Le grand pari politique de Macron


Le Rassemblement national, parti d'extrême droite, devrait remporter les élections anticipées en France, mais n'obtiendrait pas la majorité absolue dans le premier sondage d'opinion publié après la décision choc du président Emmanuel Macron de dissoudre le parlement.



Par Dr Mohamed Chtatou

Défaite massive du parti Renaissance (RE)
 
À la suite de la défaite massive de son parti Renaissance aux élections européennes de dimanche 9 juin, M. Macron a annoncé des élections anticipées pour la chambre basse du Parlement. Le premier tour est prévu pour le 30 juin, et le second pour le 7 juillet.
 
Le parti anti-immigration et eurosceptique de Marine Le Pen, le Rassemblement national (RN), obtiendrait entre 235 et 265 sièges à l'Assemblée nationale, un bond considérable par rapport à ses 88 sièges actuels, mais en deçà des 289 sièges nécessaires pour obtenir la majorité absolue, selon le sondage réalisé par Toluna Harris Interactive pour Challenges, M6 et RTL.
L'alliance centriste de M. Macron pourrait voir son nombre de législateurs diminuer de moitié, passant de 250 à 125-155, selon le même sondage. Les partis de gauche pourraient contrôler ensemble 115 à 145 sièges, bien que chaque parti puisse se présenter seul.
 
Il n'est pas certain que le RN dirige le gouvernement, avec ou sans alliance avec d'autres partis. D'autres scénarios prévoient une large coalition de partis traditionnels ou un parlement sans majorité.
 
Mais la décision choc de M. Macron offre à l'extrême droite, de plus en plus populaire, une véritable chance d'accéder au pouvoir. Cette décision, qui équivaut à un coup de dés sur son avenir politique, a immédiatement fait chuter l'euro, tandis que les actions et les obligations d'État françaises s'effondraient. Le RN a obtenu 31,37 % des voix au Parlement européen, contre 14,6 % pour la coalition des partis de la Renaissance.
 
Même si le RN obtient la majorité au Parlement français, Macron restera président pendant trois années supplémentaires et sera toujours en charge de la défense et de la politique étrangère.
 
Mais il perdrait le contrôle de l'agenda national, notamment la politique économique, la sécurité, l'immigration et les finances, ce qui aurait un impact sur d'autres politiques, telles que l'aide à l'Ukraine, puisqu'il aurait besoin du soutien du Parlement pour financer toute aide dans le cadre du budget de la France.
 
‘’Nous sommes encore sous le choc’’, a déclaré à Reuters Emmanuel Pellerin, un législateur du parti Renaissance de M. Macron. "Tout porte à croire que le RN obtiendra une majorité relative ou absolue. Mais cela oblige les Français à réfléchir aux enjeux."
 
Dans ce contexte, les partis politiques se sont empressés de présenter des candidats et de discuter d'éventuelles alliances.
Macron et sa survie politique
 
Pour rafraîchir les mémoires : En janvier 2013, M. Cameron a promis aux électeurs que s'ils ramenaient les conservateurs au pouvoir, il leur proposerait un référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne. Il a perdu le référendum pour de nombreuses raisons, notamment parce qu'il n'a pas réussi à convaincre les fidèles de son propre parti et qu'il a sous-estimé la capacité de la campagne « Brexit » à mobiliser ses partisans.
 
M. Cameron était prêt à prendre un pari politique à long terme très risqué, qui allait façonner la nature même de son pays et de l'Union européenne, pour réaliser ce qu'il avait conclu être une nécessité politique à court terme. Macron fait de même aujourd'hui.
 
