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Le grand cirque


Ni l’humour espiègle d’un vaudeville, ni le burlesque interactif de la commedia dell’arte, mais du grotesque brut : Un président reconduit, sans surprise, mais à un taux record de parti unique quand celui-ci était en vogue dans les pays du tiers-monde ; des taux de participation au scrutin qui passent en moins de trois heures du simple au double ; les représentants des candidats, le gagnant comme les perdants - pourtant là que pour servir de faire valoir à l’heureux élu de l’armée - qui contestent dans un communiqué commun les chiffres fournis par la commission dite indépendante en charge des élections, c’est tellement improbable que l’on se dit que même si l’armée algérienne avait voulu le faire exprès, elle n’aurait pas aussi bien réussi. Et pourtant, c’est peut-être bien ce qui s’est passé.



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Par Naim Kamal

Depuis que le clan d’Oujda mené par Houari Boumediene, s’est saisi du pouvoir à la suite de deux coups d’Etat successifs, l’un contre le gouvernement provisoire, l’autre contre Ahmed Ben Bella, l’armée algérienne ne s’est jamais encombrée des apparences pour raffermir sa poigne de fer sur le pays. 

 

Une nouvelle hiérarchie militaire particulièrement violente

 

Si l’ANP, portée par la guerre de libération et le tiers-mondisme ambiant, réussit à faire illusion, elle va dès 1988, avec les émeutes du 5 octobre, connaître sa première secousse, causant 500 morts et opérant quelque 15.000 arrestations. Ce séisme a-t-il été le produit de luttes intestines comme beaucoup l’ont supposé ? Le doute est permis. Toujours est-il qu’il fait émerger une nouvelle hiérarchie militaire derrière le général Khaled Nezzar, qui devient chef d’état-major en novembre de la même année.

 

Autour de lui va se constituer un conglomérat de futurs généraux particulièrement brutaux qui, sans tarder, vont plonger le pays dans une longue guerre civile de dix ans au prix de plus de 200.000 morts. 

 

Pendant que le colonel Chadli Benjedid, placé par l’armée à la tête de l’Etat en 1979, sous prétexte qu’il était le plus ancien dans le grade le plus élevé, tentait de sortir le pays du parti unique en bricolant un multipartisme de façade, quitte à composer avec les islamistes du Front Islamique du Salut (FIS), la hiérarchie militaire cette fois-ci publiquement menée par Nezzar improvise son coup d’Etat contre les urnes qui avait donné la majorité au FIS dans les législatives de décembre 1991, annule le deuxième tour prévu pour janvier 1992 et exige du président Chadli Benjedid sa démission sous les yeux d’une opinion publique nationale et internationale effarée. 

 

Les nouveaux dieux de l’Algérie (rbouba, c’est ainsi que les Algériens vont les surnommer), mettent en place un Haut Comité d’Etat composé de cinq personnalités du pouvoir et, pour habiller des oripeaux de la légitimité son opération, sort de son exile marocain un historique du FLN, Mohammed Boudiaf, pour prendre la tête du Haut comité, qu’elle n’hésitera pas après six mois, sans aucune gêne, à exécuter publiquement à Annaba parce que réfractaire à ses manipulations.

 

Du « haut voltige »…

 

Peu importe que le pays plonge ainsi, sans états d’âme, dans une spirale de violence sans précédent depuis son indépendance, et compromettre pour longtemps son développement, des thuriféraires du régime n’éprouveront aucun mal à voir dans ce coup de force du haut voltige politique. Peut-être, mais alors sans filets. 

 

Un président « élu » prendra le relais en 1995 du Haut Comité d’Etat, un général en costume veste croisé pour ne rien changer, Lamine Zeroual, avant que l’armée ne jette son dévolu en 1999 sur un civil, prétendument ancien colonel de l’armée de libération, mais un homme du sérail qui a connu sa traversée du désert après le décès de son parrain, Houari Boumediene : Abdelaziz Bouteflika. Lui aussi, comme d’autres orphelins de Boumediene, avait fait son com back à la faveur des émeutes de 1988, au congrès du « ressourcement » organisé la même année par le FLN. Contre toute attente de la hiérarchie militaire usée par dix ans de tueries, il réussit à donner du fil à retordre aux généraux. 

