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Une affaire d’Etat s’annonce… un séisme dans le monde des affaires… un crash-test des organismes constitutionnels… une affirmation de l’article 42 de la constitution qui fait du roi le garant du bon fonctionnement des institutions constitutionnelles. Le communiqué du cabinet royal, tombé hier en milieu de soirée, annonce tout cela à la fois, donnant un immense coup de pied dans la fourmilière politico-affairiste.
A l’origine, une saisine du Conseil de la concurrence, effectuée en novembre 2016 par les syndicats professionnels du secteur, contre des pratiques jugées anticoncurrentielles des distributeurs d’hydrocarbures. Enquête parlementaire, débats publics, sévères accusations des uns et violentes dénégations des autres… quatre années durant, pendant que l’argent coulait à flots, cette affaire a alimenté les discussions ici et là, jusqu’à ce mois de juin 2020, quand le Conseil de la concurrence a établi son rapport, concluant à la « culpabilité » des pétroliers, « convaincus » d’ententes illicites et de perturbation du marché pétrolier.
Puis, le mois dernier, le temps s’est suspendu… Nos confrères de Medias24 publient une synthèse du rapport, le Conseil dément timidement, le débat reprend, et on annonce le 21 juillet pour la publication officielle du rapport qui, dans son essence, promet d’être explosif et de rendre encore plus inflammable la carapace des pétroliers. Or, à ce niveau de responsabilité, les calendriers ne sont pas décidés au hasard, comme la date du 28 juillet pour la publication du communiqué royal, correspondant à la veille d’un discours royal particulièrement attendu.
Le communiqué royal, donc… Inédit et institutionnellement historique (sans plus galvauder ce mot qui l’est déjà assez) car le texte relate en langage simple et accessible à tous la relation épistolaire entre le Conseil de la concurrence et le palais royal, relève les contradictions des décisions et des positions, révèle les sérieuses et affligeantes dissensions internes du Conseil et nomme une commission ad hoc, composée de personnages (pour la plupart) au-dessus de tout soupçon, chargée de « clarifier la situation ». Lecture du communiqué.
1/ Le Conseil adresse au roi deux notes, datées du 23 et du 28 juillet, chaque date correspondant au lendemain d’une plénière des membres dudit Conseil. La première note évoque les sanctions décidées contre les pétroliers, pour entente illicite, à 9% du chiffre d’affaires pour les trois premières compagnies, et par une majorité de 12 voix contre 1. La seconde note indique, sans préciser la répartition des voix, que cette sanction a été corrigée à 8%, mais pour l’ensemble des compagnies concernées.
2/ Le roi reçoit le 28 juillet toujours, jour de la seconde plénière dont on ignore le détail du vote, une autre note, émanant cette fois de « plusieurs membres » du Conseil, accusant leur président de faits gravissimes : « communication dommageable à l’examen de l’affaire et à la crédibilité du Conseil, passage forcé au vote avant que le débat ne soit clos, interprétation tronquée et violation de l’article 39 de la loi relative à la liberté des prix et de la concurrence, opacité de la procédure d’instruction, marquée par un partage sélectif des documents, non satisfaction des requêtes des membres en vue d’un examen équilibré des arguments avancés par les sociétés », dit le communiqué du Palais. Et l’accusation encore plus grave, portée ad hominem contre le président Driss Guerraoui, d’avoir un « comportement qui laisse penser qu’il agit sur instructions ou selon un agenda personnel ». Diantre ! Rien que ça… En gros, des gens de si haut niveau, qui ont voté les 9%, se révoltent bruyamment contre les 8%, saisissent le Roi par écrit pour lui dire tout le mal qu’ils pensent de l’intégrité d’une personne qu’il a lui-même nommée à la tête d’une instance de probité commerciale !
3/ Que fait le roi ? Il agit, imperturbable et avec sang-froid, en arbitre suprême et en garant du bon fonctionnement des institutions. Il confie la tâche de « clarifier la situation » et non de revenir sur le fonds de l’affaire, à un panel composé de très hauts personnages, grandement éprouvés et qui n’ont plus rien à prouver, comme Driss Jettou, Saïd Ihraï, Abdellatif Jouahri ou encore Bachir Rachdi.
Quelle est la mission de ces gens ? Déterminer qui a raison, et qui a tort, au sein du Conseil. Si le président a tort et que, effectivement, il ait reçu des instructions ou agi en fonction de ses intérêts, le pénal s’inviterait dans l’affaire contre M. Guerraoui, et on saurait alors « qui » a donné ces instructions et s’il fera aussi la connaissance d’un juge... Si, à l’inverse, Driss Guerraoui est dans son bon droit, alors nous connaîtrons les noms des « frondeurs », et ce sont eux qui devront rencontrer des juges… Pourquoi avoir agi ainsi, pourquoi avoir saisi le roi, et quels sont leurs intérêts dans cette affaire à tiroirs et à milliards ?
Cette affaire est cruciale car désormais portée par le roi devant l’opinion publique. Et un communiqué royal, une fois publié, n’appartient plus au Palais, mais à ses destinataires, en l’occurrence les Marocains, l’opinion publique, médias, réseaux sociaux et individus de tous bords. Le roi aurait pu arbitrer seul, mais en agissant ainsi, en tout relatant et en désignant les Jouahri, Jettou, Rachdi…, il promet en quelque sorte la vérité vraie sur ce qui s’est réellement passé à une opinion publique sensible à la question des hydrocarbures et qui attend, esprit critique en bandoulière, claviers et plumes en attente. C’est cela le Maroc d’aujourd’hui !
Et les conclusions seront institutionnellement violentes, à la mesure des accusations des membres du Conseil, de l’argent en jeu, des carrières en suspens, des (très possibles et féroces) luttes de clans, de la concurrence de plus en plus rance des grands et de la transe dans laquelle entreront les glands. Cette affaire est véritablement historique (encore le mot) car elle porte sur des sommes stratosphériques (5 à 6 milliards de DH d’amendes), implique de très hauts personnages de l’Etat, dont le roi qui a tout mis sur la place publique, sonne comme un avertissement à tous et tonne comme un gong sur le principe de moralisation de la vie publique.
Désormais, tout le monde attend les conclusions des « ad hoc ». Ne préjugeons pas déjà, nous jugerons après... car on ne voit pas comment on évitera un grand déballage…