Le président français semble parier sur l'une des deux issues possibles :
 
- Pour M. Macron, le meilleur résultat serait que les électeurs des élections anticipées reviennent sur leur vote de dimanche dernier, qui a donné au Rassemblement national d'extrême droite de Marine Le Pen 31,37 % des voix, soit plus du double de la part des électeurs ayant voté pour le parti de M. Macron (14,6 %). 
- Il s'agit également de l'issue la moins probable. Les partisans de M. Macron considèrent qu'une victoire au premier tour, le 30 juin, ou au second tour, le 7 juillet, est incertaine. M. Macron est impopulaire, le taux de chômage en France est élevé, les préoccupations liées à l'immigration ont incité de nombreux citoyens à soutenir les partis d'opposition, et le fossé entre les électeurs et les dirigeants politiques français se creuse de plus en plus.
 
L'issue la plus probable est que, jusqu'à la fin de son mandat présidentiel, qui court jusqu'en 2027, Macron devra gouverner avec un Premier ministre du Rassemblement national, dans ce que les Français appellent la « cohabitation ». Bien qu'il soit peu probable que le Rassemblement national remporte la majorité absolue des 577 sièges de l'Assemblée nationale, il est fort probable qu'il devienne le parti le plus puissant.

Mme Le Pen, qui ambitionne de succéder à M. Macron à la présidence en 2027, proposerait comme premier ministre son protégé, Jordan Bardella, âgé de vingt-huit ans. Bardella, fils populaire d'un immigré italien, a mené la campagne au Parlement européen et a rallié le vote anti-immigrés avec le slogan « La France disparaît ».
 
Roger Cohen écrit dans une analyse incontournable du New York Times : « La France serait alors confrontée à la consécration par de hautes fonctions politiques de l'extrême droite, une idée impensable depuis que le gouvernement de Vichy a gouverné la France en collaboration avec les nazis entre 1940 et 1944. »
 
Pourquoi Macron est-il prêt à jeter les dés sur l'avenir de la France de cette manière, en choquant le pays, son marché boursier, les médias français et son propre parti, six semaines seulement avant que Paris n'accueille les Jeux olympiques ? M. Cohen a cité la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui s'est dite « stupéfaite » par cette décision « déstabilisante ».
 
M. Macron fait le pari que le Rassemblement national obtiendra de si mauvais résultats au cours des trois prochaines années que les électeurs rejetteront toute idée de voir Marine Le Pen à la présidence en 2027. Les électeurs français pourraient alors mettre un terme à l'idée que l'extrême droite peut diriger la France. (Le mandat de Macron lui-même est limité et il ne pourra pas se présenter). 
 
Le président français Emmanuel Macron a décidé de ne pas se laisser abattre et d'organiser des élections anticipées qui devraient permettre à l'extrême droite de remporter des victoires importantes. Mais cela pourrait aussi décourager Mme Le Pen, qui vise un objectif plus important : la présidence en 2027.
 
Jupiter ne sera pas éclipsé
 
Jupiter ne sera pas éclipsé. Et certainement pas par son ennemi juré : le visage de l'extrême droite française, Marine Le Pen.
Le président français Emmanuel Macron a décidé de ne pas se laisser abattre et d'organiser des élections anticipées qui devraient permettre à l'extrême droite de remporter des victoires importantes. Mais cela pourrait aussi décourager Mme Le Pen, qui vise un objectif plus important : la présidence en 2027.
 
C'est le pari audacieux que fait le président français après la victoire spectaculaire du Rassemblement national dimanche soir. Le parti d'extrême droite et anti-migration qui a remporté les élections européennes en France avec 31,37 % des voix, soit plus de deux fois plus que le parti libéral centriste du président.
 
Depuis des semaines, le Rassemblement national clame haut et fort qu'il est « prêt à gouverner » et qu'il souhaite la dissolution de l'Assemblée nationale si la liste présidentielle perd les élections. Le candidat principal du Rassemblement national, Jordan Bardella, 28 ans, a même proposé d'être le premier ministre de M. Macron s'il obtenait la majorité au parlement.
Aujourd'hui, M. Macron a écourté son tour de piste victorieux lors des élections européennes en offrant la possibilité de concrétiser leurs désirs, en faisant le calcul à haut risque qu'une élection législative dans deux semaines pourrait faire baisser la vague d'extrême-droite en France.
 
