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Par Aziz Boucetta
Aujourd’hui, ce parti connaît une énième affaire, avec l’éviction d’un membre de la direction collégiale curieusement mise en place à l’issue du dernier congrès, tenu en février dernier. Tout était étrange dans ce congrès, à commencer par la non-reconduction de l’ancien secrétaire général Abdellatif Ouahbi, qui a pourtant réussi à hisser le parti sur le podium électoral et qui a permis à ses amis du parti d’accéder aux fonctions ministérielles les plus éminentes, lui-même à la tête du département de la Justice. Oh, bien sûr, il disait le contraire sur son entrée personnelle au gouvernement, et bien entendu, plusieurs ministres ont été précipitamment « peints » aux couleurs du PAM pour entrer politiquement dans un gouvernement dit politique. Mais ainsi est la classe politique marocaine…
Et puis, lors de ce congrès, qui se tenait quelques semaines après l’extraordinaire scandale du duo Bioui/Naciri, une direction collégiale a surgi d’on ne sait (presque) d’où. Elle était improbable et ne devait en conséquence probablement pas durer ; elle ne dura pas. Les nouveaux promus, Fatima Zahra Mansouri (désignée coordinatrice du triumvirat), Mehdi Bensaïd et Salaheddine Aboulghali, s’en défendaient, chacun à sa manière, mais aujourd’hui, la réalité les rattrape : M. Aboulghali est viré (il n’y a pas d’autre terme) du Bureau politique et du triumvirat. La nomenclature officielle retenue est « suspendu de ses fonctions au Bureau politique et au sein de la direction collégiale », pour des raisons commerciales sans lien avec la gestion des deniers publics.
Bien évidemment, l’intéressé récuse l’accusation et accuse la direction… en l’occurrence Mme Mansouri, tout en déniant (à bon droit) au Bureau politique le droit de suspendre ses activités etc etc… A partir de là, laissons les « Pamistes » s’occuper de leurs affaires plutôt opaques et annoncer leurs explications plutôt poussives. Mais quid du second parti du Maroc et de son avenir ?
On ne le dira jamais assez, mais dès sa création, le PAM a connu bien des problèmes, des polémiques et des dissensions internes ; une bonne dizaine de chefs (dont ceux de la direction collégiale), trois qui sont partis dans des conditions aussi douteuses qu’houleuses et une direction collégiale qui avait été dès le départ peu convaincante. Sur le plan idéologique, et selon son ancien patron Ilyas el Omari, le PAM serait de « centre-gauche », mais ses membres, les plus éminents et les plus proéminents, viennent d’horizons divers, gens d’affaires ou affairistes, gens de gauche et gauchistes, transfuges, libéraux et quelques opportunistes notables ou notablement connus. Cela crée un problème de positionnement, et c’est bien là le grand problème de cette formation.
Née et créée dans le sillage d’une percée du PJD à la fin de la décennie 2000, son ADN est entièrement enroulé autour de la lutte idéologique et pratique contre cette formation. Mais le PAM a largement perdu le duel avec les islamistes d’Abdelilah Benkirane. En 2021, il a pu, enfin, réaliser un score satisfaisant, qui lui a permis d’accéder, re enfin, au gouvernement.
Si on devait faire une rétrospective de l’action de ce parti, on pourrait dire qu’il a été desservi par deux choses. En premier, les castings qu’il s’est toujours choisis, fruits de laborieux équilibres entre les différentes tendances du PAM, équilibres dont l’origine et la provenance furent par moments difficilement identifiables…
Et au final, une caste de secrétaires généraux peu connus ou mal aimés, rugueux ou imprudemment volubiles, qui ne sont jamais arrivés à se faire entendre, et a fortiori à être appréciés par le peuple, par ailleurs largement indifférent à la chose politique ; leur problème, c’est le peuple, pour paraphraser de Gaulle... Ensuite l’idéologie ; on ne peut contester les idées progressistes, avant-gardistes, du PAM (sur le cannabis, sur les libertés individuelles, sur la parité de genre…). Le problème est que ces idées demeurent des positions isolées, éparses, défendues de loin en loin, même avec vigueur, mais pas collégialement, collectivement, au nom d’une idéologie mûrement pensée, patiemment élaborée et soigneusement établie. Ce qui crée une cacophonie politique desservant le parti et son réel potentiel de changement sociétal.
Et cela continue… d’une direction tricéphale, on passe à un binôme ; dans la première, il y avait une coordinatrice, ce qui est possible à trois, mais à deux, que fait-on, que feront-ils ? Il est rare que deux chefs, qui plus est tous les deux ministres, s’entendent durablement, et bien ingénu celui qui le croirait. Quelles sont les « forces en présence » ?
Mme Mansouri, maire de Marrakech de 2009 à 2015 et ensuite depuis 2021, est aussi ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, et elle fut présidente du Conseil national du PAM ; force est de constater qu’elle n’aura marqué ni sa ville ni la politique de la ville, de l’aveu même de bien de ses collaborateurs à Marrakech ou à Rabat. M. Bensaïd est ancien président de la commission des Affaires étrangères au parlement, véritable cheville ouvrière du PAM depuis sa création et aujourd’hui quadragénaire ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, trois départements où ses actions sont nombreuses et largement saluées par ses « administrés ».
Tous deux tombés dans la marmite politique dès leur jeune âge (Mme Mansouri fille de pacha et d’ambassadeur et M. Bensaïd fils de parents gauchistes engagés), ils devront confirmer leur différence dans les mois qui viennent, qui font entrer le pays dans la toujours très animée période préélectorale. L’absence de Mme Mansouri à la conférence de presse d’hier et la forêt de micros devant Mehdi Bensaïd donnent déjà une indication.
« And then there were… two », comme dirait le groupe anglais de rock Genesis. Ils étaient trois, mais avec M. Aboulghali écarté, les choses se clarifient, les rangs se clairsèment … et entre les deux qui restent, la nature et l’ambition politiques feront le reste. Le PAM demeurera un parti important dans le royaume, pour peu que les erreurs de casting ou de forcing le cèdent à une approche plus pragmatique fondée non plus sur une difficile parité ou une laborieuse égalité, mais sur les nécessaires qualité, efficacité et popularité.
A défaut, le PAM court le risque de devenir un sPAM dérangeant ou un spasme passager sur la scène politique nationale en devenir.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost