Par Dr Fouad BOUCHAREB
C’est une histoire émouvante qui est arrivée un dimanche d’une journée printanière à Safi. J’avais projeté ce jour de faire une bonne marche. En quittant l’hôpital j’ai très vite atteint Dar Soultane. Cette bâtisse était construite par les Almohades (XII siècle). Elle fut occupée par les Portugais entre 1508 et 1541, les armoiries du roi Emmanuel 1er en témoignant.
Après avoir été reprise par les Saadiens, la citadelle fut dotée de plusieurs canons de fabrications hollandaise et espagnole. Durant le XII siècle, en l'an 1762, le prince alaouite Moulay Hicham, y fit construire sa demeure Palatiale El-Bahia (Qsar el-Bahia) en arabe (قصر الباهية).
Safi, des citadelles et des maîtres potiers
Pendant le protectorat français, la citadelle a servi de bureau pour le contrôleur civil, sous le nom de Bureau arabe. Ce n'est qu'en 1990 que ce site est devenu le musée national de la céramique.
J’empruntais par le boulevard Moulay Youssef en longeant les remparts. Arrivé en bas je m’arrête en face de l’imposant château de mer qui se dresse de façon majestueuse et qui résiste aux vagues de la mer qui érodent continuellement des fondations !
Je fis un détour du coté du mausolée de Cheikh Mohammed Salah (1153-1234). Ce saint soufi organisait déjà à cette époque des expéditions pour le pèlerinage avec un passage obligé par Al Qods. Son Ribat était réputé à l’époque et il avait vraisemblablement créé la première agence de voyage au Maroc et probablement dans le monde. La corniche Amouni offre une vue magnifique sur l’océan Atlantique qui me laissait rêveur et me faisait penser à la première expédition de RAA (راع), un bateau fabriqué en papyrus pour joindre les côtes américaines bien avant Christophe Colomb !
En 1969 puis en 1970, l’explorateur norvégien Thor Heyerdahl choisit Safi et le Maroc comme point de départ pour une expédition pour regagner la Barbade à bord d’un navire en papyrus. Une double mission anthropologique et environnementale à laquelle participera un Marocain ; Madani Ait Ouhanni qui travaillait à l’hôtel Atlantide de Safi.
Je prenais la direction de « Bab Chaaba pour passer à côté de l’église portugaise sise en pleine ancienne médina. La chapelle est tout ce qui reste de la cathédrale portugaise. Elle fut le premier bâtiment gothique d'Afrique. Construite sur une ancienne mosquée Almohade, dont seul le minaret subsista et fut transformé en clocher. C'est le maître Joao Louis qui se chargea de sa réalisation. La cathédrale fut détruite pour ne pas tomber aux mains des musulmans, mais la chapelle subsista ainsi que certaines parties, dont une fut transformée en Hammam.
En quittant Bab Chaaba je retrouve la colline des potiers, un bastion de l’artisanat marocain. C’est un passage obligé ou s’ingénient les maîtres potiers de père en fils à façonner l'argile pour fabriquer de véritables pièces d’art prisées par tout le monde. Je connaissais beaucoup de Maîtres Potiers surtout Moulay Ahmed Serghini qui avait l’amabilité de m’offrir régulièrement des pièces que je garde jalousement chez moi à ce jour, mais aussi Benbrahim et bien d’autres !
Je projetais aussi d'aller faire un tour en voiture pour visiter l’imposante maison du célèbre Caid Aissa Ben omar à une trentaine de kilomètre de la ville.
Il a été le plus célèbre et le plus important des caïds régionaux durant les trente dernières années qui ont précédé la soumission du Maroc au protectorat colonial. Weisgerber l'a décrit disant qu'il avait un visage avenant avec des traits arabes, légèrement brun, entouré d'une courte barbe grise. Il était de taille moyenne, ne présentant aucun signe d'obésité. Il entourait sa tête d'un turban de mousseline blanche et se drapait d'un haïk d'une blancheur immaculée. Il loua ses qualités ainsi : « Il était d'une intelligence étincelante, savant, ferme et précis, chaste, propre… Il était austère en religion et récitait constamment des invocations "dikr". Ses salons ne manquaient jamais de "ouléma"… Il était modeste et affable. »
Pourtant ce caid tant craint a été décrié et dénoncé par Kharboucha, l’une des femmes de son harem. Les AITAS ( chants populaires), rapportant les souffrances et plaintes de Kharboucha représentent un véritable patrimoine culturel marocain.
Salma, la miraculée
Je n’ai pas pu aller à Dar El Caid car le commandant régional de la gendarmerie m’appela pour m’annoncer la survenue d’un accident de la voie publique à la sortie de la ville de Chemaia. Un choc frontal entre deux voitures légères. Les passagers des deux voitures sont tous morts sauf une femme âgée grièvement blessée et une fille âgée d’environ cinq ans miraculeusement indemne.
Je rejoignais l’hôpital pour organiser l’accueil de la blessée.