À aucun moment de l'histoire, le Rassemblement national n'a semblé aussi proche du pouvoir, avec plus d'eurodéputés et de députés que jamais, et des sondages d'opinion montrant que le soutien à l'extrême droite française progresse dans de nouvelles catégories d'électeurs. Tous les regards se tournent vers Mme Le Pen pour savoir si elle peut renverser son rôle d'éternelle deuxième aux élections présidentielles françaises et l'emporter en 2027.
 
L'idée d'une présence de Mme Le Pen à l'Élysée suscite l'horreur à Bruxelles, où l'on considère que l'évolution de la France vers l'extrême droite pose des problèmes existentiels à l'Union européenne. Si Mme Le Pen a adouci son image et atténué sa rhétorique incendiaire et eurosceptique, son parti reste en marge de la politique sur un certain nombre de questions. Le Rassemblement national s'est abstenu à plusieurs reprises de voter sur l'aide à l'Ukraine, souhaite quitter le commandement intégré de l'OTAN et s'oppose à de nombreuses mesures législatives de l'UE qui ont fait date ces dernières années.
 
Dimanche, elle a adopté un ton populiste et patriotique et a délivré un message contre l'internationalisme de Bruxelles, affirmant qu'elle voulait « mettre fin à cette douloureuse époque du mondialisme ».
 
M. Macron aurait pu réagir de plusieurs manières à l'humiliation subie dimanche 9 juin lors des élections européennes. Ses options allaient du durcissement des politiques d'immigration au remaniement de son gouvernement.
Il a peut-être choisi la voie la plus risquée. « La montée des nationalistes, des démagogues, est un danger pour notre nation », a déclaré M. Macron dimanche. "Et aussi pour l'Europe, pour la position de la France en Europe et dans le monde.’’ Il s'est présenté comme un leader répondant aux exigences de son époque, plutôt que d'être la victime de l'histoire.
 
Le temps déterminera si la réponse de Macron cette semaine est visionnaire ou imprudente. S'il est une leçon à tirer de l'expérience Cameron, c'est que le joueur n'a qu'un contrôle limité sur le résultat.
 
Macron et l'imbroglio européen
 
Les résultats des élections européennes de la semaine dernière sont mitigés. Le Parti populaire européen et les sociaux-démocrates, qui sont traditionnellement les plus grands partis d'Europe, ont conservé leur première et deuxième places respectives au Parlement européen.

Dans le même temps, Renouveau européen (le parti des libéraux) et les Verts ont tous deux enregistré des pertes substantielles. Le groupe d'extrême droite, Identité et Démocratie, a gagné 9 sièges par rapport aux élections européennes de 2019, mais c'est très loin de changer la donne. Il y a 53 nouveaux membres élus qui doivent encore déclarer quel groupe (le cas échéant) ils souhaitent rejoindre, et d'autres changements pourraient se produire entre d'autres groupes plus petits. Dans l'ensemble, il y a eu un léger glissement vers la droite, mais les perspectives du Parlement européen n'ont pas changé de manière significative.
 
Si la crainte de voir l'extrême droite progresser de manière significative au sein de l'Union européenne ne s'est pas concrétisée, le paysage politique de l'UE a néanmoins changé en raison des événements survenus en Allemagne et en France.
 
En Allemagne, le parti social-démocrate (SDP) de centre-gauche d'Olaf Scholz a subi une lourde défaite, arrivant en troisième position derrière les chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), un parti d'extrême droite. Ce vote pourrait être le signe d'un manque de confiance de l'électorat envers le SDP de Scholz et pourrait sérieusement affaiblir le gouvernement pour le reste de son mandat. Dans le contexte de l'UE, le gouvernement actuel ne sera pas en mesure de défendre ses positions à moins qu'elles ne soient larges et non partisanes.

Ce qui est important, c'est que ces résultats électoraux nous montrent que 35 ans après la réunification, l'Allemagne fonctionne toujours comme s'il s'agissait de deux pays différents. L'Ouest a voté pour la CDU/CSU et l'Est a voté pour l'AfD, un parti d'extrême droite. L'incapacité de parvenir à une cohésion interne, malgré des politiques dédiées, n'est pas un signe encourageant pour la cohésion européenne.
 
