Par Mustapha Sehimi
Pour le Maroc, c'est là une approche qui remonte à la décennie des années quatre-vingt-dix. En août 1990 puis en novembre 2010, s'étaient en effet tenus deux forums sur ce qui était alors l’Initiative Atlantique africaine; elles s'étaient d'ailleurs prolongées par des réunions informelles en marge des sessions annuelles de l'Assemblée générale de l'ONU.
Il convient de rappeler que déjà, en 1989, avait été créée à l'initiative du roi Hassan II la Conférence ministérielle entre les Etats riverains de l’océan Atlantique (COMHA FAT). Elle regroupait alors 22 pays, du Maroc à la Namibie. Elle a vite fait l'objet ensuite d'une convention ad hoc, adoptée le 5 juillet 1991 fixant les domaines et les modalités de coopération halieutique régionale entre les Etats membres.
Il faut aussi, dans cette même approche, faire référence à l'adhésion, en août 2009, de Rabat à l’Initiative de l'Atlantique Sud –un plan de dialogue et de coopération impulsé par Lisbonne et Madrid et soutenu par Paris ainsi que par des pays de l'Amérique latine et de l'Afrique.
A l'issue de la conférence tenue dans le Royaume, avait été adoptée la «Déclaration de Rabat». Dès 2013, le Roi Mohammed VI avait pour sa part appelée à «relancer les activités de la Conférence des Etats africains riverains de l'Atlantique et à lui permettre de jouer pleinement le rôle qui lui revient».
Avec ce sommet du 8 juin, voilà que ce processus se voit réactivé. Comme l'a relevé le ministre des Affaires étrangères, il «renaît aujourd’hui, sous un nouveau jour, mais avec un même horizon: celui que nous partagerons, du Cap Spartel au Cap de Bonne Espérance». Le Maroc a mis l'accent, lors de cette rencontre, sur la nécessité de faire de l'Afrique «une zone de Paix, de stabilité et de prospérité partagée». Il a aussi mis en exergue le potentiel et l'importance stratégique de cet espace maritime afro-atlantique couvrant 23 pays: 46 % de la population africaine, 55 % du PIB, 57 % du commerce continental.
Mais il faut aussi souligner que bien des défis communs importants étaient à relever: l'Afrique atlantique comme espace de «convoitises et de compétitions», des défis sécuritaires inédits (90 % des incidents maritimes –dont la piraterie–, 48% des victimes du terrorisme dans le monde, criminalité internationale, grande vulnérabilité climatique, réchauffement climatique, développement (humain, économique), sans oublier seulement 4 % des flux d' IDE contre 74 % pour les pays de l'Atlantique Nord.
Pour le Maroc, c'est une véritable doctrine de sa politique étrangère qui est à l'ordre du jour. Il s'agit de mobiliser tout un potentiel de coopération des pays riverains et de le décliner en partageant une perspective, une vision et un programme d'action.
Trois recommandations sont ainsi à prendre en considération: devenir un espace géopolitique, avoir une identité stratégique, agir collectivement pour répondre aux multiples impératifs de sécurité, de développement durable et de prospérité.
La déclaration adoptée à l'issue de ce rendez-vous a établi trois groupes thématiques couvrant le dialogue politique et la sécurité, l'économie bleue ainsi que la connectivité maritime et l'énergie, enfin le développement durable et l'environnement. En outre, le secrétariat permanent de la Conférence, basé à Rabat, sera réactivé et il a été également décidé que la deuxième Conférence aurait lieu au Maroc.
Promouvoir et consolider l'identité des pays afro-atlantiques et œuvrer pour parler d'une seule voix dans les instances internationales: deux fondamentaux qui doivent imprimer l'action diplomatique. Cette initiative n'entend pas être en concurrence avec d'autres organisations régionales ou interrégionales: tant s'en faut. Elle se propose en effet d'activer une dynamique inclusive pour un processus de gouvernance politique de l'espace atlantique commun. Des synergies sont attendues avec les pays riverains d'Amérique latine et d’Amérique du Nord.