Le wali me téléphona aussi pour m’informer que l’une des victimes était un médecin privé de la ville de Safi et que seule sa tante était encore en vie et qu’elle était encours de transfert à l’hôpital. Quant aux occupants de l’autre voiture, un jeune couple dont la fillette est indemne, les sapeurs pompiers n’avaient trouvé aucune pièce d’identité sur eux. Certainement ils ont été dépouillés de leurs biens avant l’arrivée des secours.
Les corps ont été déposés à la morgue en attendant de faire les formalités administratives d’usage pour leur transfert. J’avais aussi demandé à l’assistance sociale de s’occuper de la fillette jusqu’à nouvel ordre.
Je n’étais pas au bout de mes peines car j’ai appris que le médecin en question était un ami de longue date et qu’on a même étudié ensemble depuis le primaire ! Cela m’a rendu encore plus triste. Quelques heures après, sa tante succomba à ses blessures. Le bilan final de cet accident était de sept morts et une fillette indemne dont personne ne connaissait jusqu’à présent l’identité de ses parents !
La route RN 9 reliant Marrakech à Safi via Chemaia rectiligne sur de longs kilomètres mais aussi serpentée et vallonnée entre les localités de Jdour et de Sidi Ahmed Tiji comportait plusieurs points kilométriques noirs à cette époque qui occasionnaient beaucoup d’accidents. La récente construction de la voie express Marrakech –Safi a réduit énormément le risque de collusion.
Chaque fois que je demandais des nouvelles de la fillette à l’assistance sociale, elle me répondit les larmes aux yeux d’un ton désespéré qu’elle allait bien mais qu’elle était encore sous le choc et qu’elle n’arrivait pas à prononcer le moindre mot.
Je dissimulais difficilement ma déception et ma tristesse et demandais à l’assistance sociale de bien prendre soin de la fillette et de lui acheter des gâteaux et une poupée.
Deux jours passèrent sans rien de nouveau. Au troisième jour, en rentrant dans mon bureau le matin de bonheur, l'assistance sociale était là à m’attendre. Elle m’annonça avec un soupir de soulagement que la fillette a finalement parlé. Elle s’appelait Salma et a même révélé le nom de son école maternelle à Rabat.
Je saute sur l’annuaire téléphonique à la recherche du numéro de l'école maternelle en question.
La directrice nous dit avoir constaté l’absence de la fillette et croyait qu’elle était juste malade. Elle nous révéla ensuite le nom des parents. J’en ai informé Mr le Wali et Mr le Préfet de police.
Le lendemain les grands-parents de Salma arrivent à Safi. Les deux corps furent transférés à Rabat.
La fillette repartait avec ses grands parents emmenant avec elle sa poupée.
Dr Fouad Bouchareb, Témoin vivant de cette histoire miraculeuse
Après avoir été reprise par les Saadiens, la citadelle fut dotée de plusieurs canons de fabrications hollandaise et espagnole. Durant le XII siècle, en l'an 1762, le prince alaouite Moulay Hicham, y fit construire sa demeure Palatiale El-Bahia (Qsar el-Bahia) en arabe (قصر الباهية).
Safi, des citadelles et des maîtres potiers
Pendant le protectorat français, la citadelle a servi de bureau pour le contrôleur civil, sous le nom de Bureau arabe. Ce n'est qu'en 1990 que ce site est devenu le musée national de la céramique.
J’empruntais par le boulevard Moulay Youssef en longeant les remparts. Arrivé en bas je m’arrête en face de l’imposant château de mer qui se dresse de façon majestueuse et qui résiste aux vagues de la mer qui érodent continuellement des fondations !
Je fis un détour du coté du mausolée de Cheikh Mohammed Salah (1153-1234). Ce saint soufi organisait déjà à cette époque des expéditions pour le pèlerinage avec un passage obligé par Al Qods. Son Ribat était réputé à l’époque et il avait vraisemblablement créé la première agence de voyage au Maroc et probablement dans le monde. La corniche Amouni offre une vue magnifique sur l’océan Atlantique qui me laissait rêveur et me faisait penser à la première expédition de RAA (راع), un bateau fabriqué en papyrus pour joindre les côtes américaines bien avant Christophe Colomb !
En 1969 puis en 1970, l’explorateur norvégien Thor Heyerdahl choisit Safi et le Maroc comme point de départ pour une expédition pour regagner la Barbade à bord d’un navire en papyrus. Une double mission anthropologique et environnementale à laquelle participera un Marocain ; Madani Ait Ouhanni qui travaillait à l’hôtel Atlantide de Safi.
Je prenais la direction de « Bab Chaaba pour passer à côté de l’église portugaise sise en pleine ancienne médina. La chapelle est tout ce qui reste de la cathédrale portugaise. Elle fut le premier bâtiment gothique d'Afrique. Construite sur une ancienne mosquée Almohade, dont seul le minaret subsista et fut transformé en clocher. C'est le maître Joao Louis qui se chargea de sa réalisation. La cathédrale fut détruite pour ne pas tomber aux mains des musulmans, mais la chapelle subsista ainsi que certaines parties, dont une fut transformée en Hammam.
En quittant Bab Chaaba je retrouve la colline des potiers, un bastion de l’artisanat marocain. C’est un passage obligé ou s’ingénient les maîtres potiers de père en fils à façonner l'argile pour fabriquer de véritables pièces d’art prisées par tout le monde. Je connaissais beaucoup de Maîtres Potiers surtout Moulay Ahmed Serghini qui avait l’amabilité de m’offrir régulièrement des pièces que je garde jalousement chez moi à ce jour, mais aussi Benbrahim et bien d’autres !
Je projetais aussi d'aller faire un tour en voiture pour visiter l’imposante maison du célèbre Caid Aissa Ben omar à une trentaine de kilomètre de la ville.
Il a été le plus célèbre et le plus important des caïds régionaux durant les trente dernières années qui ont précédé la soumission du Maroc au protectorat colonial. Weisgerber l'a décrit disant qu'il avait un visage avenant avec des traits arabes, légèrement brun, entouré d'une courte barbe grise. Il était de taille moyenne, ne présentant aucun signe d'obésité. Il entourait sa tête d'un turban de mousseline blanche et se drapait d'un haïk d'une blancheur immaculée. Il loua ses qualités ainsi : « Il était d'une intelligence étincelante, savant, ferme et précis, chaste, propre… Il était austère en religion et récitait constamment des invocations "dikr". Ses salons ne manquaient jamais de "ouléma"… Il était modeste et affable. »
Pourtant ce caid tant craint a été décrié et dénoncé par Kharboucha, l’une des femmes de son harem. Les AITAS ( chants populaires), rapportant les souffrances et plaintes de Kharboucha représentent un véritable patrimoine culturel marocain.
Salma, la miraculée
Je n’ai pas pu aller à Dar El Caid car le commandant régional de la gendarmerie m’appela pour m’annoncer la survenue d’un accident de la voie publique à la sortie de la ville de Chemaia. Un choc frontal entre deux voitures légères. Les passagers des deux voitures sont tous morts sauf une femme âgée grièvement blessée et une fille âgée d’environ cinq ans miraculeusement indemne.
Je rejoignais l’hôpital pour organiser l’accueil de la blessée.
Le wali me téléphona aussi pour m’informer que l’une des victimes était un médecin privé de la ville de Safi et que seule sa tante était encore en vie et qu’elle était encours de transfert à l’hôpital. Quant aux occupants de l’autre voiture, un jeune couple dont la fillette est indemne, les sapeurs pompiers n’avaient trouvé aucune pièce d’identité sur eux. Certainement ils ont été dépouillés de leurs biens avant l’arrivée des secours.
Les corps ont été déposés à la morgue en attendant de faire les formalités administratives d’usage pour leur transfert. J’avais aussi demandé à l’assistance sociale de s’occuper de la fillette jusqu’à nouvel ordre.
Je n’étais pas au bout de mes peines car j’ai appris que le médecin en question était un ami de longue date et qu’on a même étudié ensemble depuis le primaire ! Cela m’a rendu encore plus triste. Quelques heures après, sa tante succomba à ses blessures. Le bilan final de cet accident était de sept morts et une fillette indemne dont personne ne connaissait jusqu’à présent l’identité de ses parents !
La route RN 9 reliant Marrakech à Safi via Chemaia rectiligne sur de longs kilomètres mais aussi serpentée et vallonnée entre les localités de Jdour et de Sidi Ahmed Tiji comportait plusieurs points kilométriques noirs à cette époque qui occasionnaient beaucoup d’accidents. La récente construction de la voie express Marrakech –Safi a réduit énormément le risque de collusion.
Chaque fois que je demandais des nouvelles de la fillette à l’assistance sociale, elle me répondit les larmes aux yeux d’un ton désespéré qu’elle allait bien mais qu’elle était encore sous le choc et qu’elle n’arrivait pas à prononcer le moindre mot.
Je dissimulais difficilement ma déception et ma tristesse et demandais à l’assistance sociale de bien prendre soin de la fillette et de lui acheter des gâteaux et une poupée.
Deux jours passèrent sans rien de nouveau. Au troisième jour, en rentrant dans mon bureau le matin de bonheur, l'assistance sociale était là à m’attendre. Elle m’annonça avec un soupir de soulagement que la fillette a finalement parlé. Elle s’appelait Salma et a même révélé le nom de son école maternelle à Rabat.
Je saute sur l’annuaire téléphonique à la recherche du numéro de l'école maternelle en question.
La directrice nous dit avoir constaté l’absence de la fillette et croyait qu’elle était juste malade. Elle nous révéla ensuite le nom des parents. J’en ai informé Mr le Wali et Mr le Préfet de police.
Le lendemain les grands-parents de Salma arrivent à Safi. Les deux corps furent transférés à Rabat.
La fillette repartait avec ses grands parents emmenant avec elle sa poupée.
Dr Fouad Bouchareb, Témoin vivant de cette histoire miraculeuse