La décision du président Emmanuel Macron d'organiser des élections anticipées en France est le véritable choc qui a suivi les élections européennes. Après que sa coalition soit arrivée en deuxième position, avec moins de la moitié des voix du parti d'extrême droite français, le Rassemblement national (RN), la France organisera des élections législatives nationales à la fin du mois de juin. 
 
La victoire du RN, parti d'extrême droite, pourrait bien se répéter au début du mois de juillet. Le chef du RN, Jordan Bardella, deviendrait le plus jeune premier ministre de France (à 28 ans), ce qui le mettrait en cohabitation avec le président Macron. Le président Macron pourrait choisir de démissionner, ne souhaitant pas cogouverner avec l'extrême-droite, ou rester en cohabitation. Il faudra surveiller les agences de notation. Les obligations souveraines françaises ont été dégradées il y a quelques jours à cause de la dette fiscale. Les agences de notation tenteront d'imposer une discipline à la France, ce qui donnera à réfléchir à tout dirigeant qui estime avoir la liberté de dépenser sur la base d'un vote populaire. 
 
Avec le résultat des élections européennes en France (31,37 % pour le RN contre 14,6 % pour la coalition de Macron), la confiance dans la coalition gouvernementale est sérieusement compromise. Mais pourquoi convoquer des élections législatives si rapidement ? Le pari est que davantage de personnes iront voter et, choquées par la perspective d'un premier ministre d'extrême droite, voteront plus "prudemment". Une chose est sûre : le président Macron est désespéré et, dans cette partie de poker, il a jeté toutes les cartes sur la table. L'attaque est désormais sa meilleure défense.
 
Malgré le résultat plus ou moins stable pour le Parlement européen, ces élections démontrent une fois de plus qu'il n'y a pas d'histoire unique dans l'UE. Les élections se jouent, se gagnent et se perdent sur des questions nationales qui peuvent, en fin de compte, faire déraper l'UE. 
 
Si le président Macron perd son pari électoral, l'extrême droite française pourrait tenter d'affaiblir l'UE et de saper sa position mondiale depuis l'intérieur du bloc. L'Allemagne, où le gouvernement a également été affaibli, pourrait ne pas être en mesure d'unir tout le monde derrière ses positions pour repousser l'extrême droite. En revanche, si le président Macron remporte la mise, il continuera à faire évoluer les positions tant en France qu'à Bruxelles. 
 
Le résultat des élections législatives françaises est crucial, en particulier à un moment où l'UE est susceptible de poursuivre des politiques industrielles pour faire face aux défis mondiaux provenant à la fois des États-Unis et de la Chine. Ce qui n'est pas clair, c'est si ces politiques serviront les intérêts français au détriment du marché unique de l'UE et, en fin de compte, du consommateur européen. 
 
Le résultat le moins controversé des élections européennes pourrait être la reconduction d'Ursula Von der Leyen à la présidence de la Commission européenne. Les chiffres étant en sa faveur, et Paris et Berlin étant distraits par leurs propres problèmes internes, sa reconduction pourrait être plus certaine qu'on ne le pensait

​Mot de fin

Les élections européennes sont censées être des exercices valables mais ennuyeux de constitution de coalitions centristes. Ce n'est pas le cas cette fois-ci.

La montée du populisme d'extrême droite en France a poussé le président Emmanuel Macron à convoquer une élection nationale à haut risque qui pourrait déterminer l'avenir non seulement de son pays, mais aussi de l'Union européenne elle-même.
Sur l'ensemble du continent, les partis de centre-droit et d'extrême-droite ont passé une bonne soirée, bien que peu spectaculaire, tandis que les libéraux et surtout les verts ont connu une soirée terrible.  


Vous pouvez suivre le Professeur Mohamed Chtatou sur X : @Ayurinu


Vendredi 14 Juin 2024

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