Leçons gare…


La structure métallique qui enveloppait la gare mythique de Rabat-Ville est en cours de démantèlement. Cette « œuvre architecturale » qui devait donner une « nouvelle jeunesse » à cette vielle bâtisse ferroviaire, n’a fait que l’enlaidir, sans aucun respect pour le patrimoine séculaire du centre-ville de la capitale du royaume.



Par Rachid Boufous

Une démarche qui était dans l’air du temps à l’époque du lancement des grandes gares ferroviaires à l’avènement du TGV marocain. L’ONCF, cette vielle dame du transport sur rail marocain voulait « innover » et lança plusieurs projets de nouvelles gares ou de mise à niveau de celles qui existaient depuis l’époque du protectorat, avec plus ou moins de bonheur créatif.
 
Si la gare de Marrakech avec son immense entrée, réalisée par mon ami et confrère Youssef Melehi, reste à ce jour la plus belle gare du pays, à mon avis, alliant modernité et traditions dans sa constructibilité, celle de Rabat-Ville aurait pu être pareil, mais le choix a été différent optant pour une couverture en métal qui était disproportionnée à l’échelle de la gare actuelle et de l’environnement urbain immédiat. Certes les nouvelles gares ferroviaires obéissent à des normes de volume et de capacité d’accueil qui doivent être en phase avec croissance du nombre de passagers.

Les gares de Casa-port et de Rabat-Agdal répondent à ces impératifs, tout en étant construites à une échelle respectable de son environnement urbain. Celle de Tanger aussi, sauf dans son extension TGV qui est venue fagocyter un bâtiment respectable avec ses deux grandes tours. On aurait pu éviter cette extension dont les nouveau espaces en entrée font doublons avec les anciens. On aurait pu l’agrandir sans la dénaturer. Celle de casa-voyageurs et de Kenitra sont totalement ratées par leurs volumes monstrueux et leurs modénatures hasardeuses, sans attaches avec la réalité des deux villes, avec tout mon respect pour les confrères qui les ont conçues.
 
Les gares ferroviaires sont des lieux de vie et de passage. Elles drainent un flux constant et important de voyageurs. On y passe moins de temps que dans les aérogares. Mais ce n’est pour autant que ces grands lieux du voyage doivent impérativement se transformer aussi en centres commerciaux. Comme je le dis souvent « on n’achète pas de slip ou de chemise dans une gare »…
Même si les commerces doivent exister en ces lieux, on doit surtout les orienter vers la culture, la gastronomie et la détente. On doit aussi et surtout y offrir de vastes espaces de repos et d’attente pour les voyageurs. Or dans toutes les nouvelles gares, les espaces pour les voyageurs manquent de façon suffisante. À commencer par les toilettes publiques, dont je ne vous parle même pas de l’état de leur entretien.

Ces gares manquent aussi de guichets en nombre suffisant pour prendre des tickets. Mêmes les automates dédiés à cet effet ne marchent souvent pas augmentant les attentes et le stress qui va avec au risque de rater son train…
 
Les accès aux trains sont étriqués et étroits. On voit surtout que les architectes ont eu beaucoup de mal à répondre efficacement au programme fourni par le maître d’ouvrage, ONCF, qui a certainement été pris dans un tourbillon LGV, où l’urgence était de mise et n’a pas réfléchi sereinement à ces espaces, continuant à les prévoir comme dans les anciennes gares.
 
Maintenant que nous avons pris la décision de prolonger la ligne à haute vitesse à Marrakech, à Fès, Meknes, Agadir, Casablanca via Benslimane avec de nouvelles gares à la clé, il serait judicieux et impératif de demander aux architectes une meilleure conception des espaces dédiés aux voyageurs, plus de toilettes et cafés-restaurants de qualité, des agences de location de voitures, les hôtels à proximité et moins de « boutiques à slips »…
 
Nous accueillerons en 2030 des centaines de milliers de voyageurs venant de l’étranger et habitués aux gares TGV. Ils doivent y trouver, autant que les voyageurs marocains, toutes les commodités et services « haut de gamme », à l’heure de la digitalisation. Les gares seront le miroir de notre pays à l’international, qu’elles soient ferroviaires ou aéroportuaires.
 
À l’extérieur de ces gares les autorités doivent faire aussi du « nettoyage » pour ce qui est des taxis.
 
On ne peut plus admettre des taxis sans compteurs de courses, ni chauffeurs qui ne soient irréprochables en terme d’hygiène et de propreté, ni trouver des rabatteurs qui choisissent les clients en fonction de ce qui les arrange comme destination et non en fonction des désirs des voyageurs. Les places de parking doivent être prévues en nombre suffisant.
 
