Le retour tonitruant et tumultueux de Ssi Benkirane


Il se précise que la politique, tout comme la nature, n’aime pas le vide. Et tout comme la nature, lorsqu’il y a vide, il est aussitôt comblé par quelque chose d’autre, plus vive, plus vivace, plus entreprenante. Or, depuis les élections de 2021, force est de constater qu’un vide s’est solidement installé, et que quelque chose d’autre est en passe de le combler. Et ce quelque chose prend la forme humaine d’Abdelilah Benkirane.



Par Aziz Boucetta

En dehors des ministres de souveraineté, ou régaliens, qui ne parlent pas, ou peu, pour raisons les concernant, les autres ministres sont essentiellement des technocrates, précipitamment repeints aux couleurs qu’ils portent désormais, pour un temps plus ou moins court. Et ils ne parlent pas non plus, sauf pour égrener des chiffres, apporter des précisions, répondre à une quelconque harangue d’un quelconque député, ou gaffer.

Dans ce gouvernement, prospèrent trois chefs de partis, des trois partis de la majorité, en l’occurrence Aziz Akhannouch, Abdellatif Ouahbi et Nizar Baraka. Le premier ne parle guère, le second a appris que le silence est d’or et surtout prudent, et le troisième a toujours été économe de sa parole.

Au final, dans ce gouvernement, nous avons beaucoup de compétences, un zeste de bonne gouvernance, et le silence.

Puis advient la crise ukrainienne, avec des prix de carburants qui tutoient les sommets et rudoient tous les prix. Sous nos cieux, les carburants semblent solidement accrochés aux 15 DH et, bien évidemment, cela se répercutera sur le reste. Mais même cela ne desserre pas les lèvres des membres du gouvernement et de son chef.

Alors Abdelilah Benkirane, en bon sniper, surgit, égal à lui-même, se livrant à son rôle préféré, de pourfendeur des gouvernants et en défenseur des manants. Et aujourd’hui, son rôle est d’autant plus facilité qu’il n’est plus chef du gouvernement ; il peut donc attaquer à plein temps, toute la semaine, week-ends compris.

Et rien, ni personne, ne trouve grâce à ses yeux. De « hmar » (âne) à « bou3ou » (grand méchant loup), les dirigeants politiques en prennent pour leur grade ; les confrères journalistes aussi, comme Rachid Niny, auquel il est reproché d’avoir changé de soutien à tourmenteur du PJD, ce qui devrait être de son droit, lequel lui est dénié par l’ancien chef du gouvernement. M. Benkirane défend la décompensation des hydrocarbures et regrette même de ne pas avoir libéré dans la foulée les prix du sucre, de la farine, du gaz et de tout ce qui est décompensable. Décidément en forme, résolument en verve, le chef du PJD récuse même les augmentations de salaires entérinées lors du dernier dialogue social, ce qui est assez étrange, mais passons…

Là où les choses deviennent gênantes, c’est quand Ssi Benkirane revient sur les élections et, avec ses mots, suggère tout en allusions imagées que le PJD n’aurait pas vraiment pas perdu les élections sans l’existence d’un esprit malin qui aurait favorisé les autres, à son détriment. Or, il n’y a pas eu de fraude, il n’y a plus de fraude électorale dans ce pays… tout juste une « ingénierie électorale », par ailleurs universelle ! Mais puisque son parti a adhéré aux amendements légaux du code électoral et qu’il a présenté des candidats par centaines à ces trois scrutins du 8 septembre, il doit en admettre les résultats, aussi déplaisants fussent-ils. En politique, on ne gagne pas toujours, et quand on perd, il faut savoir être bon perdant, même et surtout si on est bon orateur…

Et bon orateur, Abdelilah Benkirane l’est, incontestablement, et excellent même. Ce qu’il fait aujourd’hui, les millions de vues qu’il engrange sur les réseaux sociaux et le succès et l’audience qu’il y rencontre, c’est dans le mutisme de la majorité et dans l’insignifiance de l’opposition qu’il faut en chercher les origines. Avec Aziz Akhannouch, la politique est devenue moribonde, et il faut bien quelqu’un pour la ranimer, voire la rendre à la vie. L’ancien chef du gouvernement, en « bête politique » qu’il est (c’est une expression, Ssi Benkirane, ne vous énervez pas…) sait frapper où cela fait mal, mais, ne lui en déplaise, il y a des limites à ne pas franchir…

Il serait donc si bon de ne pas verser dans le populisme facile, dans la provocation stérile et surtout dans une vulgarité de mauvais aloi, qui sied si peu à un ancien chef du gouvernement du royaume du Maroc. Pour le reste, que la majorité gère et s’exprime, que l’opposition sorte de sa léthargie, et le discours de M. Benkirane, aussi acerbe soit-il, se banalisera.

Rédigé par Aziz Boucetta sur PanoraPost


Vendredi 27 Mai 2022

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