Par Mustapha Sehimi
L'équipe de Kamala Harris a pris officiellement le relais de la campagne de Joe Biden. Le comité de campagne a changé de nom: fini le "Biden Président", place au "Harris Présidente". Même le slogan de campagnede Brak Obama, premier noir à la Maison Blanche, a été recyclé : Yes, we can est devenu Yes, we Kam. Elle a lancé aux dons en tant que "tête de liste" pour l'investiture du Parti démocrate" Elle a reçu plus de 47 millions de dollars dès la première journée.
Les démocrates ont été pris par surprise par l'abandon de Biden. Le timing en a surpris beaucoup, y compris des membres du Congrès et des grands donateurs. Depuis des mois, l'équipe Trump s'était focalisée sur la vulnérabilité de Joe Biden, avec des moqueries cruelles.
Étouffement " amical…"
Le naufrage du président lors du débat avec Trump, le 27 juin dernier, a rendu son maintien impossible. Deux lapsus lors de la conférence de clôture du sommet de l'Otan à Washington le 2 juillet dont la désignation du président ukrainien Zelenski comme le " président Poutine " et tant d'autres. Plus encore: le diagnostic positif de Covid ces derniers jours avec une quarantaine a amplifié la polémique sur sa santé.
Les appels à la démission se sont multipliés : le New York Times, l'ancienne présidente de la Chambre des représentants Nancy Delosi l'invitant à "réfléchir" pour décider de sa candidature, l'acteur Georges Clooney, donateur de la campagne démocrate : tous l'ont appelé à jeter l'éponge. Une sorte d'étouffement" amical" de divers côtés autour de Joe Biden pour le pousser, malgré son obstination et son orgueil, à passer la main. Une situation devenue intenable pour lui et pénalisante pour le Parti démocrate.
Il était dans le déni à propos de sa santé et de ses capacités cognitives, même si son médecin assurait récemment encore qu'il était "apte" à assurer ses fonctions de Chef d'État. Le désistement s'imposait à l'évidence. Dos au mur. Un combat de trop dans une longue carrière politique de plus d'un demi-siècle...
Aux États-Unis, les réactions couvrent une large palette de positions: Barack Obama salue dans un communiqué la décision de Joe Biden. Il rend hommage à ses qualités de "patriote" qui" n'a jamais reculé devant me combat". Mais il ajoute aussi que " Nous allons naviguer dans des eaux inconnues dans les jours à venir".
Il renouvelle sa "confiance extraordinaire dans la capacité des dirigeants de notre parti à créer un processus qui permettra de désigner un candidat exceptionnel... "il ne mentionne pas cependant le nom de la vice- présidente Kamala Harris... Il est vrai qu'elle n'était pas plus populaire que Joe Biden dans les sondages depuis des mois. C'est qu'elle présente des vulnérabilités. Depuis trois ans, elle a quelque peu peiné à imprimer sa marque au poste de vice- présidente: tant s'en faut. Souvent, ses prises de position étaient jugées "nuageuses".
Mais depuis un an et demi, elle a fait de la lutte pour les droits reproductifs sa cause principale: ceux relatifs à la fécondité (la santé de la reproduction fécondation, grossesse, accouchement...)- et ceux de la non-reproduction tels l'avortement et la stérilité. Sur ce sujet fondamental, depuis la décision de la Cour suprême de retirer ce droit constitutionnel aux femmes américaines, elle est bien mieux placée pour s'engager fortement que Joe Biden, homme et catholique très pratiquant.
Quel colistier ?
Si elle est investie par la Convention démocrate à Chicago dans un mois, le choix de son colistier relève d'une alchimie complexe. D'abord, des calculs électoraux simples: qu'apporte le colistier ? Quel est son ancrage territorial ? Quels segments de population peut-il se préoccuper, quels équilibres: homme- femme, couleur de peau, etc. Sur le papier, le choix de Gretchen Whitmer, gouverneure du Michigan, ne serait pas évident en termes de complémentarité: elle aussi, a fait des droits reproductifs l'une de ses grandes causes.