Certes, un pas de géant a été entrepris depuis 15 ans par l’ONCF et la qualité s’est améliorée, sauf pour ce qui est des horaires, hors LGV, qui constituent encore un point noir que les voyageurs payent cher, à leurs corps défendants. Par la même occasion l’ONCF peut en profiter pour créer des lignes à l’intérieur du pays, notamment vers ce sud-est qu’est la région de Draa-Tafilalet vers, Midelt, Errachidia, Erfoud, Tinghir, Ouarzazate, Zagora et même vers d’autres régions comme Figuig via oujda Khenifra, Benimellal, Bejaad, Fquih Bensalah, Kasba Tadla, Kelaa Staghna via l’acien train qui arrive à Khouribga ou même Taroudant, Tiznit,Tata, Guelmim, Smara, TanTan, Laayoune, Boujdour et Dakhla et pourquoi pas vers la Mauritanie et le Sénégal…

Ces villes et régions méritent aussi leur chemin de fer et surtout de bénéficier de leur quotepart du développement national du rail.
 
On peut allouer une part des revenus de l’OCP et autres organismes marocains à ce programme de développement du chemin de fer vers les régions enclavées, au lieu de les utiliser pour boucher les déficit du budget de l’état. Les régions peuvent aussi investir à travers leurs revenus et taxes dans ce chemin de fer régional ou national.
 
La réussite du LGV entre Tanger et Casablanca, aujourd’hui presque saturé et victime de son succès, a démontré que les marocains aiment voyager dans leurs pays quand on leur offre les possibilités à bon prix.
 
La LGV a modifié durablement la géographie du Maroc, mettant à quelques heures des villes, où jadis, il fallait passer la journée en train ou en voiture pour y arriver.
 
Nous avons aujourd’hui la preuve éclatante que l’avenir du transport au Maroc passe par le ferroviaire, beaucoup plus que par les autoroutes, même si celle-ci sont aussi importantes, mais demeurent hélas vides sur beaucoup d’axes à cause de leur prix exorbitant.
 
L’ONCF doit aussi encourager le ferroutage et le transport de marchandises et de véhicules sur ses trains surtout la nuit, quand il y’a moins de trafic sur les lignes.
 
Imaginez vous embarquez avec votre voiture en train et vous la récupérez à l’arrivée à Fès, Oujda, Marrakech, Tanger ou Agadir…Un vrai bonheur…!
 
Les idées ne manquent pas pour rendre le rail marocain vraiment attractif et réellement utile au développement du pays. Et ce n’est pas une question d’argent. Les bailleurs financent ce genre de projets, car générateurs de grands revenus.
 
Et puis les investissements dans les infrastructures vitales n’est jamais perdant. Nous l’avons fait avec les barrages dans les années 70, cela a été payant. Nous l’avons fait avec les autoroutes et la LGV et cela a été pareillement bénéfique.
 
Le développement, le vrai, c’est d’abord une offre étatique généreuse en moyens de transport des citoyens, de biens et de marchandises. Cela permet une meilleure attractivité des régions, contribue grandement à leur développement économiquement et à leur désenclavement et limite les phénomènes migratoires.
 
Les industriels et les opérateurs peuvent alors oser investir dans des régions à l’accessibilité jadis éprouvante, voire impossible.
 
Le développement de l’Amérique s’est fait grandement grâce au rail, avant que l’avion ne le supplante, mais avec le même but : raccourcir les distances, mêmes les plus éloignées…
 
Quand on se déplace vite et que l’on a toutes les marchandises à portée de main, on ne quitte pas sa région, on la développe et on attire des touristes, des investisseurs et de nouveaux habitants vers elle.
 
Rien n’est impossible dans notre pays et les marocains ont démontré qu’ils étaient capables de relever des défis inouïs dans tous les domaines. Les manques qui demeurent en matière de développement, l’extension du rail peut contribuer à les éradiquer.
 
En attendant que cela se réalise, l’ONCF devrait penser différemment ses nouvelles gares et je crois fermement que c’est possible d’y arriver avec l’expérience acquise depuis la LGV et surtout une meilleure intégration des jeunes architectes marocains dans les nouveaux projets.
 
Les compétences locales sont là, dans tous les domaines. Il suffit de faire appel à elles. Alors, place à plus de bons sens de la part de l’ONCF, plus de courage, plus de volonté et moins de « boutiques à slip »…

 
C’est cela les leçons de gare !

 
Rédigé par Rachid Boufous


Lundi 12 Aout 2024

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