Par Mustapha Sehimi
Il faut revenir sur la visite officielle du ministre israélien des Affaires étrangères, Yair Lapid, les 11-12 août derniers. C’est évidemment un acte fort dans le processus de normalisation des relations diplomatiques entre l’Etat hébreu et le Maroc. Trois accords de coopération ont été signés; une quinzaine d’autres sont en cours d’élaboration ou de finalisation. Les potentialités dans ce domaine sont pratiquement illimitées: il y a tant de projets porteurs! Mais au-delà de cet agenda, c’est une étape symbolique et pleine de sens qu’il faut mettre en perspective. Le Royaume décline en l’occurrence une longue marche inscrivant sa politique étrangère servie par une diplomatie dynamique. Ce faisant, il prend à son compte et adhère aux principes de la Charte des Nations-Unies. La Constitution de juillet 2011 le rappelle et les consacre.
Pour autant, cela ne veut pas dire le «suivisme» ni l’alignement sur telle ou telle puissance. Il y a de l’autonomie de décision en priorité; elle appelle, à chaque fois, à appréhender d’une manière conséquente les intérêts supérieurs. C’est le Souverain qui a en charge cette évaluation qui est faite au cas par cas, suivant les conjonctures de l’environnement, régional, continental ou international. Il veille de manière sourcilleuse à garder en dernier ressort la main à cet égard; à assumer aussi le coût et l’impact de ses décisions et des positons du Maroc.
Le Maroc a une doctrine de politique étrangère, un référentiel que les chancelleries ont eu le temps de connaître; elles en tiennent compte, sauf à s’en écarter à l’occasion et à en porter alors la responsabilité. Pour cette année 2021, des pays européens comme l’Espagne et l’Allemagne se sont trouvés devant un tel cas de figure. Tous deux ont mesuré la fermeté de la réponse marocaine, d’autant que des «lignes rouges» connues, relatives à l’indépendance et à la souveraineté du Royaume, ont été franchies…
Du volontarisme. De la réactivité aussi. Pour autant, le Maroc est en première ligne dans les grands dossiers du monde d’aujourd’hui: changement climatique, environnement, énergies renouvelables… La signature, en mai dernier, d’un «Pacte vert» (un green deal) avec l’UE témoigne de ces axes d’avenir. Il l’est encore plus dans la lutte antiterroriste parce qu’il est attaché au primat de la paix, de la stabilité et de la sécurité internationales. Il ne menace personne; bien au contraire. Sa diplomatie est celle des «bons offices» –on l’a vu avec le dossier libyen et la position unitaire qu’il a défendue et soutenue, a été consacrée in fine dans les accords de Skhirat de décembre 2015.
C’est que la diplomatie marocaine présente des marqueurs qui lui donnent son identité propre. Elle est globalement au service de trois crédos: la paix, la stabilité et le co-développement. A grands traits, quel est le tableau? Le Maroc a noué et consolidé des partenariats stratégiques avec de grandes puissances de ce monde; Etats-Unis, Union européenne, Chine, Russie, Conseil de coopération du Golfe. Des accords de libre-échange– une bonne centaine– ont été conclus avec pas moins de 54 pays. Il est présent et actif dans les grands forums internationaux (lutte antiterroriste, avenir de l’humanité, développement humain durable...).
C’est là un actif que l’on doit à la clairvoyance et au leadership du roi Mohammed VI. Dans le continent, l’on trouve une illustration particulière de cette vision, le Maroc avec son retour, depuis janvier 2017, au sein de la grande famille institutionnelle africaine. Cette ligne de conduite participe d’une diplomatie active, réactive, proactive aussi avec une intelligence des situations et des conjonctures.
Paix et sécurité: tel est le principe directeur. Il a trouvé sa traduction opérationnelle à l’intérieur de frontières du Royaume ainsi que dans le grand espace régional couvrant l’Afrique, le monde arabe, la Méditerranée et l’Atlantique. Avec le principe de concertation et de dialogue, le Maroc entend œuvrer pour ses grandes causes. C’est le cas pour ce qui est de l’intégrité territoriale ou de la cause palestinienne. Le Maroc défend le choix du dialogue direct entre les parties concernées, en l’occurrence l’Algérie pour la recherche d’un règlement de la question nationale et le recouvrement de la plénitude des droits du peuple palestinien dans le cadre d’un Etat indépendant avec Al-Qods-Est comme capitale. Enfin, il faut mettre en exergue un dernier principe: celui de l’anticipation couplée à la constance. Le Maroc est attaché au respect de ses engagements internationaux. Quant aux accords bilatéraux, ils sont préservés sur la base des acquis antérieurs.
La diplomatie marocaine est constructive, porteuse de valeurs et d’idéaux conformes à la Charte des nations-Unis. Elle est marquée du sceau de la solidarité. De la coopération. Du dialogue. Elle est aussi porteuse de projets de co-développement, de partage d’expérience et de partenariat fécond sur une base égalitaire. Elle est enfin ouverte sur l’intégration régionale et sur le monde. N’est-ce pas avec le même esprit que le Royaume a signé avec le Royaume-Uni, par anticipation, un accord de libre-échange post-Brexit? Une politique déjà déclinée autour des grands projets stratégiques de la CEDEAO– dont le gazoduc et la fibre optique en 2021 de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Autant d’avancées dans l’approfondissement et l’élargissement des liens avec les partenaires africains.
Sur tous les domaines de la politique étrangère, la politique étrangère du Royaume est servie par la conjugaison de plusieurs données essentielles. La première est sans aucun doute le consensus et même l’adhésion de l’ensemble des composantes de la nation. Les cabinets se succèdent depuis l’accession du Roi au Trône, voici vingt-deux ans, mais les lignes de force n’ont pas varié. Aujourd’hui, avec un exécutif dirigé par le secrétaire général de la formation islamiste du PJD, prévaut toujours la continuité, même si des «états d’âme», voire des réserves, peuvent subsister à propos de la normalisation des relations diplomatiques avec Israël. Son prédécesseur, Abdelilah Benkirane, a été d’une grande clarté à ce sujet en faisant référence à des intérêts supérieurs de l’Etat…
Une autre donnée intéresse, elle, le souci de conforter l’influence et le rayonnement du Maroc à l’international –cela s’appelle le «rang». Le Royaume est une puissance régionale; sa voix compte; elle porte aussi. Sa doctrine est adossée à une certaine conception des relations internationales: celle, rappelons-le, de principes et de pratiques de coopération, de stabilité, de la recherche de la paix et de bon voisinage.
Enfin, cette dernière donnée qui n’est pas la moins importante: le leadership personnel moral et politique du Souverain. Des chefs d’Etat couvrant une large gamme (Etats-Unis, France…) le réitèrent dans leurs messages. Le Maroc de 2021 a ses lettres de crédit pour toutes ces raisons. Et puis, comment ne pas mettre en exergue une politique étrangère servie et valorisée par de grands chantiers et des réformes continues dans la perspective d’un modèle de développement sur des bases d’un référentiel d’une société moderniste, démocratique et solidaire. Ce qui est entrepris au-dedans assoit davantage l’action au dehors.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur https://le360.ma