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Par Aziz Boucetta
Discussion captée dans un café de Casablanca, entre deux Sénégalais et un Ivoirien, autour de l’africanité du Maroc et surtout de sa politique africaine. Les trois hommes ont d’abord parlé des problèmes de rejet que commencent à connaître les Subsahariens en situation irrégulière dans le royaume, avant d’étendre leur discussion à l’action africaine du royaume.
Et là, c’est le scepticisme des trois personnes qui reprennent avec nostalgie la fameuse entame du discours royal à Addis Abeba en janvier 2017 : « Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence ! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé ! L’Afrique est mon Continent, et ma maison. Je rentre enfin chez moi, et vous retrouve avec bonheur. Vous m’avez tous manqué ».
Ces vingt dernières années, le Maroc s’est incontestablement et résolument tourné vers ce que le roi Hassan II appelait les racines africaines du royaume. On connaît les chiffres des déplacements officiels de son fils le roi Mohammed VI depuis un quart de siècle, une quarantaine (et ça monte encore en ajoutant les visites privées), avec la signature à la clé d’un millier de partenariats, accords, conventions et autres mémorandums.
L’intention d’africaniser le Maroc est réelle et la projection d’un Maroc ancré sur et dans son continent est bien pensée, conçue et réfléchie. Mais il y un écart entre intention et action, entre projections et réalisations.
Considérons donc les actions marocaines envers l’Afrique, depuis seulement quelques années… Décision commune entre le Nigéria et le Maroc fin 2016 pour la construction du gazoduc reliant les deux pays par voie de mer, en marge de la tenue de la COP22 marocaine lors de laquelle l’Initiative AAA (Adaptation de l’Agriculture Africaine) a été adoptée, adhésion à l’Union africaine en 2017, mise en place opérationnelle d’une politique phosphatière (Nigéria, Ethiopie…), initiative du processus des Etats africains atlantiques en 2022 et, en 2023, lancement de l’autre initiative, celle du désenclavement du Sahel… Entre autres actions prises par le Maroc officiellement mais qui tardent à être entreprises techniquement, opérationnellement.
La politique africaine du Maroc se réduit en fait et en réalité la vision africaine du roi Mohammed VI. Les entreprises ont suivi, dans le sillage des grandes structures qui ont accompagné le roi dans sa vision. Mais sur le plan institutionnel, gouvernemental et parlementaire, en dehors de quelques professions de foi espacées, de quoi peut-on se prévaloir ?
Sur le plan parlementaire, et sur des dizaines d’accords signés, le site de la Chambre des représentants ne mentionne qu’une poignée...de pays en Afrique, le Niger, le Bénin, le Gabon et le parlement de la CEDEAO qui a par ailleurs semble-t-il, rejeté notre demande d’adhésion, un étrange couac de notre diplomatie, non encore expliqué. Pour la Deuxième Chambre, il n’y a pour ainsi dire rien, hormis des images du président de la Chambre, souriant, accueillant nombre de délégations, Afrique absente.
Prenons le gouvernement, maintenant, et nous relèverons un déficit de passion africaine chez nos ministres. Les échanges se font le plus souvent dans le cadre de conférences ou de réunions multilatérales, au Maroc ou sur le sol africain. Rares, ou alors particulièrement discrètes, sont les visites bilatérales où nos ministres se rendent dans un quelconque pays africain.
Et pourtant, ce ne sont pas les secteurs qui manquent, des secteurs où les Marocains brillent et où ils pourraient s’impliquer plus résolument en Afrique.
Et pourtant, bâtir des relations avec l’Afrique, francophone occidentale dans un premier temps, puis centrale, puis de l’Est, puis australe, est une action long-termiste qui nécessite de la volonté, des idées et du souffle. La volonté est royale, elle est forte, les idées existent, elles pullulent et gagneraient à être approfondies, mais le souffle gouvernemental est asthmatique, apathique.
Quand on s’enquiert de la raison de cette désaffection africaine de notre gouvernement, où la coopération africaine reste coincée dans l’appellation du ministère des Affaires étrangères, on reçoit une réponse à la Gad el Maleh, consistant à lever la tête vers le haut, puis la baisser et se taire avec recueillement. Faux, expliquent un autre ministre et plusieurs anciens ministres, l’action des ministres relève très largement de leur propre volonté, le cabinet royal n’intervient que rarement dans les agendas ministériels.
L’Afrique doit être un département à part entière au sein du gouvernement, car l’Agence marocaine de coopération internationale, la fameuse AMCI ne saurait, ni ne devrait, être la panacée africaine du royaume…
Tout cela est regrettable car au vu de l’activité algérienne et sud-africaine sur le continent, de belles et prometteuses initiatives comme le désenclavement du Sahel où la Mauritanie est absente et donc bloquante, ou encore le lancement d’une coopération afro-atlantique porteuse de bien des avantages, risquent d’être reléguées au rang de simples annonces.
Et c’est d’autant plus grave que le Maroc se présente, se proclame depuis plusieurs années comme hub africain, sans que ses officiels et ses responsables (hors le roi) ne se déplacent dans les pays du continent ! Comment convaincre les autres de notre africanité et de l’avenir africain si nos institutionnels ne montrent pas la voie, et encore plus leur conviction ?