Par Mustapha Sehimi
Une année qui finit donc et une nouvelle qui commence: une pause pour faire le point mais aussi pour tenter d’entrevoir comment se présente 2022. Et d’abord ceci: quel est l’état d’esprit des citoyens? Il semblerait qu’il y ait un léger mieux lors du troisième trimestre écoulé. C’est le HCP qui est arrivé à cette conclusion: l’indice de confiance des ménages (ICM) a été de 63 points contre 60,6 pour le trimestre précédent. Il y a là un indicateur significatif prenant en compte la perception des ménages (variations du niveau de vie, dimension du chômage, situation financière, opportunités d’achat de biens durables…). Le solde d’opinion dans ces domaines reste cependant dans une prescription fortement négative.
Pour ce qui est de la nouvelle année, les ménages appréhendent une baisse de leur pouvoir d’achat (24%) alors que 42% estiment que ce sera sa reconduction et que 34% pressentent une amélioration. Les dernières prévisions pour 2021 retiennent finalement un taux de l’ordre de 6%. Les secteurs d’activités les plus vulnérables à la pandémie Covid-19 ont fait montre de résilience.
L’année 2022 sera-t-elle celle du retour à la trajectoire pré-pandémie? Ce come-back paraît à l’ordre du jour marquant ainsi une trajectoire tendancielle vers un réajustement. Le secteur agricole se maintiendrait à un niveau notable; celui des industries manufactures sera plus dynamique (aéronautique, automobile); globalement, il est escompté un relèvement de la valeur ajoutée de l’ensemble du secteur industriel à plus de 4%; les industries extractives, elles, auraient des résultats performants –une mention spéciale pour le groupe OCP avec déjà une hausse de 38% en 2021. Un redressement qui se vérifie d’ailleurs dans d’autres secteurs: bâtiment et travaux publics (3,5%), services et commerce (4%)…
Le nouveau gouvernement Akhannouch dispose, depuis sa formation, le 13 octobre dernier, de toutes ces données et de tant d’autres plus affinées et exhaustives. Il a ainsi présenté son programme puis le projet de loi de finances 2022. Au plan économique, il se fixe des objectifs prioritaires: relance de l’activité économique, accélération du rythme de la création de richesse, développement des opportunités d’emplois et des capacités productives, amélioration des facteurs de compétitivité. Il se décline pour cette législature autour des objectifs suivants: un taux de croissance moyen de 4% durant la législature, création d’un million d’emplois et réduction des disparités sociales. Quant aux choix budgétaires 2022, ils s’articulent autour de quatre objectifs principaux: relance économique et redynamisation des secteurs productifs, développement des mécanismes d’inclusion et d’amélioration du système de protection sociale en vue de sa généralisation, réforme du secteur public dans le sens de la cohérence et de l’efficacité, enfin le renforcement et la valorisation du capital humain.
Cela dit, les perspectives de croissances retenues sont modestes par rapport aux ambitions du Nouveau Modèle de Développement. Ce NMD a retenu un taux de croissance prévisionnel moyen de 5,8% sur la période 2020-2035; le programme gouvernemental, lui, se borne à 4% et seulement à 3,2% pour 2022. Du plus, comment ne pas relever l’insuffisance des ressources mobilisables nécessaires pour une bonne exécution du programme de politique économique? Il y a en effet un décalage, dans le budget 2022, entre les programmes d’action retenus et les ressources de leur financement. Le montant des charges prévues est de 519 milliards de DH (+9%) lesquelles ne sont couvertes qu’à 88% par les recettes prévisionnelles. Les besoins de financement dépassent les 58 milliards de DH, ce qui conduit à un déficit budgétaire de 6% par rapport au PIB.
Le gouvernement n’est pas aidé par le monde post-Covid, dont le dernier avatar est ce variant Omicron dont l’impact est déjà là, avec des conséquences encore imprévisibles. S’y greffent d’autres difficultés et contraintes tout aussi préoccupantes: celles de nature commerciale et géostratégique. Référence est faite notamment à des processus de délocalisation des chaînes de valeurs mondiales dont le Pacifique et l’Afrique sont les principaux épicentres.
Comment le Maroc peut-il (et doit-il) s’insérer dans cette réarticulation planétaire par suite de son ouverture et de son insertion dans la mondialisation? Si la vision du Maroc est définie –un cap, des axes stratégiques et des leviers de changement– il faut aussi prioriser des stratégies à mettre en œuvre. La première est ce que l’on pourrait appeler la densification du tissu productif: consolidation des secteurs performants et promotion des investissements dans de nouveaux secteurs (industries pharmaceutiques et biotechnologiques, déficit sinon stress hydrique, énergies renouvelables, digitalisation). La seconde a trait à la consolidation des acquis et à la diversification à l’international (UE, nouveaux partenaires –Royaume-Uni, Europe centrale et orientale…).
Reste une dernière interrogation: la capacité de ce gouvernement à faire face à autant de contraintes. Cet exécutif doit en effet se déployer aussi dans le champ politique national pour susciter l’adhésion, le soutien si possible, voire la mobilisation. Il dispose d’un côté de précieux atouts dont une stabilité parlementaire jusqu’à 2026 avec une majorité très confortable. Celle-ci était de 270 membres au sein de la Chambre des représentants, qui en compte 395. Elle vient même, ces jours-ci, d’être élargie à l’UC (18) et au MDS (5), des partis alors dans l’opposition. Un ralliement parlementaire qui atteste de nouveau au passage de la confusion des critères de clivage du système partisan.
Si le cabinet accélère bien les mesures d’application de protection sociale (chauffeurs de taxi, agriculteurs, artisans) élargissant le périmètre des quelque huit millions de bénéficiaires, d’autres pans restent encore à l’ordre du jour. Où en est la charte de l’investissement que les deux précédents cabinets PJD n’ont pas réussi à finaliser? Elle serait prête, dit-on, dans un projet de loi. L’autre dossier est celui du financement des entreprises qui pose beaucoup de problèmes quant à ses conditions d’accès. Une banque publique n’a pas été retenue par le gouvernement sans doute par suite des «résistances» du système bancaire actuel… L’idée qui prévaut serait celle d’une implication du Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, avec diverses formules d’outils permettant le financement en fonds propres des TPME et d’autres entreprises. Des dossiers intéressant la compétitivité de l’entreprise marocaine sont en débat: coût de l’énergie, disponibilité d’un foncier industriel compétitif, réforme de la fiscalité et refonte du code du travail.
Le rythme de l’action gouvernementale ne peut que s’accélérer dans les semaines et les mois à venir. Cette action a été placée sous le signe d’un changement par rapport à la parenthèse pratiquement immobiliste du précédent cabinet; elle doit se préoccuper désormais d’imprimer, pourrait-on dire, dans les meilleurs délais.
La pratique institutionnelle –au Maroc et à l’international aussi– témoigne de ce fait: les réformes non engagées en début de mandat ne sont pas faites ensuite. C’est donc un élan illustré par les dernières élections de septembre dernier qui doit être ravivé, entretenu et conforté en 2022 et au-delà. Ce cabinet a besoin de mettre en relief les réformes qu’il va s’employer à entreprendre: leur nature et leur impact, leur calendrier et leur compatibilité avec le NMD. Le seul discours sur les réformes ne passe pas; la volonté de faire ces réformes ne suffit pas non plus. Alors? Il faut des actes de réformes, faisant sens, et de nature à contribuer à restaurer la confiance des citoyens et des opérateurs.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur https://le360.ma