 

Avant même la fin de son premier mandat, en 2004, le président Bouteflika qui défie l’armée dans une déclaration à la presse de pouvoir l’écarter, proclamant qu’il ne sera pas « trois quarts d’un président », réussit à se défaire du puissant chef d’état-major, le général Lammari, l’un de la troïka galonnée qui a renversé les urnes en 1992, avec le général Mohamed Lamine Mediène dit Toufik, pendant 25 ans patron omnipuissant du DRS qui regroupait la sécurité intérieure et extérieure, et l’incontournable Khaled Nezzar auquel il a succédé. 

 

Bouteflika le remplace par celui qui finira par le déposer 15 ans plus tard, Gaïd Saleh, général sensé être effacé. En 2015, le duo Bouteflika-Gaïd réussit tout de même à écarter le faiseur de rois, le général Toufik. 

 


Le théâtre des ombres

 

Pendant les quatre ans qui suivent, l’Algérie se transforme en théâtre des ombres au sein de l’armée. Des officiers supérieurs sont emprisonnés sous différents prétextes, d’autres sont limogés des commandements des régions sans que l’on puisse en décerner les contours et les raisons. Ce ballet des Bolchoï en brodequins débouche sur l’appétence de Bouteflika pour un cinquième mandat, une envie de trop qui déclenche la contestation populaire, un Hirak jeune et joyeux qui fait espérer une autre Algérie.

 

Le mouvement finit en queue de poisson sur l’élection de Abdelmadjid Tebboune parrainé par le général Gaïd Saleh dans les conditions que l’on sait, avec pour maigre consolation la destitution du moribond Abdelaziz Bouteflika. Dans les rangs de la jeunesse algérienne c’est le désenchantement. L’histoire du Hirak béni, pour utiliser une expression chère à l’actuel président, reste à écrire et ses secrets à découvrir. Mais ce qui est bien connu, c’est que comme par miracle, Gaïd Saleh décède quatre jours après l’investiture du nouveau « chef d’Etat ».

 

Mon général !

 

Celui qui lui succède à la tête l’état-major de l’armée nationale populaire, le général Saïd Chengriha, n’est pas particulièrement un ami du général défunt. Il est plutôt celui d’un autre général qui croupit en prison, le général Toufik qu’il s’empresse de libérer en même temps que pouvait rentrer de son exil espagnol un autre général « janviériste », c’est ainsi que sont désigné les auteurs du putsch de janvier 1992, Khaled Nezzar. 

 

Plus jamais on ne verra le nouveau président de la république sans que ne voit collé à ses baskets le nouvel homme fort de l’Algérie dont les faits d’armes se limitent à l’outrance dans la répression sans merci des islamistes et des non islamistes. Un titre de gloire qu’il partage à parité avec son compère Toufik. 
 

Cette armée aux étranges soubresauts, survivant sans cesse à ses démons, qui tente depuis la destitution de Bouteflika de refaire son unité, n’a aucune envie de revivre avec M. Tebboune ce qu’elle a vécu avec son prédécesseur. Elle connait ses propensions mégalomaniaques qui ne se limitent pas aux expressions d’un nationalisme débridé et ne veut pas le croiser dans son espace réservé, le pouvoir, tout le pouvoir. Surtout, Saïd Chengriha n’oublie pas que son actuel « protégé » a été le poulain de son frère-ennemi Gaïd Saleh. Dès lors, serait-ce une vue de l’esprit, au vu de l’historique de cette armée populaire peu réputée pour faire dans la finesse, de voir dans le grand cirque qui a accompagné la réélection de Abdelmadjid Tebboune, un acte délibéré, savamment orchestré, pour saloper et miner son nouveau mandat et tuer dans l’œuf toute velléité de se défaire de la tutelle de celui que le président, tout président qu’il est, n’a aucune réticence pour l’instant à appeler « mon général » ? La question mérite d’être posée.



Rédigé par Naim Kamal sur Quid 




Vendredi 13 Septembre 2024


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