Le Maroc a un avantage stratégique avec deux façades maritimes de 3.500 km, dont 3.000 km pour la façade atlantique. Mais cette situation particulière est-elle suffisamment exploitée et valorisée? Que faire pour que le Royaume devienne vraiment une puissance maritime? L'un des axes a trait à l'accentuation de l'exploration offshore et à l'exploitation de la zone économique exclusive. Il est établi aujourd'hui qu'il existe des nodules polymétalliques, des encroûtements cobaltifères, des sulfures hydrothermaux ainsi que des ressources énergétiques potentielles (hydrate de méthane, hydrogène). Un potentiel économique considérable.
En mars 2020, le Maroc a adopté deux lois précisant le domaine maritime 12 milles pour la mer territoriale, 24 pour la zone contigüe, 200 pour la zone économique exclusive (ZEE) et 350 pour le Plateau continental (bulletin officiel, 30 mars 2020: loi n° 37.17 modifiant et complétant le dahir portant loi n° 1.73.211 du 2 mars 1973; loi n° 38.17 modifiant et complétant la loi n° 1.81).
Le problème posé à cet égard est celui existant avec Madrid pour la délimitation des eaux de la façade atlantique. Un groupe mixte de travail, pratiquement paralysé depuis une quinzaine d'années, a repris ses travaux à la fin du mois d'avril dernier, par suite de la normalisation des relations bilatérales, liée à la visite du chef du gouvernement espagnol et à la réévaluation de la position de ce pays sur la question du Sahara marocain soutenant le projet d'autonomie comme «sérieux, crédible et réaliste».
Le Maroc a entrepris en tout cas des travaux de prospection pétrolière à 170 km de l'île des Canaries de la Gracioso. Le Maroc soutient le principe de l'unité des eaux du nord au sud pour asseoir sa «souveraineté totale» sur ses mers. Rabat a ainsi ratifié, en mai 2007, la convention de droit de la mer (Convention de Montego Bay de 1982) et a présenté un dossier complet aux Nations Unies sur le nouveau cadre législatif désormais en vigueur.
La promotion du transport maritime est, par ailleurs, un grand vecteur et une opportunité de croissance économique. L'Afrique n'assure que 6% à peine du commerce mondial maritime alors que les échanges par cette voie dépassent les 80% du trafic mondial. La connectivité maritime est jugée prioritaire.
Le Maroc se distingue à l'échelle continentale par le niveau élevé de sa connectivité, comme le relève le dernier rapport de la CNUCED sur le transport maritime en novembre dernier. Tanger Med est le port le mieux connecté en Afrique. Mais qu'en est-il de la façade atlantique? Des pays afro-atlantiques comme la Côte d'Ivoire, le Togo, le Ghana, le Nigeria et le Sénégal ont des projets de développement d'infrastructures portuaires et logistiques modernes.
Le Maroc, lui, a lancé le grand projet de Dakhla Atlantique, annoncé par le Roi Mohammed VI le 6 novembre 2015. C'est l'un des plus grands chantiers lancés au Maroc. Le montant alloué est de l'ordre de 12,4 milliards de DH. Sa réalisation durera au moins 8 ans. Ce port servira à la fois à la pêche et au commerce de marchandises. Le site choisi est celui de Ntireft, à 40 km au nord de la ville de Dakhla. Il aura trois composantes: un port de commerce, un port de pêche côtière et hauturière et une plateforme dédiée à l’industrie navale.
La puissance maritime ne saurait se limiter à ce vaste programme de logistique et d’infrastructures. Elle doit en effet être soutenue et complétée par une flotte maritime et en particulier par une vigoureuse politique en faveur de la flotte marchande marocaine. En 20 ans, elle a diminué des deux tiers, notamment avec la libéralisation (Open Sea) décidée en 2006. Aujourd'hui, la flotte ne compte que 15 navires opérationnels totalisant 132.000 tonneaux –6 ferries, 6 porte-conteneurs et 3 tankers. Par sa position géostratégique, son potentiel maritime et les équipements logistiques appropriés, le Maroc peut promouvoir et consolider davantage son influence régionale et dans l'espace africain atlantique.
Une valeur ajoutée à une diplomatie continentale redéployée par une vision royale de la coopération Sud-Sud et le retour du Royaume dans les instances de sa famille naturelle, au sein de l'Union africaine (UA).
Rédigé par Mustapha Sehimi sur le 360
Il convient de rappeler que déjà, en 1989, avait été créée à l'initiative du roi Hassan II la Conférence ministérielle entre les Etats riverains de l’océan Atlantique (COMHA FAT). Elle regroupait alors 22 pays, du Maroc à la Namibie. Elle a vite fait l'objet ensuite d'une convention ad hoc, adoptée le 5 juillet 1991 fixant les domaines et les modalités de coopération halieutique régionale entre les Etats membres.
Il faut aussi, dans cette même approche, faire référence à l'adhésion, en août 2009, de Rabat à l’Initiative de l'Atlantique Sud –un plan de dialogue et de coopération impulsé par Lisbonne et Madrid et soutenu par Paris ainsi que par des pays de l'Amérique latine et de l'Afrique.
A l'issue de la conférence tenue dans le Royaume, avait été adoptée la «Déclaration de Rabat». Dès 2013, le Roi Mohammed VI avait pour sa part appelée à «relancer les activités de la Conférence des Etats africains riverains de l'Atlantique et à lui permettre de jouer pleinement le rôle qui lui revient».
Avec ce sommet du 8 juin, voilà que ce processus se voit réactivé. Comme l'a relevé le ministre des Affaires étrangères, il «renaît aujourd’hui, sous un nouveau jour, mais avec un même horizon: celui que nous partagerons, du Cap Spartel au Cap de Bonne Espérance». Le Maroc a mis l'accent, lors de cette rencontre, sur la nécessité de faire de l'Afrique «une zone de Paix, de stabilité et de prospérité partagée». Il a aussi mis en exergue le potentiel et l'importance stratégique de cet espace maritime afro-atlantique couvrant 23 pays: 46 % de la population africaine, 55 % du PIB, 57 % du commerce continental.
Mais il faut aussi souligner que bien des défis communs importants étaient à relever: l'Afrique atlantique comme espace de «convoitises et de compétitions», des défis sécuritaires inédits (90 % des incidents maritimes –dont la piraterie–, 48% des victimes du terrorisme dans le monde, criminalité internationale, grande vulnérabilité climatique, réchauffement climatique, développement (humain, économique), sans oublier seulement 4 % des flux d' IDE contre 74 % pour les pays de l'Atlantique Nord.
Pour le Maroc, c'est une véritable doctrine de sa politique étrangère qui est à l'ordre du jour. Il s'agit de mobiliser tout un potentiel de coopération des pays riverains et de le décliner en partageant une perspective, une vision et un programme d'action.
Trois recommandations sont ainsi à prendre en considération: devenir un espace géopolitique, avoir une identité stratégique, agir collectivement pour répondre aux multiples impératifs de sécurité, de développement durable et de prospérité.
La déclaration adoptée à l'issue de ce rendez-vous a établi trois groupes thématiques couvrant le dialogue politique et la sécurité, l'économie bleue ainsi que la connectivité maritime et l'énergie, enfin le développement durable et l'environnement. En outre, le secrétariat permanent de la Conférence, basé à Rabat, sera réactivé et il a été également décidé que la deuxième Conférence aurait lieu au Maroc.
Promouvoir et consolider l'identité des pays afro-atlantiques et œuvrer pour parler d'une seule voix dans les instances internationales: deux fondamentaux qui doivent imprimer l'action diplomatique. Cette initiative n'entend pas être en concurrence avec d'autres organisations régionales ou interrégionales: tant s'en faut. Elle se propose en effet d'activer une dynamique inclusive pour un processus de gouvernance politique de l'espace atlantique commun. Des synergies sont attendues avec les pays riverains d'Amérique latine et d’Amérique du Nord.
Le Maroc a un avantage stratégique avec deux façades maritimes de 3.500 km, dont 3.000 km pour la façade atlantique. Mais cette situation particulière est-elle suffisamment exploitée et valorisée? Que faire pour que le Royaume devienne vraiment une puissance maritime? L'un des axes a trait à l'accentuation de l'exploration offshore et à l'exploitation de la zone économique exclusive. Il est établi aujourd'hui qu'il existe des nodules polymétalliques, des encroûtements cobaltifères, des sulfures hydrothermaux ainsi que des ressources énergétiques potentielles (hydrate de méthane, hydrogène). Un potentiel économique considérable.
En mars 2020, le Maroc a adopté deux lois précisant le domaine maritime 12 milles pour la mer territoriale, 24 pour la zone contigüe, 200 pour la zone économique exclusive (ZEE) et 350 pour le Plateau continental (bulletin officiel, 30 mars 2020: loi n° 37.17 modifiant et complétant le dahir portant loi n° 1.73.211 du 2 mars 1973; loi n° 38.17 modifiant et complétant la loi n° 1.81).
Le problème posé à cet égard est celui existant avec Madrid pour la délimitation des eaux de la façade atlantique. Un groupe mixte de travail, pratiquement paralysé depuis une quinzaine d'années, a repris ses travaux à la fin du mois d'avril dernier, par suite de la normalisation des relations bilatérales, liée à la visite du chef du gouvernement espagnol et à la réévaluation de la position de ce pays sur la question du Sahara marocain soutenant le projet d'autonomie comme «sérieux, crédible et réaliste».
Le Maroc a entrepris en tout cas des travaux de prospection pétrolière à 170 km de l'île des Canaries de la Gracioso. Le Maroc soutient le principe de l'unité des eaux du nord au sud pour asseoir sa «souveraineté totale» sur ses mers. Rabat a ainsi ratifié, en mai 2007, la convention de droit de la mer (Convention de Montego Bay de 1982) et a présenté un dossier complet aux Nations Unies sur le nouveau cadre législatif désormais en vigueur.
La promotion du transport maritime est, par ailleurs, un grand vecteur et une opportunité de croissance économique. L'Afrique n'assure que 6% à peine du commerce mondial maritime alors que les échanges par cette voie dépassent les 80% du trafic mondial. La connectivité maritime est jugée prioritaire.
Le Maroc se distingue à l'échelle continentale par le niveau élevé de sa connectivité, comme le relève le dernier rapport de la CNUCED sur le transport maritime en novembre dernier. Tanger Med est le port le mieux connecté en Afrique. Mais qu'en est-il de la façade atlantique? Des pays afro-atlantiques comme la Côte d'Ivoire, le Togo, le Ghana, le Nigeria et le Sénégal ont des projets de développement d'infrastructures portuaires et logistiques modernes.
Le Maroc, lui, a lancé le grand projet de Dakhla Atlantique, annoncé par le Roi Mohammed VI le 6 novembre 2015. C'est l'un des plus grands chantiers lancés au Maroc. Le montant alloué est de l'ordre de 12,4 milliards de DH. Sa réalisation durera au moins 8 ans. Ce port servira à la fois à la pêche et au commerce de marchandises. Le site choisi est celui de Ntireft, à 40 km au nord de la ville de Dakhla. Il aura trois composantes: un port de commerce, un port de pêche côtière et hauturière et une plateforme dédiée à l’industrie navale.
La puissance maritime ne saurait se limiter à ce vaste programme de logistique et d’infrastructures. Elle doit en effet être soutenue et complétée par une flotte maritime et en particulier par une vigoureuse politique en faveur de la flotte marchande marocaine. En 20 ans, elle a diminué des deux tiers, notamment avec la libéralisation (Open Sea) décidée en 2006. Aujourd'hui, la flotte ne compte que 15 navires opérationnels totalisant 132.000 tonneaux –6 ferries, 6 porte-conteneurs et 3 tankers. Par sa position géostratégique, son potentiel maritime et les équipements logistiques appropriés, le Maroc peut promouvoir et consolider davantage son influence régionale et dans l'espace africain atlantique.
Une valeur ajoutée à une diplomatie continentale redéployée par une vision royale de la coopération Sud-Sud et le retour du Royaume dans les instances de sa famille naturelle, au sein de l'Union africaine (UA).
Rédigé par Mustapha Sehimi sur le 360