’est la démocratie de la bouffe. On mange bien pour pas cher et personne n’est là pour vous défigurer bêtement comme le font les clients stupides et suffisants que l’on rencontre dans les principales adresses gastronomiques de la ville.
Toutes les catégories sociales se retrouvent chez Chliha. Entre les fils et filles à papa qui veulent s’encanailler en s’aventurant dans les quartiers au-delà de la frontière de l’Agdal, qui est la dernière terre habitée par les riches à l’ouest de la capitale; les fauchés sans le sou qui veulent s’empiffrer pour pas cher, les anciens pauvres et les nouveaux riches qui se toisent sans se parler, il n’y a que l’embarras du choix.
On rencontre tout type de faunes chez Chliha. Les adeptes des afters gastronomiques après un mariage pingre, les touristes des boites de nuits, les âmes perdues d’un soir esseulé, les viandards à la recherche de plats conséquents, les étourdis évanescents des bars, les couples en formation avant une nuit agitée et grinçante, les travailleurs de la nuit et les marcheuses fatiguées après des milliers de kilomètre à frapper le bitume dans leurs escarpins élimés à la recherche d’un improbable client…
La nuit à Rabat a un autre visage. Mais la capitale a bien changé. Elle est devenue trop propre à mon goût. Ce qui n’a pas changé c’est l’absence des rbatis d’origine, disparus mystérieusement de la ville depuis une quarantaine d’années.
Le vrai Rbati est un ancien andalou devenu corsaire par vengeance contre les perfides espagnols qui l’ont mis dehors après sept cents ans de présence ininterrompue et qui s’est anobli et embourgeoisé avec les siècles. Il était fier de son appartenance à la nouvelle Salé où il s’installa après que les gens de Salé le vieux, n’aient plus voulu de lui un soir de fête au début du 17eme siècle. Il partit s’installer à la casbah de l’autre côté de l’oued Bouregreg, y érigea une république des pirates et élit à sa tête un commodore en la personne d’un ancien maure hispanique du nom de Vargas.
Le Rbati devint par la suite vizir ou commerçant à la solde des Sultans. Et puis, il devint un fervent nationaliste. Mais curieusement le Rbati a quasiment disparu de la circulation depuis le milieu des années 80, quand la capitale est devenue le réceptacle de toutes les élites administratives du royaume qui se pâmaient d’avoir une villa au Souissi ou un lot de terrain à hay Ryad, summums de l’arrivisme social.
La ville s’est peu à peu mélangée et il faut des fouilles archéologiques pour trouver la trace des vrais rbatis. On raconte qu’ils continuent à se voir, mais entre eux, désertant tous les lieux publics où ils pourraient être vus. Étrange peuple…
Bref, je me retrouve chez Chliha, comme durant ces nuits où on s’oublie dans quelque estaminet à s’encanailler en buvant du mauvais whisky.
Cette fois-ci j’étais sobre, mais à force d’écouter des idées débitées en brochettes, j’ai eu très faim. J’ai commandé comme d’habitude de la tête de mérinos, des saucisses de zèbre de Tasmanie, de la kofta de pachyderme du Mali et du foie de crocodile de Papouasie, le tout assaisonné de frites de palmiers et de thé du Burkina. J’ai payé le tout à 10 €uros convertibles en dirhams marocains.
Des jeunes africains font les tables en quête d’un passeport alimentaire. Une maman tape sa très jeune fille, une petite peste qui ne cesse de faire des bêtises et qui ne pleure pas malgré les taloches qu’elle reçoit. Ça m’énerve à chaque fois que je vois ce type de comportement venant des parents. Une mauvaise éducation. Mais je me dis que nous avons tous été talochés ainsi et in fine on est bien élevés…
Les chats de Chliha viennent se dorloter contre les sièges vides. Ils sont repus et ne tirent plus la langue à cette heure de la nuit. Ils ont d’autres congeneres à fouetter sans doute.
Je reprends ma voiture et traverse la ville déserte, mais prudemment, car à cette heure, personne ne s’arrête aux feux rouges.
Je longe l’avenue de la victoire et ses fucus centenaires. Depuis que ces arbres sont illuminés, on n’y rencontre plus cette faune d’homosexuels qui vous faisait des signes de la main. Je ne sais pas où ils sont partis exercer leur art et ruminer leurs douleurs d’êtres humains meurtris et honnis par la société.
Rabat est devenue trop propre à mon goût. Je finirais par aller m’installer ailleurs, dans ces derniers endroits où la poussière possède encore une odeur quand il pleut…
Et merci à Chliha d’exister.
Rachid Boufous