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Les Empires Réticulaires : De nouvelles Puissances pour le XXIe Siècle ?




Par Abdelhakim Yamani, Institut Géopolitique Horizons

La Puissance à l’Ère des Réseaux
Le monde évolue, et avec lui, les formes de puissance. Longtemps, les empires se sont construits sur la conquête de territoires, la force militaire et le contrôle direct des populations. Aujourd’hui, une nouvelle logique s’impose : celle des empires réticulaires, qui n’exercent plus leur influence par la domination physique, mais par le contrôle des réseaux – économiques, technologiques, financiers, culturels.

Ce basculement traduit une transformation fondamentale des relations internationales. Alors que la souveraineté territoriale constituait le pilier des puissances classiques, celles d’aujourd’hui façonnent leur influence par des interconnexions stratégiques. Ces réseaux ne sont pas seulement des infrastructures matérielles, mais aussi des écosystèmes d’information, des flux financiers, des normes technologiques qui redessinent les rapports de force globaux.

Cinq Visages de la Puissance Réticulaire
Dans ce nouvel ordre mondial, plusieurs modèles de puissance émergent, chacun adoptant une approche spécifique pour structurer son influence.

1/ L’Empire Algorithmique : Les États-Unis et la Domination Numérique

Les États-Unis illustrent à merveille cette mutation. Leur domination repose moins sur l’intervention militaire que sur le contrôle des algorithmes, des plateformes numériques et des infrastructures financières. De la régulation des transactions bancaires internationales au monopole des grandes entreprises technologiques, Washington impose ses règles sans avoir besoin d’envoyer de troupes.

L’influence américaine est omniprésente, mais souvent invisible. Google, Apple, Microsoft, Amazon façonnent l’économie mondiale, contrôlant l’accès à l’information et aux services numériques. Le dollar, lui, reste l’outil de pouvoir ultime : au moindre désaccord, l’exclusion d’un acteur du système SWIFT peut suffire à l’isoler du commerce international. Cette puissance algorithmique, bien que discrète, s’avère redoutablement efficace.

2/ L’Empire Systémique : La Chine et l’Art de l’Interdépendance

Face à ce modèle, la Chine construit une autre stratégie, fondée sur la création de systèmes alternatifs. Plutôt que d’imposer une suprématie directe, Pékin tisse des réseaux d’infrastructures, d’échanges et de financements qui rendent ses partenaires progressivement dépendants.

Les Nouvelles Routes de la Soie incarnent cette ambition : routes, ports, réseaux de télécommunications, banques… chaque projet ancre un peu plus les pays concernés dans l’orbite chinoise. Mais au-delà des infrastructures physiques, c’est un écosystème complet qui se met en place : avec le développement de systèmes de paiement alternatifs, de nouvelles normes technologiques, d’institutions financières dédiées, la Chine façonne un ordre international qui lui est favorable.

3/ L’Empire Synergétique : Le Maroc et la Puissance du Co-développement

Au sein de cette nouvelle donne, le Maroc se distingue par une approche singulière, fondée sur le co-développement et la création de synergies positives. Contrairement aux puissances qui imposent leurs règles ou leurs infrastructures, Rabat privilégie une intégration progressive et équilibrée, fondée sur le partage de savoir-faire et de ressources.

Cette stratégie se manifeste à travers des partenariats économiques en Afrique, des programmes de formation pour les élites africaines, des initiatives diplomatiques et culturelles. Plutôt que d’établir des rapports de force rigides, le Maroc tisse des liens durables, où chaque acteur trouve son intérêt. Cette approche lui permet de bâtir une influence sans confrontation directe, et d’ancrer progressivement son rôle de pivot régional.

4/ L’Empire Néo-Civilisationnel : La Turquie et l’Héritage Mobilisé

La Turquie, quant à elle, réinterprète son histoire pour projeter son influence. Ankara ne se contente pas de jouer un rôle économique ou militaire : elle mobilise son passé ottoman, sa culture et sa religion pour fédérer des populations et structurer des alliances.

Cette approche repose sur un mélange subtil de soft power et de stratégies plus affirmées. Les séries télévisées turques diffusées du Maghreb aux Balkans véhiculent une image moderne et puissante du pays. En parallèle, les interventions militaires en Syrie, en Libye ou dans le Caucase témoignent d’une volonté de peser sur les conflits régionaux. La Turquie joue ainsi sur plusieurs tableaux, combinant diplomatie, économie et force pour étendre son influence.

5/ L’Empire Disruptif : La Russie et l’Art de la Déstabilisation

À rebours de ces stratégies d’intégration, la Russie adopte une approche plus chaotique. Consciente de ne pas pouvoir rivaliser avec les grandes puissances sur le terrain économique ou technologique, elle mise sur la perturbation de l’ordre établi.

Sa force ne réside pas dans la création de réseaux, mais dans leur déstabilisation. À travers la guerre hybride, la désinformation, l’influence énergétique, Moscou exploite les failles du système mondial pour affirmer son poids. La Russie ne cherche pas à construire un empire durable, mais plutôt à affaiblir ses adversaires, à fragmenter leurs alliances et à créer des opportunités dans le désordre.

Une Nouvelle Lecture des Relations Internationales
Cette diversité de modèles montre à quel point la puissance contemporaine ne repose plus sur la simple possession d’un territoire. Ce qui compte aujourd’hui, c’est la capacité à façonner des flux, à structurer des dépendances, à imposer des normes.

Ces empires réticulaires ne sont pas figés : ils interagissent, s’affrontent et parfois se complètent. La rivalité entre les États-Unis et la Chine s’exprime autant dans la technologie que dans les infrastructures globales. Le Maroc et la Turquie explorent des stratégies d’influence régionales qui évitent la confrontation frontale. La Russie, en revanche, joue le rôle du trouble-fête, profitant des tensions pour avancer ses intérêts.

Dans ce contexte, le modèle marocain mérite une attention particulière. À l’opposé des stratégies de confrontation, il propose une voie alternative, fondée sur la coopération et la création de valeur partagée. Cette approche, si elle parvient à se consolider, pourrait bien inspirer d’autres nations cherchant à accroître leur influence sans tomber dans les schémas classiques de domination.

Quelles Perspectives pour Demain ?
L’émergence des empires réticulaires ouvre la voie à un monde plus fragmenté, plus multipolaire, mais aussi plus interconnecté. Aucune puissance ne domine totalement, et chacune doit s’adapter aux transformations rapides des équilibres globaux.

Les États-Unis doivent gérer l’érosion de leur monopole technologique face aux alternatives chinoises. La Chine doit éviter une dépendance excessive des pays partenaires à son égard. Le Maroc doit prouver que son modèle synergétique est viable sur le long terme. La Turquie doit équilibrer ambitions et réalités. Quant à la Russie, elle doit veiller à ne pas s’isoler au point de perdre toute capacité d’influence.

L’avenir sera donc marqué par une coexistence de ces modèles, avec des alliances mouvantes, des confrontations subtiles et des interdépendances croissantes. Dans ce jeu complexe, ceux qui sauront maîtriser les réseaux sans se laisser enfermer dans des logiques rigides seront les véritables acteurs de demain.

Loin d’être une simple évolution, l’émergence des empires réticulaires marque une révolution dans la manière dont la puissance s’exerce. Ce basculement redessine les rapports de force internationaux, où le contrôle des flux et des dépendances devient plus déterminant que la force brute. Dans ce paysage en mutation, le modèle marocain de co-développement synergétique apparaît comme une alternative prometteuse, capable de tracer une nouvelle voie dans les relations internationales du XXIe siècle.




Mercredi 12 Février 2025

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