Par Mustapha Sehimi
Et maintenant? Tout est donc en place: un nouveau cabinet dirigé par Aziz Akhannouch; des orientations royales données dans le discours devant le Parlement le vendredi 8 octobre dernier. L'on en saura sans doute plus dans les jours à venir avec la présentation du programme gouvernemental devant les deux chambres du Parlement ainsi qu’avec celle du projet de loi de finances pour 2021.
Cela dit, quel est l'état des lieux à propos de cette nouvelle équipe? Quels atouts a-t-elle en mains? Comment va-t-elle s'atteler à la tâche? Sur sa composition, il y aurait évidemment beaucoup à dire. Son format a été resserré autour de trois partis seulement, arrivés en tête aux scrutins du 8 septembre dernier puis le 5 octobre, à savoir le RNI, le PAM et le PI. Il y avait là un souci de cohésion, laquelle a tant manqué dans le cabinet sortant d'El Othmani. Un accord s'est fait entre ces trois composantes lors des consultations précédant la nomination du nouveau chef de gouvernement.
Le programme électoral du RNI va-t-il finir par prévaloir? En tout cas, une convergence d'approches a pu se faire. Elle devra se prolonger à un autre niveau: celui de la gouvernance. Ainsi une charte de la majorité a été finalisée pour consacrer des principes tels ceux de la coordination, de la consultation et de la solidarité. Ce cabinet a tenu, par ailleurs, à se distinguer par plusieurs faits: un renouvellement du personnel gouvernemental avec pas moins de seize ministres, soit les deux tiers de l’ensemble du cabinet; une recherche, aussi, de compétences éprouvées dans leurs responsabilités précédentes; une féminisation encore, avec sept femmes à des postes de premier plan, tournant pratiquement le dos à une sorte d'assignation qui les cantonnait auparavant à certains secteurs.
D’autres interrogations sont à formuler. L'une de principe: les nouveaux nommés précédent-ils d’un parcours partisan ou relèvent-ils d’une comptabilité particulière? Formellement, l’on a affaire à un exécutif politique avec une majorité de soutien de trois partis. Ainsi, deux responsables de formations partisanes en font partie, en l’occurrence Nizar Baraka (PI) et Abdellatif Ouahbi (PAM). Le dirigeant istiqlalien dont le parti était dans l’opposition depuis juillet 2018 était annoncé dans ce nouveau cabinet– il a aussi une vocation gouvernementale depuis des décennies.
Quant au responsable du parti du tracteur, sa participation était moins prévisible en tout cas avant le 8 septembre dernier, compte tenu de ses prises de position peu amènes tant à l'endroit de Aziz Akhannouch, président du RNI, que de ce même parti... Pour ce qui est des nouveaux ministres, la teneur de leur engagement partisan reste bien relative pour la majorité d'entre eux. Ce qui a en effet primé, c'est autre chose: plutôt leur cursus dans un cadre professionnel que leur militantisme de terrain. Il s'ensuit cette conclusion: le primat d'une certaine technocratie en lieu et place de paramètres militants et partisans. Faut-il s'en étonner? Pas vraiment dans la mesure où cette tendance lourde était déjà bien établie depuis des décennies: elle avait vu des "technocrates" parrainés d'une couleur partisane pour leur entrée dans tel ou tel gouvernement.
C'est que les tâches de ce gouvernement commandent davantage de management, d'expertise –une culture gestionnaire d'efficience mais aussi fortement réformatrice. C'est tout à fait dans ce sens que le Souverain, devant le Parlement, a tenu à souligner les trois axes devant être les lignes de l'action du nouveau gouvernement. Le premier intéresse "la défense impérieuse des intérêts supérieurs du Maroc". Ce qui implique la préservation et la consolidation de la souveraineté dans ses multiples aspects (sanitaire, agricole et alimentaire, énergie, industrie...). Dans ce sens, le Souverain a annoncé la prochaine création d'un "dispositif national intégré qui aura pour objet d'assurer la réserve stratégique de produits de première nécessité". Le deuxième volet est relatif à la gestion de la crise pandémique et à la relance économique. Face à celle-là, l'Etat a fait son devoir. Quant à celle-ci, le Souverain a souligné que les indicateurs étaient positifs, traduisant ainsi la capacité de résilience de l'économie qui va enregistrer 5,5% de croissance pour l'année en cours.
Un démenti à un certain discours mâtinés de pessimisme, voire de négativisme. Autant d'éléments de nature à aider à conforter et à consolider la confiance tant des citoyens que des opérateurs économiques nationaux et étrangers. C'est précisément dans cette même ligne que le Roi a instamment appelé le gouvernement à implémenter le nouveau modèle de développement. Ce cadre de référence doit être la feuille de route devant impulser les politiques publiques. Le nouvel Exécutif doit se garder d'en faire une lecture et une traduction par trop réductrices s’apparentant à une sorte de catalogues de mesures et de réformes: tant s'en faut. Il s’agit, dans l'esprit du Souverain, d’une nouvelle génération de projets et de réformes intégrés –une "dynamique volontariste". Une ambition aussi qui va aussi se décliner autour d'un "Pacte national pour le développement" proposé dans le rapport de la commission du NMD de Chakib Benmoussa. Ce pacte sera en même temps le levier et le vecteur d'insertion des politiques publiques.
Le Souverain a rappelé à cet égard que ce Pacte symbolise un "engagement souscrit envers Notre Majesté et à l'égard des Marocains". Il a également prescrit au nouveau gouvernement le parachèvement des grands chantiers en cours: généralisation de la protection sociale, mise à niveau du système de santé, réforme des entreprises et des établissements publics, réforme fiscale, charte d'investissement.
D'ores et déjà, le gouvernement se voit ainsi assigné un cahier de charges élargi à la nécessité de donner "plus de cohérence, de complémentarité et d'harmonie entre les politiques publiques". Le HCP sera réarticulé avec des missions plus larges: celles de la coordination stratégique des politiques de développement et d'accompagnement de la mise en œuvre du modèle de développement. Le cabinet Akhannouch a ainsi une obligation de résultats. A lui de mobiliser les moyens et les ressources d'y arriver et d'atteindre les objectifs qu'il se fixera dans son programme.
Sa gestion réformatrice ne doit pas prendre l'allure "technocratique" que la majorité des profils de ses membres pourrait être tentée de prendre par inclination personnelle. Il doit en effet donner visibilité et lisibilité à ce qu'il se propose d'entreprendre. Il doit pouvoir mettre en exergue la nécessaire mise en perspective de son programme, les priorités et les séquences durant la législature allant jusqu'à 2026. Des signes forts seront nécessaires dès les premiers mois, à tout le moins les premières semaines. La loi de finances 2022 sera un test significatif de cette nouvelle approche de sa gouvernance.
Pouvoir porter les réformes, arriver à les incarner: voilà le grand challenge pour entraîner l'adhésion et le soutien nécessaires. Une longue marche entreprise avec responsabilité. Réalisme. Et engagement.
Par Mustapha Sehimi sur https://le360.ma