De même, le gouverneur Gavin Newson vient du même État que Kamala Harris, la Californie, ce qui n'apporte pas une valeur ajoutée. Une option plus avantageuse est celle du gouverneur Josh Shapiro (Pennsylvanie). Il vient d'un État décisif dans cette élection comme d'autres tels le Michigan, le Wisconsin, l'Arizona, la Caroline du Nord, et la Géorgie,des "swing states", au vote indécis qui peuvent changer de camp, d'un scrutin à l'autre, entre les deux partis dominants et faire basculer ainsi le résultat du vote final.
Bill et Hillary Clinton ont eux aussi apporté leur soutien à Kamala Harris. Ils saluent le bilan de Biden et font part de leur inquiétude face à "la menace posée par un second mandat de Trump".
Dans cette même ligne, il faut relever l'appui de Chuck Schumer, chef de la majorité sénatoriale. Pour Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre den représentante, Joe Biden est 1'un des présidents les plus importants de 1'histoire américaine " alors qu'elle a manœuvré pour le pousser à se retirer".
Le New York Times a rapporté vendredi dernier qu’elle aurait confié à des membres de la délégation démocrate de Californie que si Joe Biden mettait fin à sa campagne, elle serait favorable à un processus "compétitif" : celui de primaires ouvertes plutôt qu'une désignation automatique de la vice-présidente Kamala Harris comme nouvelle candidate démocrate à la présidence.
Du côté des candidats à l'élection présidentielle, les réactions sont plus critiques. Ainsi, Robert P. Kennedy, candidat indépendant, a salué la décision de Biden mais en appelant en même temps le Parti Démocrate à tenir un processus "ouvert" pour la sélection d'un nouveau candidat plutôt que de "truquer à nouveau le processus de nomination pour permettre à une vice-présidente impopulaire de prendre la place du président Biden...
S'ils avaient fait cela dès le début, je n'aurais pas eu à quitter le Parti démocrate". Pour Jill Stein, candidate du Parti vert, "Biden a été démis de ses fonctions par les mêmes forces antidémocratiques qui ont truqué la campagne en sa faveur en 2020.
Elles ont sauté les primaires pour l'introniser en 2024. Ne vous y trompez pas: les mêmes élites du Parti démocrate qui l'ont mis au pouvoir le remplaceront par un autre outil favorable à Wall Street et au complexe militaro-industriel". Quant à Chase Oliver, le candidat présidentiel du Parti libertarien, il a fait part de sa " hâte à (se) mesurer à qui remplacera le président Biden comme candidat démocrate.
Ils seront peut-être plus jeunes que Biden, mais leurs politiques continueront à mener l'Amérique dans la mauvaise direction avec plus de déficits, plus d'instabilité et plus de contrôle de l'État sur nos vies".
A 1'international, le Premier ministre britannique, Keir Starmer, "respecte" la décision de Joe Biden, relevant qu'"il aura pris sa décision en fonction de ce qu'il estime être le mieux pour le peuple américain..." Le chancelier allemand, Olaf Scholtz, reprend cette même appréciation en ajoutant: "Grâce à lui, la coopération transatlantique est étroite, 1'0tan est forte et les États-Unis sont pour nous un partenaire efficace et fiable".
Pour Moscou, Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, "la priorité est d'atteindre les objectifs de 1'opération spéciale (en Ukraine), et non pas les résultats des élections américaines." Et d'ajouter que le prochain scrutin présidentiel est" suivi avec intérêt, beaucoup de choses peuvent encore changer" d'ici novembre. La "rhétorique inamicale" de Kamala Harris est également mise à l’index.
De son côté, le Président israélien, Isaac Herzog, a remercié "chaleureusement Joe Biden pour son amitié et son soutien indéfectible au peuple israélien tout au long de sa carrière... Il est le symbole du lien indéfectible qui unit nos deux peuples".
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid