Le contrôle de gestion dans le secteur public marocain : mythe ou réalité ?


​[1] Absence d’une vision stratégique à la base de la conception d’un système de contrôle de gestion efficace ;
[2] Des outils inadaptés aux spécificités du contexte du secteur public ;
[3] Une culture administrative qui interprète le contrôle de gestion principalement comme un moyen de sanction, plutôt que comme un système destiné au pilotage de la performance et d’aide à la décision ;
[4] Le contrôle de gestion public au cœur deux logiques contradictoires : la logique politique versus la logique gestionnaire des acteurs publics.



Par M. EL HAOUARY Ouadie, Ph.D en Science de Gestion.

Avec l’évolution des modèles de gestion des deniers publics, les organisations du secteur public sont appelées à évoluer leurs pratiques de gestion en l’occurrence leur système de contrôle de gestion. Cette tendance s’inscrit dans le cadre du courant du New Public Management dont l’idée de base est que les méthodes de management du secteur privé peuvent être transposées au secteur public pour améliorer son efficacité et sa performance.

Le secteur public est jugé excessivement bureaucratique, rigide, coûteux, non innovant et ayant une hiérarchie trop centralisée. Pour le perfectionner, il est nécessaire d’accroître les marges de manœuvre des gestionnaires pour leur permettre de mieux répondre aux attentes des citoyens au moindre coût.

L’orientation de ce courant est illustrée en pratique par l’introduction progressive des nouvelles fonctions comme celles de l’audit et de contrôle de gestion.

Ces mutations touchent ainsi l’ensemble du secteur public, quelle que soit la nature des organisations qui le compose (entreprises publiques, établissements publics, collectivités locales, etc.).

A l’image des administrations des pays développés, les administrations publiques marocaines se sont lancées dans un long processus de restructuration et de gestion axée sur les résultats.

En effet, comme Sa Majesté le Roi Mohamed VI que dieu l’assiste indique dans son discours royal du 9 décembre 2002, que le Maroc veut en faire un secteur moderne « imprégné de la culture et de la pratique de la concertation et de la contractualisation, et ce en arrêtant des objectifs, des programmes et des plans, et en mobilisant les moyens de leur mise en œuvre commune ».

A cet égard, et en vue de concrétiser les orientations royales, plusieurs réformes ont été faites en particulier la promulgation de la loi 69.00 en 2004 qui reconnaît l’importance du contrôle de gestion comme outil indispensable pour accompagner les réformes budgétaires, notamment le passage de la logique basée sur les moyens à celle axée sur le résultat ; la loi organique 130-13 relative à la loi de finances qui a entré en vigueur en 2018, portant sur la programmation triennale du budget par programme ainsi que le décret n°2-22- 580 du 03 mars 2023 relatif à la mise en place du dispositif de  contrôle de gestion au sein des départements ministériels.

Pour se préparer à ce grand chantier de changement structurel et organisationnel, les gestionnaires des deniers publics ont tendance à se faire outiller par des dispositifs de gestion modernes, les aidant ainsi à maîtriser les rouages de la gestion publique. Sans doute, l’introduction de ce dispositif aura des répercussions notables d’une part, sur l’amélioration de la gestion publique, l’optimisation du rapport entre les ressources engagées et les activités entreprises. D’autre part, il permet la mise en cohérence des plans stratégiques des acteurs avec les objectifs des programmes budgétaires et les aide au pilotage.

[1] Malgré ces innovations réglementaires visant à renforcer son introduction et sa mis en œuvre effective, le contrôle de gestion dans le secteur public, en particulier au sein des départements ministériels, illustre en effet plusieurs défis. D’abord, d’un point de vue du management public, on constate des problématiques liées  à la capacités des organisations publiques  à mettre en place une vision stratégique claire et projetée vers le futur qui constitue la pierre angulaire et la base pour la conception d’un système de contrôle de gestion efficace et orienté vers l’apprentissage organisationnel et l’innovation. Clairement, l'absence d'une vision stratégique pourrait entraîner un système de contrôle de gestion fragmenté, où les différentes parties ne sont pas alignées sur les objectifs globaux de l’entité. Cela peut conduire à des inefficacités, des conflits d'intérêts et des décisions incohérentes.

A cela, s’ajoute la diversité des organisations du secteur public et leurs spécificités particulières qui se manifestent au niveau de l’absence d’une chaine physique de la création de la valeur, la nature de leurs activités, la diversité des services rendus au citoyen et la difficulté de traduire des objectifs politiques en modalités pratiques.

[2] De surcroit, les outils de contrôle de gestion mobilisés ne sont pas appropriés du fait qu’ils sont conçus au-delà des acteurs qui vont les utiliser. En effet, la majorité des organisations publiques font appel à une expertise externe pour la conception de leur système de contrôle de gestion sans prendre en considération les attentes et les suggestions des acteurs qui vont l’utiliser par la suite.

 [3] Ainsi, la culture de l’administration publique marocaine perçoit le contrôle de gestion comme un mécanisme de sanction et de responsabilisation et non pas comme un dispositif de pilotage de la performance et d’aide à la décision. 

[4] Enfin, le contrôle de gestion public se trouve au cœur de deux logiques contradictoires : la logique politique et la logique gestionnaire. Les organisations publiques, à des fins de rationalisation et d’allocations efficaces des ressources,  adoptent le contrôle de gestion. Leur mise en place génère des tensions dont l’origine réside dans la difficulté à faire cohabiter entre les objectifs politiques et ceux des gestionnaires de la chose publique.   

Pour relever ces défis, il est crucial de développer une vision stratégique intégrée qui implique une définition  claire des objectifs stratégiques en concertation avec toutes les parties prenantes, alignant ainsi les priorités politiques avec les impératifs de gestion et de performance. En parallèle, il est essentiel d'adapter les outils de contrôle de gestion aux spécificités du secteur public, comme la reddition de comptes et les cycles décisionnels politiques. Cela doit être accompagné par un changement de la perception du contrôle de gestion vis-à-vis des usagers, et ce en favorisant une culture organisationnelle qui valorise son rôle comme outil de pilotage stratégique et d'aide à la décision, plutôt que comme un simple mécanisme de sanction.

Enfin, harmoniser les logiques politiques et gestionnaires permettra une meilleure intégration des objectifs politiques dans la logique de gestion et de performance, renforçant ainsi l'efficacité globale du contrôle de gestion dans les organisations publiques.

M. EL HAOUARY Ouadie, Ph.D en Science de Gestion.
 


Vendredi 28 Juin 2024

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